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Pourquoi dire et ne pas dire

8 mars : pour l’égalité femmes-hommes, pas l’inverse.

Le 8 mars est un jour critique. Au-delà de son message politique, c’est aussi un moment important pour se poser des questions liées au vocabulaire employé pour parler d’égalité : par exemple, quelle différence y a-t-il entre l’égalité femmes-hommes et l’égalité Homme-Femme ? Pourquoi ne pas parler d’égalité de genre ?
Explications de texte à lire en 5 minutes, et si vous avez la flemme, vidéo récap en fin d’article.

8 mars, pour le meilleur et pour le pire

Comme on dirait en anglais, le 8 mars est à la fois « a blessing and a curse ». C’est-à-dire une bénédiction et une malédiction.

C’est un moment important parce qu’on a besoin, surtout dans le contexte politique réactionnaire actuel, de saisir chaque opportunité de dire, redire, manifester et célébrer la lutte pour les droits des femmes que cette journée signale.

Et cette journée n’est pas juste un coup d’épée dans l’eau : pour preuve, regardez ce graphique issu de Google Trends qui montre comment évoluent les recherches des internautes en France sur « l’égalité femmes-hommes », le « féminisme » ou « la mixité » sur les 5 dernières années.



On y observe distinctement des pics de recherches autour du 8 mars qui démontrent que les gens s’intéressent à ces sujets, cherchent à en savoir plus. Et ça, c’est positif.

Mais le 8 mars est aussi un moment très difficile, notamment pour les militant·es féministes, car cette date est (ou devrait être) une journée politique, pas une fête des femmes ou un marronnier promotionnel à la gloire des aspirateurs et autres crèmes anti-âges.

Tout est résumé dans ce post de Pépite sexiste qui n’a jamais peiné à renouveler chaque année sa galerie d’exemples :


Ce détournement permanent de l’essence du 8 mars est épuisant.

Et franchement, quand je vois la une que le Figaro Magazine choisit pour le 8 mars 2025, je ne suis pas seulement épuisée.

Je suis outrée et furieuse.

Couverture du Figaro Magazine où on voit Frédéric Beigbeder avec le titre "Vive les hommes", le manifeste de Frédéric Beigbeder.

Dans un mouvement tout à fait symptomatique, à la fois du positionnement politique de ce journal, et du contexte politique qui libère de nouveau les paroles sexistes et masculinistes (que le Collectif Radi, Collectif radical des acteurices de la diversité et inclusion, dont je fais partie , analyse ici), cette une est représentative de la réaction misogyne au 8 Mars : assez parler des femmes, vous avez déjà bien progressé, maintenant pensons à nous les hommes qui ne pouvons plus importuner tranquille. Vous n’aurez pas notre visibilité en une des magazines, même pas aujourd’hui.

Le 8 mars n’est pas le jour de l’égalité Homme-Femme

J’ai déjà publié plusieurs articles et vidéos pédagogiques sur le vocabulaire autour du 8 mars qui démontrent pourquoi il est primordial de choisir les bons mots pour parler de cette journée.

Je vous fait cadeau d’un autre mème de Pépite sexiste :

Mème où on voit une scène de Friends où Phoebe essaie d'apprendre à Joey comment dire correctement Journée internationale des droits des femmes. A la fin, il échoue et dis : "fête de la femme"

Mais il y a une expression que je n’avais pas encore décortiqué, car elle me semblait très peu courante, voire désuète. Pourtant je l’ai lu hier en titre d’article sur France info : l’égalité hommes-femmes.

Article de France info intitulé : Egalité hommes-femmes : "Sans la loi, on ne peut pas faire évoluer la mixité", assure le directeur de l'Observatoire de la féminisation des entreprises

En recherchant les différentes formulations autour de l’égalité entre les femmes et les hommes, j’ai identifié 3 variables :

  • l’ordre des mots : égalité femmes-hommes ou hommes-femmes
  • le singulier ou le pluriel : égalité femmes-hommes ou femme-homme
  • une majuscule ou minuscule : égalité Femmes-Hommes ou femmes-hommes

Or, ces 3 variables ont chacune une importance quand on veut pratiquer un langage précis et inclusif.

