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Le langage inclusif pour les nul·les Pourquoi dire et ne pas dire

Les mots du handicap, cas d’école du langage inclusif

Hier, je suis allée à Inclusiv’Day, le salon des entreprises engagées pour l’inclusion et les innovations sociales. J’y ai été invitée pour répondre à la question “Comment la communication peut-elle rendre la société plus inclusive ?”. Cela a été l’occasion de rappeler que ma définition du langage inclusif n’est pas centrée uniquement autour de la notion d’égalité de genre (rendre visibles les femmes dans la langue en la démasculinisant) mais qu’elle s’étend à l’attention qu’on porte à tous les mots qui désignent les personnes, a fortiori quand elles font partie de groupes discriminées. Trouver les bons mots pour parler de handicap, c’est aussi ça le langage inclusif.
En me baladant dans les allés du salon, en écoutant les conférences, en observant les stands des associations, entreprises et institutions qui œuvrent au quotidien pour l’inclusion des personnes handicapées, j’ai réalisé que le vocabulaire du handicap offrait une illustration parfaite des 3 principes critiques dans la pratique d’un langage inclusif.

La précision, meilleure alliée de l’inclusion

Dans le champ de la DEI (diversité, équité, inclusion), et surtout dans le monde anglo-saxon, on parle souvent de langage précis (precise language) en complément du langage inclusif. L’idée ici est que la première étape pour choisir des mots qui incluent les personnes discriminées est de choisir des mots qui reflètent précisément la réalité de leur discrimination.

“Par exemple, alors que le terme de “minorité” est toujours utilisé aux Etats-Unis comme une manière de décrire une personne non blanche, beaucoup de personnes ne l’apprécient pas ; et dans certains cas, c’est factuellement faux. En remplaçant “minorité” par un terme plus précis comme “historiquement sous-représenté”, vos mots sont plus justes et empouvoirant (empowering) pour les personnes de votre entreprise qui s’identifient comme en faisant partie.”

“Striving for a more inclusive workplace? Start by examining your language”, Thinkwithgoogle.com

Quand on parle de handicap, la question de la précision est cruciale : parce que le handicap peut être visible ou invisible, parce que le handicap peut être physique ou mental, parce que le handicap peut être plus ou moins lourd, permanent, intermittent ou évolutif, parce que notre connaissance des pathologies qui causent les handicaps évoluent et que la perception sociale des handicaps aussi.
Par exemple, il y a des différences factuelles entre une personne aveugle et une personne malvoyante, entre une personne sourde et malentendante. Dire d’une personne qu’elle est malvoyante plutôt qu’aveugle peut nous donner l’impression (surtout si on est soi-même voyant·e) d’être plus politiquement correct, d’utiliser un langage adouci plus pudique quand en réalité il ne reflète simplement pas la réalité de cette personne. Comme je le partageais dans ma déconstruction du mot noir, la question n’est pas pour les personnes valides de trouver la formulation qui les fait se sentir plus à l’aise mais de s’éduquer pour apprendre quel est le mot qui décrit le mieux la réalité du handicap dont on parle, au moment où on en parle. Et les mots évoluent vite : comme pour les identités de genre dont le vocabulaire est très dynamique, les avancées scientifiques et médicales sur les handicaps nous poussent régulièrement à revoir la manière de les nommer : c’est ainsi qu’aujourd’hui on ne parle plus tant d’autisme mais plutôt de troubles du spectre autistique (pour refléter la variété des formes que peut prendre l’autisme).

Je sais que ce n’est pas facile : moi-même qui suis sensibilisée à cette question sans être concernée personnellement, je sais les limites de ma connaissance. Et il est possible que dans les lignes qui précèdent j’ai écrit des mots imprécis. En revanche, je sais que quand je parle de handicap, je dois faire preuve d’une attention supplémentaire (et au fond, c’est ça le langage inclusif, porter une attention particulière aux mots qu’on emploie). Cette attention ne va pas m’empêcher de faire des erreurs mais va me pousser à faire deux choses : m’éduquer sur les handicaps pour choisir les mots les plus précis possibles et mettre en œuvre le deuxième principe critique du langage inclusif, interroger les personnes concernées.

Les mots justes sont ceux des personnes concernées

Dites-vous “personne handicapée” ou “personne en situation de handicap” ? Cette question n’est pas si simple qu’il n’y paraît car il n’y a pas de bonne réponse à y apporter. La meilleure formulation est celle qui conviendra à la personne concernée par le handicap.

Dans le podcast La Série Documentaire : Handicap, la hiérarchie des vies, une femme exprime sa préférence pour l’expression personne handicapée à celle de personne en situation de handicap, car pour elle le handicap est une oppression de la société validiste dans laquelle nous vivons : elle est handicapée par la société qui ne lui est pas accessible et ne fait que peu d’effort pour le devenir, car le fait d’être valide (sans handicap) est perçu comme la norme à laquelle les personnes handicapées doivent s’adapter (je reprends ce paragraphe d’un article que j’ai consacré à l’emploi de la forme passive en langage inclusif).

Il existe une distinction conceptuelle utile pour mieux saisir la complexité de cette question : on distingue le langage centré sur l’identité (identity-first language) et le langage centré sur la personne (person-first language ou people-first language).

Le langage centré sur la personne souligne la personne avant le handicap, par exemple “personne aveugle” ou “personnes avec des lésions de la moelle épinière”. Le langage centré sur l’identité place le handicap en premier dans la description, par exemple “handicapé” ou “autiste”. Le langage centré sur l’identité et le langage centré sur la personne sont aussi acceptables l’un que l’autre et dépendent des préférences personnelles des personnes concernées.

Site de EARN, The Employer Assistance and Resource Network on Disability Inclusion

Dans le langage centré sur la personne, le handicap va être une dimension supplémentaire de son identité, quelque chose qui s’ajoute à ce que la personne est déjà (on dit d’ailleurs beaucoup plus souvent dans les entreprises états-uniennes comme Google people with a disability, personne avec un handicap, que disabled people, personne handicapée). Cela se traduit aussi en français par l’utilisation de la combinaison “personne + adjectif” (comme “les personne aveugles”) préférée à l’adjectif substantivé (utilisé comme nom) comme “les aveugles”.

Ce qui est important ici c’est que le choix du mot dépend entièrement de la manière dont la personne vit et définit son handicap. Et comme cela relève de l’expérience individuelle, la seule manière de savoir pour une personne donnée le bon mot à utiliser est de lui poser la question.
Mon expérience m’a démontré qu’il est beaucoup moins pénible pour la personne concernée par le handicap comme la personne valide de poser de manière sincère et factuelle la question (comme pour les pronoms dans le cas de l’identité de genre) que de tourner autour du pot, faire des erreurs, se sentir mal à l’aise. Par exemple, vous pouvez demander : “J’aimerais utiliser le terme le plus approprié pour toi quand il s’agit de ton handicap : comment préfères-tu que j’en parle ?”
Peut-être ressentirez-vous de la gêne, mais vous démontrerez aussi du care (dans le sens d’attention) et il y a fort à parier que la personne en face de vous appréciera votre intérêt sincère et votre désir de bien faire plus qu’elle ne trouvera votre question intrusive (malheureusement, elle a certainement l’habitude des questions qui le sont avec moins de bienveillance).

Rendre visibles les femmes, toujours

A titre personnel, l’expression que j’ai décidée d’employer est celle de personne handicapée car c’est celle que je vois employée par les militant·es que je suis sur les réseaux sociaux, qu’elle me semble précise et aussi qu’elle est inclusive en genre. Le mot “personne” peut désigner aussi bien un homme qu’une femme ou une personne non-binaire.

Or, dans les allées du salon ou dans les discours que j’ai entendus lors des conférences, le handicap se dit encore trop souvent au masculin. Comme dans le reste de la société, le masculin dit générique est employé partout, ce n’est pas une surprise. Mais ce qui est dommage est que des personnes engagées sincèrement sur la question de l’inclusion ne prêtent pas attention à représenter dans le choix de leurs mots toutes les personnes handicapées, quel que soit leur genre. Cela prouve encore une fois que le genre des mots est un impensé de la communication, même aux endroits les plus sensibilisés à la question de l’inclusion.

J’ai pris quelques photos qui le démontrent : dans le champ du handicap comme ailleurs, les travers d’un langage non inclusif se retrouvent. Sur ces exemples, on voit bien à l’œuvre le masculin dit générique qui fait parler des “travailleurs handicapés”, pas des travailleuses, des “aidants” et pas des aidantes (qui sont pourtant en grande majorité des femmes), ou la dissonance linguistique entre un texte qui promeut “une société ouverte à tous” tout en mettant en avant l’image d’une femme.

Photo prise sur le salon Inclusiv'Day où on voit 3 affiches d'associations écrites au masculin dit générique : travailleurs handicapés, café des aidants, société ouverte à tous.


J’ai une approche féministe intersectionnelle c’est-à-dire qui reconnait que les discriminations se cumulent et qu’il faut toutes les combattre. Être une femme handicapée, c’est cumuler la discrimination validiste et la discrimination sexiste. En novembre 2022 est parue une étude de l’IFOP pour L’adapt : “Être une femme en situation de handicap, la double peine ?”. Les résultats sont sans appel et démontrent qu’on aurait pu se passer du point d’interrogation dans le titre. Plus de charge mentale liée au travail domestique, plus de précarité économique, plus d’agressions sexuelles que les hommes bien sûr mais aussi que les femmes non handicapées.

Pour contribuer à rendre visible ces discriminations, il faut dire le handicap au masculin et au féminin.
Je ne jette pas la pierre à ces associations et organisations qui pour la plupart font un travail remarquable et nécessaire pour l’inclusion des personnes handicapées. Elles sont attentives aux mots qu’elles emploient pour parler de handicap, elles peuvent donc cultiver leur esprit critique sur le genre des mots qu’elles emploient pour parler des personnes qu’elles accompagnent, des personnes qui composent leur organisation, des personnes qui en ont le plus besoin. Il faut que le monde du handicap s’y attèle pour éviter de rendre encore plus invisibles les femmes qu’on compte parmi les 13 millions de personnes qui en France vivent et travaillent avec un handicap, qu’il soit visible ou non, déclaré ou non, permanent ou non.

Photo d'un écran annonçant une conférence intitulée : Les invisibles : qui sont ces 13 millions de travailleurs ?"

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : blacklister, ou la charge raciale des métaphores

Il y a deux ans, j’ai partagé mon parcours de déconstruction personnelle sur mon rapport au mot noir dans l’article Pourquoi je dis : un·e collègue noir·e.

A l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale le 21 mars, je m’intéresse aux mots et expressions qui, sans qu’on s’en rende forcément compte, portent une charge raciale comme les mots blacklister/whitelister

Blacklister / whitelister : quand les mots du quotidien portent une charge raciale

Si la question du tabou autour du mot noir est par essence très francophone, prendre une perspective plus internationale sur la question du langage inclusif nous invite aussi à nous interroger sur d’autres mots du vocabulaire courant. C’est le cas du binôme de mots blacklister et whitelister (mettre sur une liste noire ou une liste blanche) qui sont tous les deux de plus en plus souvent abandonnés, notamment aux Etats-Unis où de nombreuses entreprises ont décidé d’interdire leur usage.

Ce qui est reproché à ces mots très souvent utilisés dans le développement informatique (de même que le binôme de mots master/slave ou maître/esclave quand on désigne des relations de tables dans une bases de données par exemple), c’est de dater de l’époque coloniale et d’être intrinsèquement liés à l’époque de l’esclavage. Par extension, les utiliser aujourd’hui contribue à perpétuer la dichotomie noir = à interdire et blanc = à autoriser, dans une tradition ségrégationniste. Dans le contexte états-unien, cette interprétation me semble tout à fait pertinente et je comprends pourquoi Google, Cisco, Apple et j’en passe ont décidé d’utiliser un langage plus inclusif en choisissant d’opter à la place pour les termes équivalents blocklist / allowlist.

Au-delà de la charge raciale, j’ai d’ailleurs trouvé intéressant un autre argument en faveur de l’utilisation de blocklister / allowlister : éviter la dimension métaphorique (ici l’association d’une couleur à un statut) pour utiliser un langage explicite plus précis (ce qui est autorisé ou non). Si un alien débarquait sur terre sans aucune référence au contexte culturel et au symbolisme du mot noir, l’alien ne comprendrait simplement pas ce qu’est une liste noire ou une liste blanche, à part à faire référence à la couleur de l’encre (mais les aliens connaissent-ils l’encre ? Je m’égare).

Cet argument du sens métaphorique m’a emmené sur un autre terrain : que faire de expressions du quotidien qui contiennent le mot noir avec une connotation péjorative, comme le mouton noir, blackbouler, travailler au noir… ?

Comment les métaphores façonnent nos imaginaires

Le mot noir a une palette de connotations symboliques très riche et je recommande vivement la lecture ou l’écoute de l’expert de l’histoire des couleurs Michel Pastoureau pour en avoir une meilleure idée. Dans les expressions ci-dessus, le mot noir n’a en général rien à voir avec la dimension raciale mais est plutôt une référence à la noirceur de la nuit (comme dans “travailler au noir” ou “marché noir”, des pratiques illégales qui avaient plutôt lieu la nuit quand il fait sombre), à un trait physique extra-ordinaire rencontré dans la nature (comme le très rare mouton noir, devenu par extension le symbole de la différence stigmatisée) ou à des pratiques rituelles anciennes (comme les votes par boules noires ou blanches dans la Franc-Maçonnerie pour le terme blackbouler).

Si la connotation raciale n’est donc pas attestée dans ces exemples, ne contribuent-ils pas à la perpétuation d’un imaginaire dans lequel ce qui est noir doit être rejeté, et donc les personnes noires mises à l‘écart ? J’ai échangé sur ce point avec Asli Ciyow (dont je vous recommande fortement de suivre les analyses d’affiches de cinéma par le prisme de la représentation et l’inclusion des personnes minorisées), femme qui s’identifie comme métisse et fait partie de groupes de discussion de personnes racisées dont des personnes noires. Elle me disait que depuis quelques années, il y a avait de fait des conversations sur ce sujet dans ces groupes sans qu’un consensus se dégage sur leur utilisation. Même s’il est reconnu que l’origine de ces expressions n’a rien à voir avec la couleur de la peau (bien qu’on puisse s’interroger sur le glissement de l’expression “travail au noir”, souvent transformée en “travail au black” peut-être en raison d’un biais raciste associant illégalité et personnes noires), nombreuses sont les personnes qui ont souffert d’être traitées ou considérées comme le mouton noir ou le vilain petit canard. Dans un contexte où les personnes noires subissent toujours des discriminations et se retrouvent de fait souvent seules dans des groupes de personnes blanches, l’expression du mouton noir voit son sens métaphorique initialement sans rapport avec la couleur de peau correspondre à une réalité statistique. Et c’est là que les lignes se floutent et que l’esprit critique est indispensable.

Je n’ai donc pas de réponse facile à apporter à la question de l’usage de ces expressions métaphoriques mais à l’avenir, je me poserai deux questions quand je les croiserai ou penserai à les employer :
– de qui parle-t-on dans le contexte du discours ?
– existe-t-il une expression plus précise pour dire la même chose ?

Ce qui est certain, c’est qu’en cette Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, il suffit de regarder dans l’espace public pour voir qu’aujourd’hui, la place des personnes noires en France est loin d’être une question résolue. Et je vous laisserai avec ces quelques images prises dans la rue à Paris récemment. Observez et comptez le nombre de personnes noires que vous y voyez. La réponse (ne) va (pas) vous surprendre. Car dans le discours républicain dont parle Claire Levenson et les médias qui le relaie, il n’y a pas de place pour la peau noire.

Photos de 3 affiches pour RTL, le Figaro.TV et Entreprendre où on ne voit que des personnes blanches
Voilà la place des personnes noires : nulle part.
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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Le salon de l’agriculture cache-t-il les agricultrices ?

En ce moment se tient à la Porte de Versailles le Salon de l’agriculture dans un contexte politiquement très tendu, après plusieurs semaines de manifestations des agriculteurs. Et des agricultrices.
Aujourd’hui, j’analyse la manière dont le langage courant contribue à invisibiliser les femmes dans le monde agricole et je propose une alternative qui pourrait, dans certains cas, contribuer à les rendre plus visibles et audibles dans le champ médiatique et politique : le néologisme “agriculteurices” (ne vous en faites pas, tout va bien se passer).

Dans les médias, les agricultrices n’ont pas le droit d’être en colère

Une expression qui revient sans cesse pour parler de la mobilisation du monde agricole est “la colère des agriculteurs”. Une recherche dans l’onglet actualité de Google renvoie plus de 40 000 résultats de titres d’articles de presse divers et variés qui contiennent cette expression. En revanche, aucun titre ne parle jamais de la colère des agricultrices, même quand c’est une femme qui l’incarne comme par exemple Karine Duc, coprésidente de la Coordination rurale de Lot-et-Garonne (CR 47), qui prend la parole fréquemment dans les médias. On les met en couverture, mais on ne les nomme pas.

Couverture du magazine Paris Match où l'on voit une agricultrice devant un tracteur, titré "Avec nos paysans, au coeur de la révolte"

Ce qui ce joue ici est un grand classique de la langue française : l’emploi dit générique du masculin grammatical qui est censé représenter tout le monde, autrement dit, qui aurait valeur de neutre comme l’a soutenu Emmanuel Macron encore récemment. Le problème de cette conception, c’est qu’elle est fausse (comme nous le rappelions dans cette tribune parue dans Le Monde que j’ai eu l’honneur de co-signer) car elle ne rend pas compte des données scientifiques qui sont unanimes : depuis 1975, près de 400 études ont été publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture par plus de 500 universitaires sur au moins une dizaine de langues (dont le français). Le consensus scientifique est clair : le masculin dans la langue a tendance à déclencher des représentations d’hommes, et non pas de groupes mixtes.
Parler des agriculteurs, même au pluriel, déclenchera plutôt dans nos esprits la vision d’hommes sur des tracteurs que de femmes.

Or, les femmes sont loin d’être ultra minoritaires dans le monde agricole puisque 29% des exploitations sont dirigées par des femmes (seules ou avec un ou plusieurs hommes). Avec près d’un tiers de femmes, on n’est pas dans le cas d’une profession très majoritairement genrée comme les assistantes maternelles où l’emploi d’un genre grammatical majoritaire peut faire sens.
Au-delà de leur proportion dans les exploitations, il est aussi intéressant de mesurer leur rôle politique, comme le fait cet article de The conversation France, Mobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ? qui démontre que la part des femmes tend à croître considérablement dans les instances politiques agricoles (comme les syndicats) mais que leurs fonctions dans les mobilisations sont aussi marquées par des stéréotypes de genre.

Elles se présentent comme celles qui « prennent la relève » des hommes mobilisés, comme dans le cas du barrage gersois de Dému le 28 janvier dernier où est organisé, à l’initiative des agricultrices du département, une journée dédiée aux femmes et aux familles. Elles se représentent aussi comme celles qui « prennent le relais » sur les exploitations, en apportant leur soutien à l’arrière, incarnant ainsi les « épouses honorables et les gardiennes indéfectibles » de la communauté familiale.

Mobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ?, Clémentine Comer

Pour contribuer à rendre visibles les femmes dans l’agriculture, il y a pourtant un outil simple, gratuit et accessible : je vous le donne en mille, le langage inclusif.

Le salon de l’agriculture, un terme englobant mais invisibilisant

Parler de Salon de l’agriculture plutôt que Salon des agriculteurs est une manière tout à fait inclusive de nommer cet évènement. L’agriculture est ici un terme englobant (comme “monde agricole” qu’on voit beaucoup) qui neutralise et ne marque pas un genre. Alors de quoi je me plains ?

D’abord, l’agriculture renvoie à un secteur d’activité très large, loin d’être composé uniquement d’agriculteurs et d’agricultrices. Au salon, on voit aussi des marques, des institutions, des prestataires de services et j’en passe. Il aurait été imprécis de personnaliser le nom du salon autour de la seule figure des agriculteurs ou agricultrices.

Ensuite, parce qu’un évènement, ce n’est pas uniquement un nom mais aussi un ensemble de supports de communication qui sont autant d’opportunités de nommer et de rendre visibles les hommes et les femmes qui font l’agriculture. Prenons l’exemple du site web du Salon : j’ai demandé à Gemini, l’intelligence artificielle de Google, d’y compter le nombre d’occurrences des mots “agriculteur” et “agricultrice”, au singulier et au pluriel. Ô surprise, 51 occurrences au masculin contre 10 au féminin, qui sont presque toutes des descriptions accolées à des noms de participantes au salon (on parle donc de femmes spécifiques, pas des agricultrices comme groupe à part entière). Ce n’est pas pire que sur le site de la Chambre des métiers de l’artisanat, mais ce n’est pas glorieux non plus.

Cette perspective est d’ailleurs très binaire car en agriculture comme dans la population générale, les identités de genres et orientations sexuelles vont au-delà de la binarité femmes/hommes. En Bourgogne se trouve par exemple la Ferme aux Cailloux où Laurent et Christophe se mobilisent pour soutenir les “agricultRICES Trans’ Pédés Gouines BiEs de l’Yonne” en fournissant l’AMAP transpédégouine.

Récemment, je parlais de la confusion souvent opérée entre inclusif et exhaustif : non, on ne peut pas toujours représenter tout le monde dans un slogan ou encore moins un nom qui doit être court. Mais quand ce sont toujours les mêmes personnes qu’on ne nomme pas, qu’on ne visibilise pas, qui souffrent des discriminations systémiques comme une moindre rémunération ou moins d’accès aux prêts pour les agricultrices, peut-on se satisfaire de termes englobants ou du masculin générique, comme dans cette pub du Crédit Mutuel qui parle de prêt “aux agriculteurs” ?

Photo d'un kiosque à journaux où o voit une publicité du Crédit Mutuel qui dit "Pour les agriculteurs qui se lance, on lance un prêt bonifié au taux de 2%"

Si l’on reste sur le terrain de la communication, un exemple intéressant est celui des marques qui se positionnent justement sur la question de la juste rémunération : “La marque du consommateur” ou “Les agriculteurs vous disent Merci !”, deux noms (tragiquement) au masculin qui mettent pourtant aussi en avant des visages de femmes.

Un photo d'une brique de jus de pomme de la marque "Les agriculteurs vous disent merci !" où l'on voit le portrait d'une agricultrice, et d'une brique de lait "C"est qui le patron ?!" où il est écrit "Ce lait rémunère au juste prix son producteur"

Il y a deux choses qui me chafouinent sur ces packagings :

la dissonance linguistique que je ressens entre le portrait de Mélissa, présentée comme agricultrice, et le “0,58€ pour l’agriculteur” juste à côté de sa tête. Ici on aurait au moins pu mettre un féminin sur les packagings où on met une femme en avant (ok, il aurait fallu une légère adaptation du visuel, mais elle a de toute façon lieu puisque les portraits sont divers sur ces emballages, et c’est d’autant moins insurmontable à l’ère de l’intelligence artificielle générative)

– producteur, patron, consommateur, commerçant, agriculteur : masculin partout, femmes nulle part. Et “La marque du consommateur” ? Quand on sait que dans 71% des cas ce sont les femmes qui font les courses alimentaires, je trouve ça un mauvais reflet de la réalité.

En toute transparence, je suis cliente de ces types de marques parce que je suis sensible à l’argument de la juste rémunération : mais j’aimerais que ce qui est revendiqué comme un positionnement politique de marque engagée se traduise aussi par une réflexion sur l’opportunité d’utiliser ces packagings, certainement écoulés à des millions d’exemplaires chaque année, pour rendre visible par les mots celles qui souffrent le plus économiquement dans le secteur agricole. Il est temps d’accorder de l’importance à cet impensé de la communication qu’est le genre des mots et à mobiliser le langage inclusif sur tous les supports (pub, packagings, PLV…), d’autant que ça ne coûte pas plus cher.

Osons parler des agriculteurices

Vous allez me dire : minute papillon, c’est bien gentil cette intention mais concrètement on fait comment ?
Et vous auriez raison, parce que le mot agriculteur est typiquement plus compliqué que d’autres à gérer avec la boîte à outil du langage inclusif.

Pour éviter le masculin générique, on a en gros 4 techniques principales :
utiliser les doublets (ou double-flexion), c’est-à-dire énumérer les deux genres comme “éleveurs et éleveuses”. Marche à tous les coups mais parfois trop long, surtout avec des mots de plus de 3 syllabes comme “agriculteurs et agricultrices”.
remplacer par un terme englobant, comme le monde agricole, par exemple, mais on perd en précision.
remplacer par un terme épicène (par exemple artiste au lieu de musicien), mais ici, je n’en vois pas.
utiliser le point médian : j’en ai personnellement un usage dit raisonné, ce qui veut dire que je ne l’utilise que quand le mot au masculin et féminin sont proches comme étudiant·e ou paysan·nes (mot plus facile à rendre inclusif mais qui est aussi positionné politiquement et pas forcément revendiqué par tout le monde de l’agriculture). Je n’utiliserais pas le point médian sur un mot comme agriculteur·ice ou une autre forme de graphie comme agriculTRICE, ou agriculteur\trice car la coupure du mot paraît moins naturelle et suscite potentiellement plus de résistance (rappelons que le point médian était rejeté par 61% des internautes en 2021, d’après une étude Google x Mots-clés).

Ces pistes sont donc assez peu satisfaisantes. Mais il y en a d’autres comme la reformulation : plutôt que “Ce lait rémunère au juste prix son producteur”, on peut dire “Acheter ce lait rémunère sa production au juste prix”.
Le problème ici est qu’on perd l’incarnation (ce sont les gens qui produisent qui sont importants et qu’on veut mettre en avant), et l’accroche est donc moins impactante.

Et c’est dans des cas comme ça qu’on peut laisser libre cours à sa créativité et opter pour une autre approche : le néologisme, c’est-à-dire l’invention d’un nouveau mot. Et si on parlait des agriculteurices ? Sans point médian ou autre forme de ponctuation, mais en un mot.

La langue française est une langue vivante qui, comme le disent Laélia Véron et Maria Candea, “est à nous”. Chaque année de nouveaux mots font leur apparition dans les dictionnaires pour nommer de nouvelles réalités ou ancrer de nouveaux usages. Si vous écoutez des podcasts (surtout féministes, certes), vous avez peut-être entendu le mot “auditeurices” ou “lecteurices” qui se répandent.

Moi je dis que parler des agriculteurices est une manière de rendre audible et visible la mixité de cette profession tout en attirant l’attention sur celles dont on ne parle pas assez, par une formulation provocante qui ne manquera pas de susciter des résistances (79% des internautes étaient défavorables aux néologismes de ce type en 2021) mais témoigne aussi d’un engagement authentique pour l’égalité de genre dans le monde agricole.
Je dis que quand on est une marque engagée ou qu’on travaille avec des marques engagées, on passe à côté d’une opportunité concrète et gratuite de signaler cet engagement.
Parler des agriculteurices, c’est convoquer la représentation mentale de femmes et d’hommes sur des tracteurs, dans des exploitations, dans des bergeries. Et je trouve ça plus juste, plus précis et plus engagé que toutes ces affiches au masculin générique qui s’accumulent sur les stands du Salon de l’agriculture.

Photos d'affiches prises au Salon de l'Agriculture où l'on voit l'omniprésence de mots masculins comme producteurs, artisans, agriculteur ou paysan.

Oui, cela signifie faire preuve d’une forme de courage, de courir le risque de la polémique, mais dans un cas comme celui-là, l’adage selon lequel “il n’y a pas de mauvaise publicité” prend un sens juste et pertinent.