  • l’ordre des mots est aussi appelé ordre de mention : et il n’est pas anodin. En général, c’est le mot le plus important qu’on place en premier quand on fait un doublet de mots (coucou Adam & Ève, mari et femme, et j’en passe). Dans une perspective féministe, placer le mot femmes avant le mot hommes a du sens puisque c’est pour nous les femmes que l’égalité est avant tout un enjeu.
    En langage inclusif, on recommande souvent de privilégier l’ordre alphabétique pour rester « neutre ».
    Pour une raison ou l’autre, on devrait donc mettre femmes avant hommes.
  • choisir le pluriel plutôt que le singulier est un autre choix délibéré : parce que le singulier, surtout associé à femme, comme dans La Femme, véhicule l’idée qu’il y aurait un modèle de femme, un idéal féminin. Or, comme le dit Eliane Viennot, utilisons plutôt « le pluriel pour parler des vrais gens » (j’avais fait cette vidéo pour parler du sens de tous les déterminants qu’on peut mettre devant le mot femme : la, une, ces. Regardez-là, elle n’a pas vieilli sur le fond même si la forme n’est pas top).
  • écrire le mot homme avec une majuscule dite majuscule de prestige est une convention inventée pour justifier l’idée qu’écrit de la sorte, Homme deviendrait un synonyme d’être humain. Je vous recommande de lire le court livre d’Eliane Viennot (oui, encore elle, mais je l’adore), En finir avec l’Homme, chronique d’une imposture (résumé ici), qui analyse cette particularité très franco-française de parler des droits de l’Homme là où presque tous les pays parlent de droits humains. C’est édifiant.
    Dans la perspective d’un langage inclusif, on évite donc la majuscule de prestige et on écrit tout en minuscule.

Conclusion, je recommande d’écrire égalité femmes-hommes, dans cet ordre, au pluriel et en minuscule.

L’égalité de genre pour dépasser la binarité femmes-hommes

Pour expliquer tout ça dans un format pédagogique, j’ai tourné une petite vidéo avec Mahaut, une jeune fille de 12 ans que je connais depuis sa naissance, 2 mois avant celle de mon fils Étienne.

J’ai voulu m’essayer à un format un peu différent de mon habituel (et avouons-le, un peu rébarbatif et ennuyeux) face-caméra.

Nous avons discuté et filmé, tout ça assez spontanément, Mahaut devant la caméra, Etienne derrière.

Et dans la discussion, Mahaut m’a d’elle-même demandé : « mais comment on fait pour les personnes non-binaires, gender fluid, trans ? » Mais quelle excellente question (et formulée avec un choix de vocabulaire qui m’a impressionné de précision) !

J’ai donc proposé à Mahaut une alternative : parler d’égalité de genre. Ainsi on inclut toutes les personnes où qu’elles se situent sur le spectre du genre, au-delà de la binarité femmes-hommes.

Aujourd’hui, le 8 mars reste un journée centrée autour des droits des femmes et on y emploie peu cette alternative.

Mais le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (appellation qui peut aussi se discuter), j’ai aussi vu émerger, notamment du côté d’associations féministes comme #NousToutes, un complément intéressant : journée internationale contre les violences faites au femmes et aux minorités de genre. Ce qui permet d’inclure les personnes cisgenres, comme les personnes trans, et toutes les identités de genre du spectre (femme, homme, non-binaire, agenre…).

A l’heure où les droits des personnes trans sont littéralement anéantis aux États-Unis, mettant leur vie en danger, il est critique de penser leur place dans toutes les luttes progressistes, féministes et anti-sexistes.

Le 8 mars, le 25 novembre, et tous les autres jours de l’année.

La vidéo récap de cet article est à voir et à partager sur Instagram et sur Linkedin.


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Pourquoi dire et ne pas dire

Publicités « pour tous » : une formulation pas si inclusive

Récemment, je me suis de nouveau intéressée aux recherches des internautes sur le langage inclusif. Parmi celles qui ont les plus gros volumes de requêtes : « bonjour à tous écriture inclusive », « tous en écriture inclusive », « tous inclusif », « tous et toutes écriture inclusive ».
Dans la liste des mots réputés difficiles en écriture inclusive, « tous » est au sommet, avec « nombreux » et « ceux ».

Cela démontre bien que les internautes ne s’y trompent pas : ce mot dont la signification même est censée être englobante (« tous » signifie « l’ensemble, la totalité sans distinction », au cas où vous vous posiez la question) n’est pas si englobant que ça.

Et il y a une expression en particulier qui cristallise ce paradoxe, une phrase qu’on voit très souvent en publicité : le fameux « pour tous ».

Petite histoire « pour tous »

À votre avis, de quand date la première occurrence de l’expression « pour tous » ? J’ai posé la question à mon IA préférée, et voilà ce que j’en retiens.

En gros, on peut définir 3 phases :

  • À l’Antiquité et au Moyen-Âge, l’idée de « pour tous » (même si ce n’est pas dans cette formulation) est utilisée principalement pour s’adresser à une communauté religieuse (toutes les personnes unies par une même foi).
  • À partir du 18e siècle, le « tous » devient politique, avec la notion des droits pour tous, dont un des textes fondateurs est la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, qui commence par « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et parlent de « tous les citoyens ». A ce stade, rappelons que quand on parle des hommes, on parle bien des êtres humains de genre masculin puisque les femmes (tout comme les esclaves et les enfants) sont exclues du périmètre de ce texte. « Tous les citoyens » sont donc bien « Tous les hommes citoyens ». L’universalité dépasse les classes sociales mais pas le genre ou les origines ethno-raciales.
  • Au 20e siècle, l’expression « pour tous » apparaît dans cette forme, pour revendiquer l’accès de « toutes les personnes » à « tous les droits » notamment sociaux, mais aussi, avec le développement de la société de consommation, des produits et des services.