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Marketing et marques d’amour : une histoire qui s’écrit en inclusif

Un des secteurs les plus avant-gardistes dans l’utilisation du langage inclusif en publicité est certainement celui de l’amour. Je parle par exemple des applications de rencontre ou des entreprises qui vendent des produits ou des services en lien avec les relations amoureuses ou sexuelles. En ce moment, dans le métro parisien, on peut par exemple voir une campagne de publicité pour Passage du désir, le “N°1 lovestore en France” qui met en avant 3 couples aux profils très différents pour promouvoir les petits cadeaux qui font le grand amour pour la Saint Valentin. L’occasion de revenir sur deux idées qui traversent la question de l’usage du français inclusif en publicité : la théorie du signalement et la distinction entre inclusif et exhaustif.

Parler d’amour, c’est penser le genre (des mots)

La première chose qui a attiré mon attention dans cette campagne est le slogan de la marque “Boutique de cadeaux pour les grand·e·s” qui est écrit en inclusif (avec deux points médians là où un aurait suffi, mais ne chipotons pas), ce qui est suffisamment rare pour être remarqué. Comme je le partageais déjà il y a quelques mois en analysant le slogan de Danone “Champions à tous les âges de la vie”, le genre des mots des slogans est la plupart du temps impensé en publicité.

Publicité pour la marque Passage du désir où l'on voit deux femmes s'embrasser, avec le slogan "Love unlimited"


Il est assez naturel que la question du genre des mots soit plus présente dans la communication d’entreprises comme Tinder ou Passage du désir car elles sont bâties sur une segmentation des audiences où la question du genre, au sens large, est déterminante.
Quand je parle de genre ici, je parle à la fois d’identité de genre (est-ce que m’identifie comme un homme, une femme, une personne non-binaire), mais aussi d’orientation sexuelle (suis-je attirée par les hommes, les femmes, les deux, aucun des deux) qui sont deux choses tout à fait distinctes mais également cruciales pour ces marques qui peuvent avoir une communication différenciée en fonction de là où chaque consommateur ou consommatrice se situe.
Si la distinction entre identité de genre et orientation sexuelle est floue pour vous, c’est ok , The genderbread person est l’image qu’il vous faut pour tout comprendre en un clin d’oeil.

The Genderbread person : une illustration d'un personnage inspiré de bonhomme en pain d'épice qui définit l'identité de genre (dans son cerveau), l'expression de genre (ce à quoi il ressemble), l'orientation sexuelle (dans son coeur) et le sexe biologique (entre ses jambes).



Réfléchir à la question du genre du langage dans sa communication, a fortiori quand on est une marque qui parle d’amour et de sexualité, c’est reconnaître l’importance de la diversité des expériences des personnes dans leur rapport à leur propre genre ou à celui des personnes qu’elles fréquentent. C’est contribuer à visibiliser ces expériences dans l’espace public. C’est signaler concrètement qu’on les considère comme valides.

Vous me direz certainement qu’on n’a pas besoin que des marques valident notre histoire d’amour ou qui nous sommes et c’est parfaitement vrai. En revanche, le pouvoir d’exposition des marques est tel, leur capacité à créer des imaginaires si puissante, que leur attention au genre des personnes et des mots dans l’espace public à travers la publicité contribue fortement à rendre cette réalité visible mais aussi de plus en plus banale, ordinaire. Et cela rend sur le long terme plus facile la vie des personnes qui ont une expérience du genre considérée comme hors-norme (c’est-à-dire en dehors de la norme hétérosexuelle).

Utiliser le néopronom “iel” dans des posts sur Instagram, comme le fait parfois Tinder, ou promouvoir les “culottes menstruelles pour tous.tes” (et non seulement pour toutes, afin d’inclure les hommes trans qui ont leur règle), comme le fait Moodz, c’est pour moi une manière très concrète à la fois d’inclure activement toutes les personnes concernées et de rendre visible ces expériences au plus grand nombre.

Signaler le genre : vertu ou récupération ?

Peut-être penserez-vous qu’il s’agit d’une forme d’activisme commercial destiné à rester dans l’air du temps sans réel engagement, en alignant sa communication avec le vécu et les attentes de sa cible ? C’est ce qu’on appelle le virtue signalling ou vertue ostentatoire et c’est une des mécaniques du diversity washing, ou du feminism washing. Je ne nierai certainement pas que ça existe mais pour le confirmer, il faut analyser attentivement la congruence (c’est-à-dire l’alignement) entre les pratiques de communication d’une entreprise (par exemple, utiliser l’écriture inclusive), ses valeurs (promouvoir ou non l’égalité de genre de manière explicite) et les actions qu’elle met en oeuvre concrètement en tant qu’organisation (qu’elle les communique en externe ou pas) : l’essai Féminisme Washing, quand les entreprises récupèrent la cause des femmes de Léa Lejeune offre une démonstration des incohérences entre les pratiques et la com des entreprises qui se déclarent défenseuses de l’égalité de genre.

Moi je pense qu’à l’heure où le sexisme ne recule plus, où les suicides d’ados trans se multiplient, où le Président de la République lui-même incarne le backlash sur #meetoo ou le droit à disposer de son corps, il n’est ni sans risque ni sans impact pour une marque de se positionner sur ce sujet (souvenez-vous du boycott de Gillette après leur campagne qui visait à déconstruire notre vision d’une masculinité toxique). Je dirais même que c’est de sa responsabilité quand elle se positionne sur le marché de l’intime, car selon une idée chère aux féministes l’intime est politique, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas échapper même dans notre sphère privée et dans notre corps aux différentes oppressions du système patriarcale. Et le monde économique, le marché capitaliste dans lequel opère la publicité, fait partie intégrante des dynamiques politiques au sens large qui définissent la manière dont nous vivons notre intimité.

Si on revient au sujet du langage inclusif, ce que je trouve particulièrement intéressant, notamment avec ses formes les plus remarquables (dans le sens de visible) comme le point médian, c’est que ce sont des outils simples et concrets pour signaler qu’on a pensé à la question du genre. Quand je travaillais chez Google, on m’avait expliqué ainsi la théorie du signalement (signalling theory) qui démontre l’impact des signaux qu’on envoie à notre environnement : “si une personne te croise dans les couloirs du bureau, elle ne sait pas forcément qui tu es et si tu une alliée des personnes homosexuelles. Si tu as collé sur ton ordinateur l’autocollant de Pride@Google (la communauté des personnes LGBTQIA+ de Google et leurs allié·es) ou que ton badge est suspendu par une lanière arc-en-ciel (symbole LGBT), alors tu signales concrètement que tu es concernée ou alliée. Et cette personne comprendra sans que tu ais besoin de le dire qu’elle peut être à l’aise de parler de son ou sa partenaire de vie, quel que soit son genre”.

C’est simple, efficace, puissant, gratuit. Cela ne suffit pas à éliminer les discriminations, ça ne déconstruit pas tout le système, mais ça crée les conditions d’un échange plus sécurisant et ça suscite des représentations favorables : les mêmes arguments que je mets en avant pour défendre la pratique d’un langage inclusif en publicité.

Ok, mais quand on est une marque, on ne peut pas signaler son engagement pour toutes les causes ? Et si je fais de l’inclusif en utilisant le point médian, finalement je ne représente pas tant que ça les personnes non-binaires ? Alors on fait quoi ?

Inclusif ne veut pas dire exhaustif

C’est la deuxième raison pour laquelle la campagne de Passage du désir m’intéresse : la représentation visuelle des couples mis en scène témoigne d’une volonté manifeste de diversité. On y voit un couple de lesbiennes dont une femme racisée, deux couples hétérosexuels, dont un qui semble dans la vingtaine et un autre plutôt dans la soixantaine (et ici, je parle bien de ce que je perçois de l’expression de genre des personnes, je vous réfère à The genderbread person ci-dessus pour saisir la nuance).

Dans ces affiches, on a donc plusieurs dimensions visibles de l’identité : genre, race, orientation sexuelle. On ne voit pas de handicap. La seule personne racisée est noire. L’expression de genre des personnes est assez binaire.

Aurait-il fallu essayer de représenter ces aspects visibles pour cocher une case supplémentaire ? Pas nécessairement, car si la diversité des représentations n’est qu’un exercice de case à cocher, on passe à côté du sens profond de la démarche pour n’être que dans une manifestation forcée des attentes des consommateurs et consommatrices (le fameux virtue signalling) qui sont 70% à penser que la diversité dans la publicité est importante mais également 67% à penser que les marquent représentent des personnes diverses pour surfer sur des tendances ou être politiquement correctes, selon le baromètre Kantar Inclusion & Diversité dans les campagnes publicitaires françaises.

C’est une des peurs récurrentes de la part des publicitaires qui ont envie de mieux représenter la diversité des personnes mais craignent de ne pas pouvoir représenter tout le monde, et de s’en voir critiqué·es parce qu’il manque une personne noire, handicapée ou un couple homosexuel. Cette peur se fonde sur ce qu’on peut assimiler à une croyance limitante (c’est-a-dire une idée qu’on se fait sur soi-même, dont on s’est convaincu et qui nous freine dans nos actions) : si on ne fait pas preuve d’exhaustivité dans la représentation de la diversité, alors on échoue et la critique sera féroce (la fameuse peur du backlash ou retour de bâton).

Or cette croyance passe à mon sens à côté de deux facteurs déterminants :

l’orchestration de la publicité dans une campagne plus large c’est-à-dire le fait qu’une campagne publicitaire compte rarement une seule image ou vidéo mais souvent plusieurs, diffusées sur des canaux différents, qui sont autant d’occurrences possibles pour montrer des personnes différentes (ce que fait Passage du désir avec ces 3 visuels, souvent affichés côte-à-côte dans le métro).

la construction des valeurs de la marque sur un temps long, au-delà de la publicité : assumer qu’une campagne n’est pas exhaustive est d’autant plus facile qu’en tant que marque on se sent solide – et je ne dis pas irréprochable, simplement solide – et authentique dans ses engagements, que ce soit dans la publicité mais aussi dans la diversité des équipes, les prises de paroles institutionnelles ou encore les modes de recrutement.

En d’autres termes, ne pas être exhaustif dans une campagne n’empêche pas d’être dans une démarche authentique d’inclusion en tant que marque. Et c’est sur le temps longs et plusieurs campagnes consécutives qu’il faut juger de la diversité des personnes mises en avant.

Du love au care marketing

Si pendant longtemps, le marketing n’a juré que par le Graal de devenir une love brand (une marque qui veut être aimée inconditionnellement, dont la cible est plutôt constituée de fans que de client·es ), les besoins exprimés par les internautes nous indiquent qu’on recherche de plus en plus des care brands, c’est-à-dire des marques qui font attention à nous et qui nous sommes pour prendre soin de nous. C’est très observable dans le domaine de la beauté, lui aussi très intime.
En tant que consommatrice, je préfère de loin la promesse du soin à celle de l’amour venant d’une marque, car je la trouve plus alignée avec le rapport fondamentalement marchand que nous entretenons et qu’elle rentre en résonance avec la thématique du care exploré par les mouvements féministes depuis plusieurs années. Pour moi, une marque qui utilise un langage inclusif est d’une certaine façon dans le soin, car l’attention qu’elle témoigne à la question du genre des mots de sa communication contribue à réparer ce que l’usage permanent du masculin dit générique renforce : l’invisibilisation des femmes. Et si les marques peuvent contribuer à ce travail de réparation entamé par les féministes, même si les intentions ne sont pas nécessairement politiques, je prends, car j’y vois un progrès. Et j’ai envie de prendre comme des marques d’amour ce marketing des marques de l’amour.

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Est-ce que ce monde est sérieux ? Pourquoi dire et ne pas dire

La publicité aussi a besoin de relectures sensibles

Souvent, en début d’année, je cherche un mot qui va me donner un cap pour les 12 mois à venir. L’année dernière, c’était step change, passer à l’étape supérieure. Ce que je n’ai pas mal réussi en quittant une boîte où j’étais depuis 10 ans pour me lancer dans la formation en communication inclusive et le coaching. En contribuant à un livre. En passant à la télé. Et d’autres petites choses.
Pour 2024, un mot trotte dans ma tête depuis quelques mois : sensibilité. Je ne sais pas encore très bien comment il peut devenir un mot d’ordre mais j’ai envie de l’explorer. Notamment depuis que j’ai découvert qu’une traduction française qui circule pour l’expression sensitivity readers est celle de démineur éditorial. J’en ai perdu mon anglais.

Quand la sensibilité fait l’actualité

Depuis quelques années, on parle en France des sensitivity readers, des personnes chargées de relire des œuvres avant parution (souvent des romans mais aussi de la littérature jeunesse) avec un prisme inclusif, c’est-à-dire en repérant la présence de stéréotypes ou de formulations imprécises qui pourraient avoir pour conséquence de blesser certaines personnes.
En France, les médias se sont emparés du sujet à la rentrée littéraire de septembre 2023 quand l’auteur canadien Kevin Lambert a été nominé au Goncourt pour son roman Que notre joie demeure, ouvrage qui a fait l’objet, à sa demande, d’une relecture sensible. Il n’a finalement pas gagné ce prix mais a contribué à créer un cycle médiatique autour de ces (re)lectures sensibles : on parle d’un phénomène venu des Etats-Unis qui questionne la liberté d’expression des auteurs et autrices et évoque une censure au nom de la protection de la sensibilité des “minorités” (je dirais des groupes minorisés, ça serait déjà plus précis).

Les opinions se forment et le fantasme naît, dans le droit sillon de la polarisation des opinions sur les sujets qui font l’actualité sociétale des dernières années : la cancel culture, l’appropriation culturelle ou l’écriture inclusive. D’un côté un discours qui tend à dénoncer une censure de la pensée et une hypersensibilité des personnes discriminées, de l’autre la dénonciation d’une posture considérée comme réactionnaire et défendue par des personnes privilégiées.

Spoiler alert : c’est évidemment plus complexe que ça.
Comme toujours, ce qu’il manque au “débat” est la nuance et le regard critique, c’est-à-dire la capacité à examiner le sujet dans ses aspects constructifs et problématiques pour former son jugement.

A la place, on a une caricature, une parodie, comme dans le roman de Tania de Montaigne, Sensibilités, paru en septembre 2023, le deuxième élément à nourrir ce cycle médiatique. Présenté comme une fable ou une satire, ce roman raconte l’histoire d’une lectrice sensible dans une maison d’édition cotée en bourse qui s’appelle Feel Good, à l’affût du moindre dérapage potentiel qui pourrait avoir un impact sur la sensibilité du lectorat et la valeur de l’action. Tania de Montaigne explique que des éléments de son roman sont inspirés de son expérience personnelle et je ne doute pas de l’authenticité des situations qu’elle a pu vivre (elle parle notamment d’un renommage d’ouvrage qui finit vidé de son sens de manière totalement absurde).
Ce qui me chagrine dans ce récit est qu’il présente les sensitivity readers de manière très manichéenne et ne témoigne pas d’une once de regard critique sur ce métier. A dépeindre ce personnage comme une femme finalement bête, l’autrice manque de soulever les interrogations et besoins légitimes de reconnaissance et d’inclusion à l’origine même de l’émergence de ce métier. Vous me direz que c’est le propre d’une satire de “s’attaque(r) à quelque chose, à quelqu’un, en s’en moquant”. Mais est-il pertinent de se moquer de quelque chose en accentuant des traits qui sont injustement attribués, voire faux ? Est-il responsable de donner à son expérience individuelle une telle résonance en la généralisant à tout un métier dont l’objectif est avant tout de faire progresser la société vers des représentations plus justes ?

Les amalgames de la colère

Déminage ou conseil

La manière dont on choisit de traduire sensitivity reader en français en dit long sur sa posture : d’un côté des traductions comme démineur éditorial, lecteur censeur ou contrôleur en sensibilité (toujours au masculin, d’ailleurs) présentent une version où la relecture sert à enlever quelque chose (on retire une mine pour qu’elle n’explose pas, on censure des mots pour qu’ils ne blessent pas et éviter les polémiques) là où parler de lecteur ou lectrice sensible ou en sensibilité (je mettrais personnellement sensibilités au pluriel) met l’accent sur la qualité qu’on cherche à donner à un ouvrage. Julie Michel-Gielen, qui fait de la relecture sensible en littérature jeunesse et avec qui j’ai échangé il y a quelques jours, me disait d’ailleurs qu’elle n’aimait pas beaucoup l’utilisation du mot sensible pour désigner cette activité car elle sait l’amalgame qui est fait entre sensibilité (l’aptitude à réagir à son environnement), susceptibilité (se sentir blessé·e dans son amour-propre, c’est-à-dire le sentiment qu’on a de sa propre valeur, de sa dignité, et qui pousse à agir pour mériter l’estime d’autrui) et sur-réaction (“on ne peut plus rien dire”), dans une perspective souvent sexiste (“ces femmes qui ne savent pas contrôler leurs émotions”). Et ce n’est pas la seule à chercher des alternatives : Chloé Savoie-Bernard, poétesse d’origine québécoise et haïtienne, qui a relu le roman de Kevin Lambert, est présentée comme “consultante éditoriale”.

Censure ou amélioration

Dans un article où Kevin Lambert explique sa démarche, il donne un exemple très concret qui démontre bien en quoi la relecture sensible est une forme de conseil et non de censure.

 Je dis simplement que les réactionnaires établissent un raccourci entre lecture sensible et censure, qui est selon moi faux. Mon expérience le démontre : le point de vue de Chloé m’a permis d’amplifier mon personnage, de l’enrichir, d’explorer des zones que je ne m’autorisais pas moi-même à explorer. C’est presque l’inverse d’une censure. Cela m’a aussi permis d’éviter des maladresses. Par exemple, à un moment j’écrivais que le personnage rougissait, mais Pierre-Moïse est noir : il ne peut pas vraiment rougir. C’est l’exemple d’une erreur bête qu’un blanc peut faire, simplement parce qu’il n’y a pas pensé : je suis bien content de ne pas l’avoir laissée dans le livre.

Kevin Lambert répond à Nicolas Mathieu : “La lecture sensible, c’est presque l’inverse d’une censure”, dans Télérama

La relecture sensible, “c’est essayer d’entendre ce qu’on écrit d’une autre oreille” : je vous encourage à écouter cette courte chronique de Christine Angot sur la relecture sensible où elle partage en 3 minutes une vision que je trouve très juste sur cette pratique.

Pour eux [les auteurs qui dénoncent les sensitivity readers, ndlr], c’est l’agent d’un contrôle social sur l’écriture.

Et ils utilisent le mot anglais pour faire « menace étrangère ».

C’est marrant. Parce que, en revanche, quand il est question de faire relire à des membres de la famille qui pourraient être « heurtés » dans leur sensibilité, un roman où ils risqueraient de se reconnaître sous les traits d’un personnage… alors là, tout le monde trouve ça délicat et formidable, humain, respectueux de la vie privée, et de la famille au sens strict. Et celui qui ne le fait pas a vite fait de passer à leurs yeux pour un monstre froid.

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Faire relire un manuscrit, ce n’est pas se soumettre à un contrôle. C’est essayer d’entendre ce qu’on a écrit d’une autre oreille. La littérature se fait dans un temps donné, contemporain, parcouru par tout un réseau de sensibilités, les siennes, celles des autres, l’air, et les mots du temps. On ne peut pas écrire si on ne ressent pas tout ça, en même temps.

Christine Angot, La langue n’est pas un bien personnel, chronique sur France Inter

Le principe d’une relecture est de fournir à l’auteur ou l’autrice des pistes d’amélioration de son œuvre. Comme une éditrice qui relit l’ouvrage d’un auteur pour signaler des faiblesses dans la structure narrative ; comme un fact-checker qui va pointer du doigt les imprécisions d’une situation quand l’ouvrage s’apparente à un travail journalistique avec l’objectif de dépeindre avec réalisme une situation ou une personne ; comme un secrétaire de rédaction qui va retravailler une formulation pour la rendre plus compréhensible ; comme une avocate qui va s’assurer que les propos du livre ne peuvent pas être considérés comme diffamatoires ou contraires à la loi. Une lecture sensible cherche à aider l’auteur ou l’autrice à prendre conscience des stéréotypes et de la portée potentielle de ce qu’il ou elle a écrit.

Il faut bien comprendre que dans son intention la relecture sensible est une invitation, pas une injonction : Julie explique que quand elle relit un manuscrit, elle fournit un document qui détaille à l’autrice (car pour le moment, seules des femmes font appel à ses services) tout ce qu’elle a repéré d’imprécis ou stéréotypé dans son ouvrage avec un préambule systématique précisant que ce ne sont que des recommandations dont l’autrice fera ce qu’elle souhaite.

Evidemment, la relecture sensible n’est pas une pratique uniforme : c’est un métier récent (qui apparait aux Etats-Unis vers 2018), exercé par des personnes souvent concernées elles-mêmes par une forme de discrimination, souvent militantes, pour lequel il n’existe pas (à ma connaissance) de filière de formation ni de code de déontologie. Et comme dans toute profession, il y a des personnes qui l’exercent plus ou moins bien, avec plus ou moins de bienveillance ou de dirigisme.
S’il est difficile d’avoir une vision exhaustive des gens qui pratiquent ce métier, ma conversation avec Julie, qui fait partie d’un groupe d’une soixantaine de lecteurs et lectrices sensibles en France, m’a confirmé que leur profil est plus proche de celui de personnes engagées, travaillant sur demande d’une autrice ou d’un auteur, dans une posture de conseil bienveillant et d’amélioration éditoriale, que celui d’une femme blanche privilégiée obsédée par le cours de l’action de sa maison d’édition, comme la dépeint Tania de Montaigne.

Relecture ou révisionnisme

Le langage inclusif et la relecture sensible ont aussi en commun le procès en révisionnisme. Quand on accuse celles et ceux qui préfèrent l’utilisation de la formulation inclusive “droits humains” à celle de “droits de l’homme” de vouloir renommer la déclaration de 1789 (ce que personne ne demande), les relectures sensibles sont accusées de conduire à la réécriture de textes historiques, comme les fameux exemples cités à l’envi de la mise à jour de la traduction française du livre Les 10 Petits Nègres d’Agatha Christie devenu Et ils étaient 10 (le titre original est And then they were none) ou les livres de Roald Dahl expurgés de certains termes jugés offensants. Si à l’origine de ces démarches on retrouve bien la même idée de l’adaptation aux sensibilités contemporaines dont parle Christine Angot, les sensivity readers qui exercent aujourd’hui se concentrent sur les nouveaux ouvrages, pas les anciens. L’objectif est de donner aux auteurs et autrices tous les éléments de contexte pour prévenir la perpétuation de stéréotypes délétères et les représentations imprécises, pas de réparer les stéréotypes du passé.

Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut pas essayer de les réparer ? Je ne le crois pas : le mot clé dans ce cas est celui du contexte. Je ne peux pas expurger la bibliothèque de mes enfants de livres contenant des stéréotypes mais je peux les accompagner dans la lecture, en discuter avec eux, leur donner les éléments de contexte pour qu’ils comprennent ce qui est problématique. Je peux les aider à prendre conscience des stéréotypes présents afin qu’ils soient capables de les repérer eux-mêmes par la suite. En d’autres termes, développer leur esprit critique. Je trouve ça plus efficace et pérenne que de simplement effacer les traces de discriminations.

C’est pourquoi je trouve intéressante la démarche de Disney qui a déplacé certains contenus de son catalogue destinés aux enfants dans la section adulte de sa plateforme de streaming avec un encart placé au début du film qui explique qu’il date d’une époque où les représentations étaient racistes ou sexistes. Donner une grille de lecture plutôt qu’empêcher la lecture.

Encore faut-il avoir, en tant que parent, conscience des stéréotypes et arriver à les repérer : et ce n’est pas facile quand on a intériorisé le sexisme, le racisme, la grossophobie et j’en passe depuis son enfance. La contextualisation des ouvrages du passé avec ce type d’encart sert de pointeur pour encourager à l’examen critique des œuvres.

Capture d'écran du site Disneyplus où il est écrit : "Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient déplacés à l'époque et le sont encore aujourd'hui. Plutôt que supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaître son ingfluence néfaste afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, d'engager le dialogue et de bâtir un avenir plus inclusif, tous ensemble.
Disney s'engage à créer des histoires sur des thèmes inspirants et ambitieux qui reflètent la formidable diversité de la richesse culturelle et humaine à travers le monde."

Manifeste pour une publicité sensible

En y réfléchissant, ce que je fais avec re·wor·l·ding et dans ma newsletter, c’est une forme de lecture sensible. Je suis lectrice sensible en publicité. Ma sensibilité, celle qui fait ma personnalité mais aussi celle que j’ai développée en m’éduquant sur les discriminations qui blessent les sensibilités des autres, est un signal que j’utilise pour repérer, analyser, déconstruire. Le problème est qu’aujourd’hui, je l’exerce a posteriori, ce qui n’est pas le principe : il faudrait relire les publicités avant qu’elles soient diffusées.

Et franchement, je crois que c’est ce dont la publicité a besoin : il ne s’agit pas de devenir directrice artistique à la place des DA, ni de censurer les agences de pub, mais de contribuer à conscientiser les mécanismes discriminatoires et les représentations stéréotypées qui pullulent dans la pub. Parce que les gens de la pub sont pétris de stéréotypes. Comme nous le sommes tous et toutes.

Et la pub a une responsabilité : même si un Goncourt se vend en moyenne à 400 000 exemplaires, cela reste une exposition très faible au vu de la population française. Alors que la publicité touche presque tout le monde, tous les jours, tout le temps, sur tous les supports. En ce sens, elle a un pouvoir encore plus grand que la littérature à transformer les imaginaires : et elle peut décider de l’utiliser pour perpétuer des stéréotypes ou les déconstruire.

Dans son livre, Tania de Montaigne, comme beaucoup de détracteurs et détractrices de la lecture sensible, y voit un nouvel avatar du capitalisme : on ne veut pas offenser les gens mais segmenter le marché littéraire afin que chaque groupe, minorisé ou pas, trouve des livres qui le représente bien et achète plus. Je crois que cette analyse est erronée car le monde de l’édition n’a pas attendu les lectures sensibles pour user de segmentations marketing et qu’il me semble que les livres polémiques se vendent mieux que les autres.
Instrumentaliser la sensibilité des personnes minorisées pour dénoncer la société de consommation, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité pour qui s’est intéressé au lien entre capitalisme, oppression et domination.

Si je voulais être cynique, j’utiliserais cet argument pour convaincre le monde publicitaire, qui cherche à faire vendre des produits et des services, que c’est précisément ce dont il a besoin.
Sans cynisme, on peut considérer que renverser le pouvoir de la publicité et la mettre au service de la déconstruction des stéréotypes nés des logiques d’oppression, c’est jouer à l’arroseur arrosé.

Personnellement, je préfère l’option 2. Et 2024 sera donc pour moi l’année où la publicité deviendra sensible.

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

J’ai testé le langage inclusif avec mes enfants

A l’approche de Noël, les magasins, magazines, PLV (publicités sur le lieu de vente), spots TV et autres bannières sur le web se recouvrent de pubs pour des jouets, et plus généralement pour des cadeaux que vous aurez (ou non) envie d’offrir à vos proches. L’intensification commerciale s’accompagne d’une intensification publicitaire et des clichés genrés autour des “idées cadeaux”. Je vous recommande vivement de suivre Pépite Sexiste sur le web pour des exemples plus ou moins grossiers d’utilisation des tactiques de ce qui appelé le lazy marketing ou marketing fainéant : celui qui sexualise les femmes (pour vendre du carrelage) ou qui tire sur les grosses ficelles des stéréotypes pour vendre des poupées aux filles et des camions aux garçons (et oui, en 2023, il y en a encore beaucoup des comme ça).

Jouets et jeux : beaucoup de stéréotypes, quelques bonnes surprises

Qu’on soit parent ou qu’on ait des enfants dans son entourage, s’extirper des stéréotypes de genre liés aux jeux et jouets est loin d’être évident : d’abord parce qu’il faut en avoir conscience, mais également parce que les enfants sont des êtres qui se socialisent aussi en dehors du foyer familial et que l’éducation sans stéréotypes de genre que vous essayez peut-être de transmettre à vos enfants est en concurrence permanente avec l’école, les copains et les copines, les grands-parents s’il y en a, et j’en passe. En plus, il n’est pas toujours évident (et oserais-je dire souhaitable) de refuser de faire plaisir à un enfant qui veut absolument ce jouet que nous on déteste parce qu’il est terriblement cliché (“tu es sûre, Annie, que tu veux un fer à repasser pour Noël, vraiment ?”) et/ou dans un autre genre, pas du tout durable (“Sami, le garage tout en plastique qui va se casser en 3 minutes, est-ce vraiment si cool que ça ?”).

Et parfois on a des bonnes surprises, comme Andor Junior, un jeu de société collaboratif de Inka et Markus Brand où l’on doit sauver des louveteaux avant que le dragon n’atteigne le château. Dans ce jeu, on peut incarner 4 personnages : chacun a une carte et un pion qui le représente à deux faces, avec la version féminine ou masculine qu’on choisit comme on veut. Sur la boîte, une utilisation intelligente de l’alternance masculin/féminin fait exister la mixité des personnages sans lourdeur ni point médian dans le visuel et dans le texte :

Dans le jeu coopératif Andor Junior, vous incarnez une Magicienne, un Guerrier, une Archère ou un Nain. Chaque partie vous réserve de nouveaux défis à affronter ensemble.

Andor Junior

Certes, toute la règle du jeu n’est pas écrite en inclusif mais il est fait une mention explicite de la valeur générique du masculin qui a le mérite de signaler qu’on y a pensé :

Sur chaque fiche, un côté représente un héros et de l’autre une héroïne. Ces variantes ont les mêmes caractéristiques. Choisissez celle qui vous plaît le plus et prenez le pion correspondant. Quand il est question de “héros” dans le texte, cela vaut aussi pour l’héroïne et inversement.

Visuel de la boîte du jeu Andor Junior où l'on voit une magicienne, un chevalier, une archère et un nain

Franchement, c’est réjouissant, innovant et ça ne semble pas terriblement compliqué à mettre en œuvre.

J’ai une autre idée cadeau pour vous aujourd’hui, celui que je fais à mes enfants depuis plusieurs années, qui déconstruit les stéréotypes sans me coûter un centime : le langage inclusif.

J’ai testé le langage inclusif avec mes enfants. Vous ne devinerez jamais ce que j’ai appris.

J’ai trois garçons de 4 ans (moyenne section de maternelle), 7 ans (CE1) et 10 ans (CM2). Evidemment, ce sont les plus beaux de la terre, et les plus intelligents, mais là n’est pas la question.
J’ai commencé à m’intéresser au langage inclusif et à le pratiquer au début de l’année 2021. Je parle et j’écris en inclusif tout le temps (allez, 99% du temps), y compris en famille.
Cela signifie que mon fils le plus jeune a depuis ses 18 mois, au moment où lui-même a acquis la parole, toujours été exposé à un langage inclusif de ma part ; mon fils cadet à partir de ses 5 ans, c’est-à-dire avant l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire ; mon fils aîné alors qu’il avait déjà bien entamé l’apprentissage du français.

En presque 3 ans de pratique à la maison, j’ai observé 3 choses importantes.

Mimétisme et représentations

D’abord, un effet de mimétisme, plus important à mesure que l’enfant a été exposé jeune au langage inclusif. Je le notais déjà dès les 3 premiers mois de ma pratique dans ce récapitulatif de mes premiers enseignements.

Mais le phénomène de mimétisme le plus flagrant s’est produit sur mon fils cadet qui a presque 5 ans (en moyenne section de maternelle). Evidemment, nous parlons beaucoup d’égalité femmes-hommes à la maison, d’autant plus que j’ai 3 garçons. Ils ont déjà entendu maintes fois parler de patriarcat, de sexisme et les histoires que nous lisons (que je ne choisis pas toujours) sont souvent le support d’exercices de déconstruction (les princesses mariées par leur père, it’s not ok). La semaine dernière, mon conjoint lisait justement l’histoire du soir qui commençait par “Chers lecteurs”, et mon fils de l’interrompre et de dire “et chères lectrices” ! 3 jours plus tard, discussion TopChef où je parle des candidats, et lui de me reprendre et ajouter “et des candidates”. Evidemment je fonds d’amour dans ces moments, mais surtout je réalise à quel point parler aux enfants de manière inclusive contribue à créer ces automatismes de représentations dans leurs jeunes cerveaux. Et c’est tellement encourageant !

Ce qui est intéressant dans le mimétisme, ce n’est pas tant l’automatisme de répétition de ce que dit maman car il n’est pas synonyme d’esprit critique. En revanche, l’automatisme provoque une représentation mixte car dire “les passagers et les passagères” fait exister à travers les mots de l’enfant l’image d’un avion où il y a des hommes et des femmes, langage et représentations étant intimement liées (et c’est la science qui le dit, je me répète souvent sur ce point, mais il est crucial de le rappeler). Déconstruire les stéréotypes de genre, notamment dans les métiers, passe nécessairement par la création d’une représentation mixte des personnes qui l’exercent, et l’emploi d’un langage inclusif y contribue. Pourquoi se priver de commencer jeune, avec un outil simple, accessible, naturel pour l’enfant comme l’est le langage inclusif ?

Conversations et déconstruction

Ce mimétisme observé est loin d’être systématique et il serait malhonnête intellectuellement de laisser penser que mes enfants s’expriment en inclusif tout le temps ou même la majorité du temps. En revanche, en tant que parent, j’utilise souvent le prétexte du langage pour lancer des conversations ou plus simplement poser un constat.

Comme on va reprendre un enfant qui fait une erreur de conjugaison ou d’accord (ce qui est par ailleurs un calvaire souvent injustifié, j’y reviendrai plus bas), je reprends mon fils qui parle de “l’homme préhistorique” pour suggérer de dire humain à la place. Ou je ponctue une liste de métiers dite tout au masculin de quelques féminins. Ou encore je fais des modifications de texte au moment de la lecture et je rajoute un “ou la joueuse” quand je lis la règle d’un jeu de société sempiternellement écrite pour “les joueurs” alors que moi aussi je vais jouer avec eux. Et surtout, j’explique pourquoi.

Je ne sais pas si le message imprime toujours, mais c’est une façon de très concrètement parler de mes valeurs à mes enfants tout en abordant des sujets qui peuvent les intéresser comme la science (comment fonctionne le cerveau et le lien entre les mots et le monde) ou l’histoire (savais-tu que les mots autrice et chevaleresse existaient déjà au Moyen Âge ?), mais aussi des différences et des points communs entre les filles, les garçons et tous les enfants qui ne s’identifient pas à une de ces cases. Bref, le langage, c’est une porte ouverte sur tout le reste, très concrète et vivante, à la frontière de l’éducation civique, sexuelle et des matières apprises à l’école.

Résistance et normalisation

Je me souviens que j’avais été très en colère quand j’avais vu que le livre d’histoire de mon fils aîné parlait, comme malheureusement souvent, de l’homme préhistorique. J’ai expliqué, en reprenant les travaux d’Eliane Viennot, pourquoi cette formulation est problématique, surtout quand elle est dans un livre scolaire où les visuels ne représentent que quelques femmes, toujours dévolues au même rôle de la cueillette et du soin des enfants. On sait aujourd’hui (grâce notamment aux travaux d’historiennes comme Marylène Patou-Mathis) que la réalité de la préhistoire est bien moins stéréotypée que cela, pourtant les manuels scolaires, pas toujours mis à jour, sont encore bloqués sur cette vision. Je me réjouissais d’ailleurs d’acheter le livre Nos mondes perdus de Marion Montaigne à mes enfants après avoir vu cette pub dans le métro… pour découvrir en librairie que le 4e de couverture parlait bien des hommes et non pas des humains. Dommage (ça ne m’empêchera pas non plus d’acheter ce livre parce que je sais qu’il fera plaisir à mes enfants).

Le langage inclusif à l’école est un sujet très sensible : Jean-Michel Blanquer a interdit l’écriture inclusive aux fonctionnaires de l’éducation nationale (enfin il a interdit le point médian). La valeur dite générique du français continue à être enseignée, que les enseignant·es emploient ou non la formulation “le masculin l’emporte sur le féminin”, ce que des centaines d’entre eux et elles avaient déjà refusé en 2017 quand le débat sur l’écriture inclusive a débuté en France, après que quelques points médians ont fait leur apparition dans un manuel scolaire, justement.

La réalité, c’est qu’aujourd’hui, parmi les maîtres et les maîtresses de mes enfants, j’entends parler en inclusif en sortie scolaire (“Les enfants, on attend le ou la guide qui va arriver” devant la maison de Victor Hugo) ou écrire en inclusif dans le carnet de correspondance (“pour nos jeunes lecteurs et lectrices”). Car même un ministre ne peut pas interdire les doublets, l’énumération du masculin et du féminin. C’est chouette et encourageant.

En revanche, l’école est un rouleau compresseur de normalisation : quand on dit quelque chose à l’école, c’est que c’est vrai. Et même si les petites filles sont dépitées d’entendre que “1000 chiens et 1 femme” s’accordera au masculin, on le fait. Mon fils ainé me l’a encore confirmé quand je lui demandé quelle avait été la réaction quand la règle du “masculin qui l’emporte(rait)” a été enseignée par sa maitresse : rien n’a changé depuis cette vidéo des archives de l’INA.
C’est donc sans surprise avec mon fils ainé que la sauce prend le moins car le discours que je lui tiens rentre en opposition frontale avec ce que sa maîtresse lui a enseigné, ce sur quoi il est attendu en classe et ce qui est écrit dans ses livres. C’est de là que vient la résistance.

Le langage inclusif, c’est le cadeau de l’esprit critique

Au final, même si mes enfants n’ont pas une pratique systématique du langage inclusif, je continuerai à en avoir une avec eux comme avec tout le monde. Parce que je crois en sa capacité à changer nos représentations et aussi parce que je sais que c’est un puissant moteur pour cultiver son esprit critique par les conversations qu’il provoque : remettre en question une norme établie (et si le masculin ne l’emportait pas finalement ?), avoir plusieurs sources d’information (et si mon manuel n’était pas la seule et unique version de la préhistoire ?), savoir questionner les figures d’autorité pour se faire son propre avis (et si ma maîtresse de CP ne savait pas tout ?), voilà autant d’outils qui me semblent utiles à des enfants pour les préparer à leur futur.

Avec mon fils le plus jeune, j’ai découvert le film “Ernest et Célestine : le voyage en Charabie”, un très joli dessin animé où on découvre un pays où la musique a été interdite par les juges qui décident de tout de manière arbitraire sur le principe répété à l’envi : “C’est comme ça et pas autrement”. C’est ridicule dans le dessin animé mais tellement symptomatique de la manière dont l’éducation du français est donnée aujourd’hui : sans perspective historique sur l’évolution de la langue, par l’apprentissage par coeur de règles souvent illogiques, et une pression de dingue sur l’acquisition d’une orthographe parfaite.

Et là aussi, il y a matière à déconstruire : je vous encourage vivement à lire le court tract des Linguistes atterréEs, Le français va très bien, merci ! qui, avec une approche scientifique, explique très bien que l’échec scolaire ne prend pas tant sa source chez des enfants qui seraient perdus dans les réseaux sociaux que dans une langue française complètement illogique, complexifiée à l’excès, et sanctuarisée par des institutions qui cultivent une peur irrationnelle sur une prétendue dégradation de la langue qui n’est pourtant pas en train de se produire. Ce même groupe préconise d’ailleurs une simplification de l’orthographe et une réforme de l’enseignement du français à l’école pour arrêter de perdre des heures à apprendre par coeur des règles d’accord du participe passé au profit, par exemple, de cours d’histoire de la langue.

Une réforme qui enchanterait Wilfrid Lupano, auteur, et Mayana Itoïz, illustratrice de la génialissime BD Le Lou en slip et le mystère du P silencieux (pour enfants et adultes) qui suit les aventures du Lou en slip et de Grumo, un oiseau qui veut trouver le motiste qui invente des mots à l’orthographe incompréhensible pour lui faire sa fête. Un livre très drôle (comme toute cette série de BD dont je recommande aussi Le lou en slip n’en fiche pas une, une réflexion hilarante sur le sens du travail dans un monde capitaliste dans une histoire à lire dès 6 ans) et pédagogique dont le seul défaut est de ne pas traiter du français inclusif. Je lui pardonne.


“Mais attends, on ne peut pas encourager nos enfants à faire des fautes ? J’ai pas envie de recevoir un mauvais bulletin parce que ma fille a décidé d’accorder “1000 chiens et 1 femme” au féminin !”
Certes, il y a une partie du cadeau du langage inclusif qui peut être empoisonnée par le système dans lequel nous vivons et qui s’accorde encore très largement au masculin. Qu’on encourage un langage inclusif ou qu’on questionne la nécessité d’accorder le participe passé avec l’auxiliaire avoir quand le COD est placé avant le verbe, on peut mettre les enfants dans une forme d’injonction paradoxale : j’écoute mon parent ou j’écoute la maîtresse ?
Mais là, on peut enseigner autre chose : l’agilité. La prise en considération du contexte. La mesure du risque. L’alignement avec ses valeurs. Le lâcher-prise aussi. Le “c’est ok de ne pas toujours tout faire parfaitement”. Le “fais-toi confiance”. Le “fais ce qui te semble juste”.

Et le jour où l’un de mes fils sera sanctionné pour l’utilisation d’un français inclusif, je serai là pour le défendre. Et je serai fière.

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Est-ce que ce monde est sérieux ? Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : les experts, ou le boy’s club des figures d’autorité

J’ai développé différentes expertises dans ma carrière : la nouvelle scène musicale française au début des années 2000, le monde du luxe vers 2010 et aujourd’hui le langage inclusif. Pour moi, être experte d’un sujet a toujours été important. J’aime occuper la posture de celle qui sait mais aussi de celle qui transmet, savoir et transmission étant pour moi les deux facettes intimement liées de la position d’experte. Et puis quand on est une femme experte (pléonasme assumé, vous allez voir pourquoi par la suite), on comprend rapidement que les mécaniques sexistes et misogynes du monde dans lequel nous vivons comptent double pour celles qui non seulement veulent prendre la parole, mais en plus incarner une figure d’autorité dans un champ de compétences données. Et c’est pourquoi je trouve franchement agaçante cette pub vue dans le métro il y a quelques jours.

Le boy’s club de l’expertise

C’est une campagne pour un service qui met en relation des entreprises et “des consultants ou managers de transition indépendants”, je cite. On y lit le slogan : “Voici l’expert des experts pour trouver des experts”.


Cette campagne a un deuxième volet où on lit : “Les meilleurs consultants indépendants à portée de main” à côté d’une image de femme. On note que sa tenue est emblématique de ce qui est considéré comme un vestiaire typiquement masculin (chemise blanche, veste de costume, couleurs sombres). On comprend qu’on peut faire confiance à cette femme : ses rides témoignent de son expérience, son vestiaire de son sérieux corporate, et son ordinateur de ses compétences (d’ailleurs elle est notée 5 étoiles).

Ce qui est évidemment agaçant dans cette campagne est l’utilisation du masculin dit générique pour parler des experts et des expertes (puisqu’il y en a, on le voit sur la deuxième affiche). Comme on sait (les sources scientifiques, c’est pas ici) que dire le masculin dans la langue convoque des représentations plutôt masculines dans la tête, parler uniquement des experts invisibilise les femmes et contribue à renforcer des stéréotypes de genre sur des métiers et des fonctions (l’expertise, c’est un truc de mecs).
Ce qui est terriblement frustrant ici, c’est que ce masculin dit générique est doublement pénalisant quand on parle d’une position assimilée à une figure d’autorité et plus largement des positions prestigieuses et puissantes dont les femmes ont été écartées (et continuent de l’être). Si le mot “autrice” (et ses copines philosophesse, libraresse, jugesse…) a été progressivement gommé de l’usage par des politiques linguistiques sexistes (je vous renvoie aux travaux d‘Eliane Viennot pour tout savoir de l’histoire de la masculinisation de la langue française), c’est que les hommes de l’Académie Française ne voyaient pas d’un bon oeil qu’une femme exerce ce métier de prestige et d’influence. Nommer les femmes qui écrivent “autrices” fait partie de ce processus de démasculinisation de la langue et des esprits. De même, dire le féminin “expertes” participe de la déconstruction des stéréotypes de genre associés aux fonctions et métiers prestigieux que les hommes se sont longtemps arrogés.

Alors évidemment, je comprends ce qu’on cherche à dire dans cette pub et la construction du slogan n’est pas inintéressante : mais comme je l’écrivais il y a quelques semaines, le slogan ou l’accroche ont une force spécifique et il serait vraiment utile que les entreprises commencent à penser le genre des mots des slogans. Ici, le fait de marteler le mot “expert” 3 fois au masculin enfonce encore plus le clou du genre du mot. Honnêtement, ce slogan me fait l’effet d’un boy’s club de l’expertise. Et on aurait pu faire autrement pour rendre cela plus mixte, en formulant différemment : “Notre expertise : trouver celle dont vous avez besoin”. Le point médian se prête bien au mot expert·e même si le répéter 3 fois alourdirait trop le slogan. Cela étant dit, on aurait pu en mettre au moins un : “Voici l’expert des experts pour trouver des expert·es”, qui aurait signalé qu’on y a pensé. Et dans l’affiche avec la manager de transition, on aurait pu assumer de tout mettre au féminin et incarner le message : “Florence, une des nos meilleures consultantes indépendantes à portée de clic” (je n’aime pas beaucoup qu’une personne, a fortiori une femme, soit “à portée de main”).

Mentor, mot épicène

Quelques jours après avoir vu cette pub, j’ai atterri sur le site Mentorshow, un genre de Masterclass à la française qui propose des conseils de mentors pour trouver “des réponses à ses problèmes en 15 minutes par jour”. Ne vous méprenez-pas, je ne trouve pas le concept idiot et mon ton n’est pas sarcastique. Je trouve plutôt super d’avoir accès (sur abonnement) à des contenus de savoir, d’expertise et de développement personnel à travers des vidéos qu’on peut regarder quand on veut et à son rythme. Ce qui me choque, c’est l’uniformité du profil des mentors. Des hommes. Blancs. Aux tempes grisonnantes (ce qui n’est pas un problème un soi mais trahit une forme de confusion entre l’expertise et l’expérience, c’est-à-dire l’idée que l’expertise – et la capacité de conseil qu’on y associe – est uniquement une forme de sagesse de l’âge qui exclut les moins de 30 ans).

Quelle que soit la rubrique qu’on parcourt (à part écriture, cuisine et couture, évidemment), les mentors qu’on voit sont tous des hommes : sur 41 mentors j’ai compté 5 femmes. Et 5 hommes racisés. On est très loin de la diversité flagrante des profils quand on navigue sur le site du concurrent états-unien Masterclass.
Pourtant le mot “mentor”, qui vient du nom grec du précepteur de Télémaque, est épicène, c’est-à-dire qu’il ne change pas au masculin ou au féminin (sauf par son déterminant). Mais dans notre imaginaire le mot mentor est tellement associé au masculin que parfois on se force à le décliner différemment pour les femmes, comme le fait l’association Social Builder. Sur son site, on parle de “mentor·e” dans une forme d’hypercorrection inclusive, totalement inutile dans la théorie (puisque mentor peut désigner aussi bien un homme qu’une femme) mais nécessaire dans la pratique (pour forcer la convocation d’une représentation de mentor femme).

Prendre sa place ou prendre sa part

Nous avons besoin de diversité dans les profils de toutes les figures d’autorité (qu’on les appelle expert·e, mentor, leader) qui s’expriment publiquement sur tous les sujets pour nourrir un débat sain de perspectives hétérogènes. Cela veut dire continuer à financer des initiatives comme le site de référencement Expertes.fr ou l’annuaire des talents du numérique de Diversidays. Pour rappel, aujourd’hui en France les femmes n’ont que 36% du temps de parole dans l’audiovisuel français.

Nous avons besoin que les personnes concernées soient les premières à pouvoir s’exprimer sur les sujets qui les touchent pour éviter que le débat ne soit approprié par des personnes sans doute sachantes mais qui ne réalisent pas toujours les conséquences concrètes de ce qu’elles préconisent (et éviter de se retrouver avec un plateau télé où 7 hommes discutent entre eux des sujets d’actualité, y compris de la ménopause).

Nous avons besoin de sortir du paradigme du syndrome de l’imposture qui voudrait que les femmes, et plus largement les personnes minorisées, n’osent pas prendre la parole car elles manquent de confiance en elles. Ce manque de confiance est une réalité mais combattre ce syndrome à coups de programmes pour “booster sa confiance en soi” ne peut pas suffire car c’est traiter le symptôme, pas la cause : le problème, ce ne sont pas tant les femmes (même si individuellement certaines sont très certainement introverties de nature) mais le système dans lequel elles vivent qui ne leur donne pas la parole (coucou le boy’s club des médias), les représente de manière stéréotypée, voire pas du tout (coucou “l’expert des experts pour trouver des experts”) et ne leur présente pas assez de modèles de figures d’autorité (celles qu’on nomme souvent role models) qui pourraient les aider à se projeter comme experte ou leader (coucou Mentorshow).

Evidemment, les médias ont une responsabilité critique dans la féminisation, et plus largement la diversification, des expertises. Mais si vous aussi, vous êtes expert·e dans votre domaine, que vous avez l’habitude que des journalistes vous appellent ou que vous participez fréquemment à des tables rondes, interrogez-vous : et si vous laissiez votre place à quelqu’un qu’on entend moins ? A quelqu’un qui a moins d’expérience mais autant voire plus d’expertise ? A quelqu’un qui est directement concerné·e par le sujet ?

L’enjeu de la diversification des expertises n’est pas seulement le problème des personnes dominées qui doivent faire plus d’effort pour prendre leur place. Comme le dit Wilfried Lignier, auteur de La société est en nous, comment la société engendre les individus, au micro de Etre et savoir sur France Culture, ça devrait aussi être le problème des dominants, ici les hommes, qui devraient plutôt apprendre dès leur plus jeune âge à prendre leur part. C’est-à-dire prendre conscience des dynamiques de prises de parole dans un groupe pour occuper une part de l’espace de parole qui soit équitable, pas nécessairement égale. Et parfois, à l’image de Jake Peralta, un des personnages principaux de la génialissime série Brooklyn Nine-Nine, ça veut dire savoir quand écouter et se taire.

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : les agresseurs et les agresseuses

Le 25 novembre, c’est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, une journée importante de mobilisation dans le monde entier. A cette occasion, à tous les échelons du local au global, de l’associatif au gouvernemental, sont produits des supports de communication pour sensibiliser le grand public et faire connaître les actions menées. Au premier rang de ces supports, des affiches qui seront visibles dans l’espace public et qui permettent de s’intéresser à deux questions au croisement du langage inclusif et du discours politique : comment parler des groupes qui sont très majoritairement composés de personnes d’un seul genre ? Faut-il édulcorer le discours sur les violences sexistes et sexuelles pour mobiliser sans cliver ?

Les dictatrices et les assistants maternels

Ce qu’on cherche en premier lieu quand on pratique les principales conventions du langage inclusif dans la perspective de dégenrer la langue, c’est de ne pas avoir recours au masculin dit générique (celui qui est censé être neutre pour le Président de la République). Quand on parle de groupes mixtes, on pourra utiliser différents outils pour l’éviter comme les doublets (“Françaises, Français”, formulation omniprésente chez ce même président, bizarrement), les termes épicènes (les journalistes), englobants (le personnel soignant) ou dans certains cas où la lisibilité des mots n’est pas trop compromise, le point médian (qui est totalement optionnel mais pratique dans certains contextes).

Une application littérale de ces conventions pourrait mener une personne de bonne volonté à bannir définitivement le masculin grammatical dès lors qu’on parle, au pluriel notamment, de groupes mixtes : en utilisant les doublets, par exemple, on dirait “les plombiers et les plombières” comme on dirait “les dictateurs et les dictatrices” ou les “agresseurs et les agresseuses”. Or dans le cas de groupes qui sont très majoritairement composés de personnes d’un seul genre, comme les dictatures en écrasante majorité menées par des hommes ou les métiers ultra féminisés de la petite enfance comme assistante maternelle, est-il pertinent de renoncer au choix d’un seul des deux genres ? Faut-il vraiment se forcer à parler des dictatrices et des assistants maternels ?

Pratiquer un langage inclusif, c’est avant tout cultiver son esprit critique sur les mots qu’on emploie pour sortir d’un mode d’expression automatique où le masculin règne : mais cet exemple est une excellente illustration que les grandes conventions du langage inclusif sont là pour nous guider, pas pour servir de règles immuables et rigides à appliquer sans réfléchir (et en ce sens, c’est bien plus enrichissant que les règles souvent arbitraires de notre orthographe française que les Linguistes atterré·es, entre autres, appellent à simplifier).

Rappelons-nous quels problèmes le langage inclusif cherche à résoudre : d’abord, le langage inclusif permet de réduire les ambiguïtés de sens que crée le masculin dit générique (parfaitement illustrées par cette publicité Monoprix où on ne comprend simplement pas à qui on parle). Ensuite, il permet de rendre visibles les femmes là où le masculin dit générique a tendance à renforcer les représentations masculines dans notre cerveau (ce qui a été démontré par plus de 300 études parues dans des revues scientifiques à comité de lecture menées par près de 500 universitaires depuis 1975, et non pas juste “une étude” comme ce qu’un monsieur a tenté de contre-argumenter face à moi sur Cnews).

Si l’on revient à notre exemple, quels problèmes cherche-t-on à résoudre ?
Est-il nécessaire de rendre visibles les quelques dictatrices qui ont existé (dont le statut même de dictatrice est discutable si on omet le féminin conjugal des femmes de dictateurs ?) ? Quel cause cela fait-il avancer ?

Est-il nécessaire de rendre visibles les quelques assistants maternels en activité (0,6% en France en 2020, selon l’Observatoire de l’emploi à domicile) ? Ou faut-il assumer d’employer le féminin pour représenter à la réalité ?

C’est une question plus délicate : car on pourrait avoir envie justement de faire exister dans la langue la possibilité que ce métier soit exercé par un homme pour, si ce n’est créer des vocations chez les petits garçons, au moins contribuer à lever les résistances à envisager une carrière dans les métiers du soin, en écrasante majorité exercés par des femmes.

Visibiliser ou invisibiliser, that is the question

Quand on parle de métiers ou de fonctions où un genre est surreprésenté, on est face à une alternative : 

accepter d’invisibiliser une partie plus ou moins grande des personnes qui l’exercent au nom de la majorité pour s’aligner avec la réalité, comme pour les assistantes maternelles.

choisir délibérément de faire exister le masculin et le féminin pour susciter des représentations des deux genres et casser les stéréotypes liés aux métiers, comme les plombiers et les plombières (toutes les méthodes du langage inclusif ne se valent d’ailleurs pas pour créer ces représentations, les techniques de neutralisation comme les mots épicènes ou englobants étant moins efficaces).

Et je vous dis tout de suite qu’il n’y a de choix qui soit bon ou mauvais dans l’absolu. Ce choix peut varier en fonction du contexte (oui, toujours lui).
Si je défends les intérêts des femmes de chambre d’un hôtel, je vais certainement choisir de ne parler que de ces femmes et pas des “femmes et hommes de chambre” s’il y a au moins un homme, ou du personnel de ménage, parce que je souhaite incarner ce combat dans des personnes dont le genre n’a rien d’étranger à la manière dont elles sont traitées (en plus d’autres dimensions comme leur race ou leur classe sociale, c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité). Parce que c’est plus simple et percutant aussi, et que ce combat politique est aussi un combat de communication qui se doit d’être efficace.

En revanche, si je mène une campagne de recrutement, j’aurais tendance à parler des “infirmières et des infirmiers” ou des “plombières et des plombiers” ou encore “des métiers de la petite enfance” pour éviter de confirmer un stéréotype lié à un métier et contribuer à le déconstruire.
Pourquoi ? Parce qu’on sait que pour les métiers, le masculin dit générique est particulièrement dévastateur : les femmes postulent moins à des métiers quand les postes sont présentés uniquement au masculin. Les jeunes filles se projettent moins dans des métiers quand ceux-ci ne sont décrits qu’au masculin.

J’aurais aimé que l’Urssaf se pose la question en ces termes avant d’employer le masculin “assistants maternels” dans la navigation de son site, ce que je trouve à la fois aberrant du point de vue de la représentation sociale et désobligeant pour les assistantes maternelles (c’est comme accorder au masculin “1000 chiens et 1 femme”, ce que la règle du “masculin qui l’emporte(rait)” nous incite pourtant à faire).


Et j’apprécie que la ville de Lyon mette en avant le métier d’assistant maternel par le prisme d’une expérience individuelle (celle de Thomas qui exerce ce métier), montrant que c’est une possibilité tout en gardant le féminin dans le nom de la “Semaine des assistantes maternelles”.

Qui agresse les femmes ?

Revenons-en au 25 novembre, journée dont l’appellation la plus fréquente est celle de Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. A cette occasion, les prises de parole dans les médias et dans l’espace public vont se multiplier parce que c’est précisément l’objectif de cette journée : faire savoir la réalité des violences, leur ampleur, faire mieux comprendre ses mécanismes, s’adresser aux victimes et à leur entourage pour les encourager à sortir du silence (même si malheureusement, cela ne suffit pas).

Faudrait-il que sur les plateaux télé, par inclusivité, on parle des agresseurs et des agresseuses ? Non, absolument pas. Parce que ce ne sont pas les femmes qui agressent, mais les hommes. Dans leur écrasante majorité (99% des viols et 97% des agressions sexuelles sont commises par des hommes). Et il serait non seulement indécent de vouloir décentrer le débat vers une prétendue mixité des auteurs de crime mais aussi parce que cela détournerait du vrai problème : pourquoi les hommes sont-ils violents ? Pourquoi les femmes ne le sont-elles pas ?

Je vous recommande les travaux de Lucile Peytavin, autrice du “Coût de la virilité”, qui a mené l’exercice, certes théorique mais très instructif, de calculer combien coûte chaque année à la France les conséquences des comportements asociaux (crimes, violences sexistes et sexuelles, routière, etc.) commis en écrasante majorité par des hommes et produits d’une éducation qui pousse les petits garçons à incarner une vision de la virilité où il faut aller toujours plus vite, être toujours le premier, se faire une place, quitte à se battre, considérer les soeurs, les mères, les filles, comme au service des hommes.  Que fait-on pour déconstruire cette éducation viriliste qui est la source principale du malheur, non seulement des femmes, mais de la société entière ? Où sont les campagnes de sensibilisation promouvant une éducation où les émotions peuvent s’exprimer chez tous les enfants ? Où en est-on de la généralisation de l’éducation à l’empathie et à la vulnérabilité à l’école ?

Mobiliser, cliver, dialoguer

Détourner l’attention du problème, c’est aussi un des dommages collatéraux de l’expression “violences faites aux femmes”. Violences faites aux femmes, mais par qui ? Dans la plupart des affiches que j’ai vues dans la rue ou que j’ai trouvées en ligne, on se focalise sur les femmes, qui sont, sans aucun conteste, les premières victimes de ces violences. Et il le faut, évidemment. Mais à braquer le projecteur de manière quasi monopolistique sur les victimes on en oublie de parler des agresseurs. C’est d’ailleurs pourquoi je trouve réussie la campagne du gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles actuellement visible dans le métro parisien. Elle parle, pour une fois, des agresseurs.

Affiche contre le harcèlement dans les transports en commun
Contre les agresseurs, levons les yeux.

Lucile Peytavin est d’ailleurs aussi l’autrice d’une tribune parue dans le média Les nouvelles news en 2022, intitulée 3 janvier, 3 féminicides. Parlons de “violences machistes” pour combattre ce fléau ! où elle propose de déplacer la focale des victimes aux agresseurs en parlant de violences machistes (le machisme exacerbant la virilité des hommes et l’infériorité des femmes). Je trouve très pertinente cette proposition parce que non seulement elle décrit une réalité statistique mais en plus elle permet de nommer ces violences par le prisme des agresseurs qu’il faut empêcher, pas uniquement des femmes qu’il faut protéger (et que concrètement, en France, on protège très mal).

J’avais déjà analysé les ressorts de l’utilisation de la voix passive dans le cadre d’un langage inclusif et de cette tournure, dont j’ai appris depuis qu’elle s’appelle factitive, ”une femme se fait violer”. Cette expression a été dénoncée par les féministes dans le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles, notamment par Rose Lamy, créatrice de Préparez-vous pour la bagarre et autrice de Défaire le discours sexiste dans les médias ou la linguiste Laélia Veron dans une de ses chroniques sur France Inter. Le problème de cette tournure, c’est que même si elle est fréquente pour remplacer un classique passif (être violée), elle sous-entend que la victime est à l’origine de l’action (quand je me fais livrer, c’est parce que j’ai passé une commande), ce qui nourrit le narratif selon lequel la victime a toujours une part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé (sa jupe trop courte, son choix farfelu d’aller faire du jogging dans la forêt ou d’envoyer un nude, ce que les gendarmes déconseillent vivement). Dans “les violences faites aux femmes”, la tournure n’est pas proprement factitive mais l’utilisation du verbe “faire” crée une proximité qui me dérange. Pourquoi pas violences subies par les femmes ? Ou violences faites aux femmes par les hommes ? Ou donc, simplement, violences machistes ?


J’ai conscience que cette expression peut choquer, surtout si vous vous identifiez au groupe masculin et que vous trouvez réducteur de mettre tous les hommes dans le même panier parce que tous les hommes ne sont pas comme ça (le fameux not all men). Je comprends qu’il est difficile de se sentir accusé de quelque chose qu’on n’a pas fait simplement du fait de son genre. Mais si tous les hommes ne sont heureusement pas des agresseurs, tous les agresseurs sont en revanche des hommes. Et tous les hommes, qu’ils soient agresseurs ou non, bénéficient du rapport de pouvoir et de force qui existe dans un monde patriarcal.

Faut-il donc arrêter de dire “violences faites aux femmes” et en parler autrement ?
Comme souvent, il n’y a pas de bonne réponse. Cette expression a l’intérêt d’être largement répandue et de mobiliser dans l’espace médiatique là où parler de violences machistes sera perçu comme militant et choquant. Ce week-end encore j’entendais des gens dire : “engagé mais pas militant, j’aime bien cette expression”.
Ça m’a énervé parce que ça traduit une vision largement répandue du militantisme qui serait trop politique, trop énervé, trop radical. Mais c’est la perception des gens que je cherche justement à convaincre, alors parfois je fais des compromis pour permettre le dialogue, et je me calme.
Je dis souvent que ma stratégie pour encourager l’adoption d’un langage inclusif est celle de la moindre résistance. Je ne dis pas que c’est la meilleure.  En fonction des contextes, je pense qu’il faut s’autoriser à employer l’une ou l’autre de ces expressions pour travailler vers l’objectif qui unit ces formulations : l’élimination des violences

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

“Et toi, tu connais ton poids en grossophobie ?”

Je réfléchis beaucoup aux notions de priorités et de décence ces jours-ci. En ce moment, l’actualité autour du sujet qui me mobilise, de nouveau sous le feu des projecteurs depuis que le Sénat a adopté une proposition de loi pour interdire l’écriture inclusive, me confronte à un paradoxe intérieur : j’ai envie de défendre ce sujet bec et ongles, mais est-ce vraiment la priorité alors que le monde vit dans le chaos ? Est-il décent d’aller saisir chaque opportunité de faire de la pédagogie quand les bombes tombent ? Est-il hypocrite de me poser ces questions maintenant alors que l’humanité n’a pas attendu l’actualité récente pour vivre dans la violence et dans la haine ? Faut-il, au fond, hiérarchiser les luttes ?

Rester dans l’action, influencer, élargir les horizons

Dans ces cas-là, pour ne pas sombrer dans la paralysie et l’anxiété, je me rappelle l’existence d’un outil mis au point par Steven Corvey, le cercle d’influence, qui répartit nos sources d’inquiétude en 3 cercles concentriques pour nous aider à passer à l’action sur ce qui compte vraiment : le plus grand cercle, qui englobe tous les autres, est celui des préoccupations (concern), c’est-à-dire tout ce qui nous inquiète ; le second est celui de l’influence où les personnes proactives vont se concentrer et influencer le cours des évènements en fonction de leurs capacités et leur position ; le troisième est le cercle du contrôle, celui des sujets sur lesquels on a une maîtrise directe des évènements. Ce cercle est différent pour chaque personne en fonction de sa situation personnelle, de son réseau, de son pouvoir d’agir aussi.

En ce moment, je sais qu’il y a un sujet sur lequel je peux avoir une influence et je l’exerce : je peux contribuer au débat sur l’écriture inclusive (que je préfère appeler langage inclusif, d’ailleurs) en apportant des éléments de compréhension pour que chacun et chacune puisse se faire un avis éclairé. Je l’ai fait en créant une vidéo pédagogique sur Instagram, en partageant ma vision du pouvoir du langage dans la culture d’entreprise dans le podcast Inclusivement vôtre de Laura Driancourt ou Les Alignées de Charline Moreau, en signant aux côtés de 130 autres féministes une tribune parue dans Le Monde initiée par Eliane Viennot et Typhaine D, en même en allant sur CNews participer à un “débat”.

Pour moi, agir dans ma zone d’influence est une manière d’avoir un impact immédiat mais aussi de continuer à élargir les horizons de réflexion pour le futur. Cette proposition de loi sur l’interdiction de l’écriture inclusive est la 9e depuis 2019, et certainement pas la dernière. Elle mobilise des arguments calqués sur la rhétorique réactionnaire décrite par Albert O. Hirschman et nous enferme dans une vision typographique et genrée du langage inclusif : on ne parle que de point médian et, parfois, d’égalité femmes-hommes. Alors que pour moi, le langage inclusif, c’est bien plus que ça.

En France, et plus généralement, dans les pays qui ont une langue grammaticalement genrée comme l’espagnol, l’allemand ou l’italien, on pense souvent le langage inclusif par le seul prisme du genre (et d’ailleurs dans une perspective très binaire femmes-hommes). Inspirée par les pratiques états-uniennes qui parlent de langage inclusif et précis, j’élargis ma conception du langage inclusif pour analyser tous les termes qui désignent des personnes, les expressions et les messages qui véhiculent des stéréotypes et renforcent les discriminations. Si on prend un exemple très concret, défaire le discours grossophobe dans la publicité est pour moi une des facettes d’une communication inclusive. La dernière campagne de Nos Gestes Climat est un bel exemple, si l’on peut dire, de décryptage utile pour continuer à élargir notre réflexion sur les mots qui nous entourent, qu’ils fassent l’actualité ou non.

Quand écologie rime avec grossophobie

Quand j’ai vu cette campagne pour la première fois, en 4 par 3 dans le métro à Paris, je suis restée en arrêt, littéralement. On y voit une femme, regardant son téléphone, faisant une mine effarée, bouche ouverte, avec le texte “Et vous, connaissez-vous votre poids ?”.

“Oh my god, je pèse 10 tonnes”

Cette affiche, qui s’inscrit dans une campagne plus large comportant au moins 5 visuels tous sur le même modèle (avec des femmes et des hommes, c’est au moins mixte), émane de Nos Gestes Climat, un calculateur d’empreinte carbone développé par l’Agence de la transition écologique (ADEME) et beta.gouv.fr, en partenariat avec l’Association Bilan Carbone (ABC). Son objectif est de nous encourager à calculer notre empreinte carbone individuelle (exprimée en tonnes de CO2) pour prendre conscience de notre impact sur l’environnement et identifier des moyens de le réduire.

“Par pitié, faites que je ne sois pas gros”

Mon but n’est pas ici de discuter de l’intérêt d’un tel outil ni de la pertinence de l’objectif de la campagne. Ce qui me frappe dans cette campagne est qu’elle joue intégralement sur un ressort grossophobe : la stigmatisation du poids.

La grossophobie se définit, d’après Daria Marx et Eva Perez-Bello du collectif Gras Politique, autrices de “Gros” n’est pas un gros mot, comme “l’ensemble des attitudes hostiles et discriminantes à l’égard des personnes en surpoids”. C’est par exemple : les jugements incessants sur l’alimentation des personnes grosses, la croyance que le poids peut toujours être contrôlé si on en a la volonté, la discrimination à l’embauche, la taille des sièges dans les lieux publics, la quasi absence d’offre vestimentaire au-dessus d’une certaine taille…

Le terme est apparu en 1996, lancé par Anne Zamberlan, autrice de Coup de gueule contre la grossophobie, et a gagné en reconnaissance médiatique à partir de 2017 avec le livre On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier. Rentré seulement en 2019 dans le dictionnaire Le Robert et en 2023 au Larousse, ce terme est certes plus fréquemment rencontré aujourd’hui mais reste bien moins recherché sur Google que le sexisme ou l’homophobie et ces recherches n’augmentent pas dans le temps, signe que l’intérêt ne décolle pas vraiment.

Si la grossophobie est la discrimination des personnes grosses, elle est le produit d’un ensemble d’injonctions sur le corps (et particulièrement ce qu’on appelait la “dictature de la minceur” dans les années 90/2000) qui concernent toutes les personnes, et plus particulièrement toutes les femmes.

“On va donc régler ça tout de suite : tout le monde est grossophobe. C’est notre valeur par défaut. Ça aussi, on y reviendra. Ça fait mal à lire, mais c’est vrai, et le plus vite vous l’accepterez, plus vite vous pourrez commencer à déconstruire la grossophobie dont vous faites inévitablement preuve, que vous soyez gros, mince ou entre les deux”

Corps rebelle, réflexions sur la grossophobie, Gabrielle Lisa Collard

Mon amie Anaïs, brocanteuse, journaliste et mannequin grande taille, me racontait qu’une cliente était entrée dans sa boutique en commençant par annoncer que de toute façon elle était “trop grosse” pour ces vêtements et devaient commencer par perdre du poids. Elle faisait un 38, tout au plus. Comme l’écrit Mona Chollet, dans Beauté Fatale, Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, cette femme comme toutes les femmes, est victime de “l’omniprésence de modèles inatteignables” et est “enfermée dans la haine d’elle-même”. Il faut donc bien voir l’injonction à la minceur et la stigmatisation de la grosseur comme les deux facettes de la même médaille grossophobe.

Différencier honte et culpabilité

Vous allez me dire : “Mais on ne parle pas de poids en kg de masse corporelle mais de CO2, voyons !”
Certes, mais que voit-on sur l’affiche qui permet de contextualiser ? Comme me le faisait remarquer Anaïs, rien dans le champ de l’image (à part peut-être les arbres, mais bon) ne permet de créer une corrélation avec la thématique écologique (on n’est pas dans un avion ou une voiture, devant un local poubelle ou dans un supermarché). Je ne dis pas qu’on ne peut pas transmettre un message sur l’écologie sans montrer une image de déchet, mais je dis en revanche que si un enfant passe devant cette affiche, lit “Et vous, connaissez-vous votre poids ?” et voit le visage horrifié des gens qui découvrent le leur, je ne sais pas comment il ou elle peut faire le lien avec autre chose que le poids de son corps, et faire une corrélation autre que gros poids = honte.

Je trouve donc cette campagne mauvaise pour deux raisons : la première est évidemment qu’elle contribue à renforcer un stéréotype grossophobe en stigmatisant le poids ; la deuxième est qu’elle entretient une confusion entres les sentiments de honte et de culpabilité de manière nuisible.

Shame is a focus on self, guilt is a focus on behaviour (la honte se concentre sur soi, la culpabilité sur nos actions)

Brené Brown, Listening to shame (Ted Talk)


La culpabilité peut être un moteur efficace en communication pour faire passer les gens à l’action car elle repose sur les émotions négatives que l’on ressent quand on a fait quelque chose de mal qu’on veut réparer (en changeant pour une marque “plus écolo”, par exemple). Mais ici, je vois plutôt de la honte sur les visages parce qu’en renvoyant l’image de personnes qui sont choquées par leur poids individuel, on se focalise sur l’expérience personnelle vécue par un individu, sur son être, pas sur ses actions. En ce sens, on transmet de la honte plus que de la culpabilité. Certes, un petit texte dit “Ensemble réduisons notre empreinte carbone” pour introduire la notion d’effort collectif et faire le lien avec l’environnement, mais l’espace occupé par ce message me paraît bien petit pour lui donner la force suffisante pour contrebalancer les autres messages envoyés par l’image et le slogan.

Et même si c’est de la culpabilité qu’on veut faire passer et qui est perçue par les personnes qui voient l’affiche, le message implicite est que baisser son poids en carbone est possible car c’est juste une question de volonté. Et on retombe sur la stigmatisation grossophobe : les personnes grosses le sont parce qu’elles n’ont pas la volonté d’être autrement. Et comme Anaïs me le disait aussi : pour le poids comme pour l’environnement, la volonté a ses limites. On ne contrôle pas les 110 facteurs qui interviennent dans la grosseur comme on n’est pas toujours dans une position sociale ou économique qui nous permet de faire les choix de transport, alimentaires ou vestimentaires les plus écologiques. La responsabilité est renvoyée à l’individu sans prendre en considération les enjeux systémiques qui nous dépassent, qui sont dans notre cercle de préoccupations, mais pas nécessairement d’influence et encore moins de contrôle.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas agir à une échelle individuelle pour réduire notre empreinte carbone, évidemment. Mais j’encourage Nos Gestes Climat et toutes les personnes qui travaillent sur les questions environnementales à s’intéresser à l’écoféminisme : c’est un mouvement féministe qui comporte lui-même de nombreuses familles mais dont la racine commune est de chercher à articuler la question du genre avec celle de l’écologie, en analysant les “similitudes et causes communes entre les systèmes de domination et d’oppression des femmes par les hommes et les systèmes de surexploitation de la nature par les humains”.
Inciter les humains à repenser leur rapport à la nature en mobilisant une mécanique éculée de domination des femmes, pour moi, ça n’a aucun sens.

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Le genre des slogans, impensé de la publicité

Je suis tombée dans la rue l’autre jour sur une des affiches de la campagne de Danone pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 : on y voit une jeune femme handicapée, Typhaine Soldé, qui porte une prothèse faire du saut en longueur. En surimpression, le slogan “Champions à tous les âges de la vie”. Cette affiche fait partie d’une campagne comportant 3 créations publicitaires différentes : celle que je viens de décrire, une autre où un vieil homme fait du skateboard et une dernière où une petite fille fait de l’escalade. Je trouve cette campagne très intéressante parce qu’elle est emblématique d’un impensé en publicité : le genre des mots employés dans les slogans.

Le masculin dit générique est une croyance limitante

Le premier problème que me pose ce slogan est qu’il crée chez moi une forme de dissonance de genre image / texte : on me montre une image de femme et un texte qui parle d’hommes. Le désalignement des genres représentés à l’image et dans les mots me heurte. Je sais bien qu’en tant que partisane du langage inclusif, j’ai un regard particulièrement critique et sensible et que pour la plupart des gens, c’est tout simplement invisible. Car nous baignons, depuis notre enfance, dans le masculin dit générique, ce masculin grammatical qui est censé représenter tout le monde. Ce masculin qui aurait une double valeur : le masculin spécifique des humains de genre masculin (comme dans “Le président s’est approché de l’estrade”) et le masculin dit générique ou neutre des groupes mixtes (comme pour parler du “groupe de musiciens” censé représenter aussi bien One Direction composé de 4 hommes, que The White Stripes, 1 femme et 1 homme). Sauf que l’idée même de l’existence de la valeur générique du masculin est une forme de croyance limitante, c’est-à-dire de pensée que nous avons, dont nous nous sommes convaincu·es et qui nous freine, nous limite. J’emprunte cette expression à l’univers du coaching car elle me semble pertinente pour qualifier les dommages opérés par l’utilisation systématique du masculin pour parler des groupes mixtes, dommages qui ont été documentés par des décennies d’études scientifiques dans le champ de la psycholinguistique, qui ont démontré que le genre grammatical masculin convoque, dans l’esprit des gens, des représentations masculines. Un chiffre le prouve (issu de l’étude Google x Mots-Clés “Observatoire de l’opinion et des interrogations des internautes sur l’écriture inclusive en France en 2021”) : demandez à deux groupes de personnes de citer “2 écrivains célèbres” et vous aurez 3 fois moins de noms de femmes citées que si vous utilisez une formulation de question inclusive : “Citez 2 noms d’écrivains ou écrivaines célèbres”. CQFD.

Donc oui, le masculin dit générique est une forme de croyance limitante parce qu’il limite une chose très simple, rendre visible les femmes, parce qu’on croit que le masculin le permet.
Et quand Danone fait l’effort manifeste de mettre des femmes en avant dans une campagne, c’est vraiment dommage de ne pas aller au bout de la démarche.

L’écrit, bastion prestigieux du masculin

Ces affiches s’inscrivent dans le cadre d’une campagne qui comporte aussi un volet vidéo. Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai constaté que contrairement à l’affiche, la voix off de la vidéo de la campagne n’utilisait pas ce fameux masculin générique mais le logique féminin pour la jeune femme handicapée et la petite fille qui fait de l’escalade. On y entend bien “Pour permettre à toutes de devenir une championne”.

Mais le slogan de l’écran de fin et tout le texte qui entoure la vidéo (ce qu’on appelle les métadonnées : titre, description, etc.) restent désespérément au masculin.
Pourquoi cette incohérence ? Je ne connais pas les dessous de cette campagne (et je serais contente d’en savoir plus) mais je peux faire une hypothèse : le temps d’attention accordée par l’audience pour une vidéo est plus long et laisse l’espace disponible pour raconter l’histoire de la protagoniste, et donc accorder le genre grammatical avec le genre de la personne représentée, pour faire coller texte et image. Cela paraît d’autant plus naturel dans un format vidéo où la voix off décrit ce qu’on voit à l’écran (une jeune fille en train de s’entraîner pour devenir championne).
Dans le format affichage, les gens passent quelques secondes devant la publicité et on veut que le plus important soit retenu : le slogan et sa thématique, associé si possible à la marque. Pas la distinction de genre ou l’histoire de la personne mise en avant.

Cette prévalence du masculin à l’écrit qui semble aller de pair avec une autorisation qu’on se donne d’utiliser le féminin à l’oral me fait penser à la différence de prestige qui est accordé aux deux formes de communication : au masculin l’écrit qui reste, qui ancre une réalité dans un temps long de manière immuable, au féminin l’oral qui passe et qui est cantonné à un contexte spécifique. J’ai bien conscience que c’est plus compliqué que ça, et je ne pense pas du tout que ce raisonnement soit celui de Danone ni de son ou ses agences. C’est ma post-rationalisation à moi, et elle vaut ce qu’elle vaut.

Ce qui m’intéresse surtout, en réalité, c’est d’envisager les alternatives possibles et leurs conséquences : et si on avait féminisé le slogan pour les affiches qui représentent des femmes, “Championnes à tous les âges de la vie”, que ce serait-il passé ? Le slogan aurait-il été moins impactant ? La cible masculine se serait-elle sentie moins concernée ?

Et si on avait opté pour une formulation avec des doublets, “Championnes et champions à tous les âges de la vie” ? Aurait-on payer plus cher la régie publicitaire ?

Et si on avait utilisé un point médian (comme d’autres le font déjà en publicité) “Champion·nes à tous les âges de la vie” (qui fonctionne bien dans ce mot pour un usage dit raisonné et convient parfaitement à la forme écrite en affichage) ? Aurait-on énervé celles et ceux qui détestent le point médian et y voient un péril mortel pour la langue française ? Ou aurait-on signalé concrètement qu’on a activement pensé à la question de l’égalité de genre dans le sport et la santé ?

Le slogan au masculin générique est l’emblème des rivières de pensées créatives

Cet exemple n’est pas le seul que j’ai rencontré de slogans étonnamment au masculin. Il y a plusieurs mois, j’avais fait une capture d’écran d’une publicité pour un club de yoga. On y voit un groupe de femmes plutôt divers en terme de morphologies et couleurs de peau. Le slogan : “Yoga pour tous”. Mais pourquoi, enfin ? Pourquoi, comme Danone, prendre la peine de représenter visuellement une diversité de profils pour s’arrêter à l’image sans penser au mot ?
Tout simplement, parce que le genre des mots est un impensé en publicité, c’est-à-dire une question à laquelle on ne réfléchit simplement pas (jusqu’à maintenant, mic drop).

C’est un impensé d’autant plus puissant qu’il oblige précisément à sortir de ses rivières de pensées en matière de création publicitaire.
Imaginez que vos pensées sont des gouttes qui tombent au sommet d’une montage. Ces gouttes vont progressivement former des rivières de pensées. Et chaque goutte qui tombera par la suite, plutôt que de créer un nouveau cours d’eau, va venir rejoindre celui qui existe déjà. Face à un problème ou une question, on a tendance à réagir comme on l’a fait par le passé, par habitude, par automatisme, parce qu’on sait que ça marche, et qu’il est plus facile de suivre le cours de la rivière que de nager à contre-courant. Pour le langage c’est la même chose : on a toujours parlé et écrit au masculin dit générique, ça fonctionne, on arrive à se comprendre, alors on ne pense tout simplement pas au fait qu’on pourrait faire autrement. D’autant plus quand la tentation est grande d’utiliser des formulations toutes faites dont la publicité est friande : “galette pour tous” ou “à tous ceux qui rêvent”

Je ne dis pas qu’il est facile de sortir de ces rivières de pensées. Je ne dis pas que la campagne de Danone est mauvaise : elle présente plein de points positifs qu’il faut reconnaître et notamment la représentation à l’image d’une personne portant une prothèse, très rare en publicité puisque selon le dernier baromètre Kantar Inclusion & Diversité dans les campagnes publicitaires françaises, seules 6% des personnes interrogées ont vu récemment une publicité montrant une personne handicapée. Je ne dis pas que personne n’y a pensé, car il est tout à fait probable que pendant la conception de la campagne, quelqu’un aura fait la remarque (puisqu’on a dit du féminin dans la vidéo) mais n’aura pas réussi à convaincre qu’une des alternatives que j’ai proposées plus haut était tout aussi efficace en affichage.

Je dis en revanche qu’on doit commencer à entamer une réflexion sur le genre des mots utilisés dans les slogans ; qu’on peut faire le choix d’utiliser du féminin, en alternance, en complément ou à la place du masculin, sans que la marque ne s’écroule ou que le backlash ne se répande sur les réseaux sociaux. Je dis en revanche qu’on peut commencer à entamer une réflexion sur le genre des mots utilisés dans les slogans ; qu’on peut faire le choix d’utiliser du féminin, en alternance, en complément ou à la place du masculin, sans que la marque ne s’écroule ou que le backlash ne se répande sur les réseaux sociaux. Je dis que penser le genre des mots est non seulement une manière de booster sa créativité, mais aussi plus généralement l’efficacité publicitaire en créant des slogans plus justes, d’un point de vue sémantique (le sens des phrases) et moral (leur impact sur les gens), qui signalent de manière concrète et visible qu’on pense l’égalité de genre de manière holistique, complète, dans les images comme dans les mots. En bref, je dis qu’il est temps de penser le genre des slogans.