À l’époque contemporaine, l’idée de « pour tous » est donc très liée à la notion d’accès du plus grand nombre à un service d’utilité publique ou à un produit de grande consommation.
Et la publicité en a fait un slogan omniprésent.

« Pour tous » : une rivière de pensée adorée par la pub

Je vous ai déjà parlé du concept de rivière de pensée, ces automatismes, notamment de langage, acquis à force de répétition, et dont on ne songe même plus à questionner la pertinence ou la précision.

Utiliser le masculin dit générique pour parler à tout le monde, c’est une rivière de pensée : elle n’est pas spécifique à la pub puisque tout le monde le fait, partant de cette idée que le masculin serait neutre. Mais la pub offre des exemples très concrets de cas dans lesquels ce masculin devient absurde, comme avec certains slogans ou publicités sur le lieu de vente (PLV).

Quand en communication on cherche à faire passer le message qu’un produit ou un service est accessible au plus grand nombre, brandir « pour tous » en étendard est donc une formulation très fréquente.

Voici deux exemples que j’ai pris en photo dans la rue et le métro parisien (et vous en trouverez beaucoup d’autres en recherchant « publicités pour tous » sur Google Images).

Ici, le « pour tous » est aussi bien utilisé pour parler de l’accès à la santé, fondamental, que de l’accès à la galette des rois, qui l’est moins.

Publicité pour un groupe de santé où on lit "La santé ne devrait ps faire débat. Groupe Vyv, pour une santé accessible à tous"
Publicité pour la marque de surgelés Picard où on lit "Galette pour tous".

D’ailleurs, même quand l’image représente exclusivement des femmes, comme ici cette publicité pour des cours de yoga, ils sont « pour tous ».
C’est étrange, absurde et d’autant plus frustrant qu’il y a une attention manifeste à représenter une certaine diversité de morphologies et de couleurs de peau.
Allez comprendre.

Publicité en ligne pour un cours de yoga : on voit un groupe de 4 femmes ave le slogan "Des cours de yoga pour tous"

Et l’expression pour « pour tous » a une cousine, une autre rivière de pensée publicitaire qui joue sur le même tableau : « à tous ceux qui ».

Qu’est-ce qui empêchait d’écrire dans l’image de gauche où on voit une femme (et encore une fois une femme racisée, preuve de l’attention à la diversité des profils représentés) : « Pour toutes celles qui… »
Réponse : rien. Et en plus, ça n’aurait pas coûter plus cher.

Attendez, vous pensez que les hommes se sentiraient moins concernés si c’était écrit au féminin ? Tiens donc.

2 panneaux publicitaires pour un service bancaire : à gauche on y voit une femme avec le slogan "à tous ceux qui n'ont pas de coup de pouce de mamie pour leur appartement"

Le problème avec « pour tous » : ne pas exclure n’est pas inclure

Quand on dit « santé pour tous », on ne cherche clairement pas à exclure les femmes : il est évident que dans la tête de l’agence qui a pensé cette campagne et de l’entreprise qui l’a validée, ce « tous » englobe tout le monde.

Mais que se passerait-il si on faisait l’effort d’utiliser une formule inclusive, comme par exemple « Toutes et tous » ?

Et bien d’un coup, on démonterait qu’on a une attention particulière à penser l’accès des hommes et des femmes au service ou au produit dont on parle. On fait exister le genre social féminin par l’attention au genre grammatical féminin, puisqu’on sait que l’utilisation du féminin dans la langue suscite des représentations mentales féminines.

Parce que comme je le dis dans cette vidéo qui explique comment répondre à une femme qui ne se sent pas exclue par l’utilisation du masculin dit générique : il y une différence entre ne pas se sentir exclue et se sentir incluse.

De même qu’il y a une différence entre être invité·e à une fête et être invité·e à danser, cette fameuse analogie qui explique la différence entre la diversité et l’inclusion (qui, d’ailleurs peut elle-même être discutée). La première est un état de fait (la représentation ou non de profils divers), la deuxième un comportement (un engagement pro-actif pour créer les conditions où chaque personne se sente bienvenue et à sa place).

Quand on est une marque, utiliser un langage inclusif, et donc des formules d’écriture inclusive comme « pour toutes et tous », est une manière concrète de signaler qu’on a pensé la question du genre, qu’on a pensé aux femmes.

Et moi, j’aime mieux les marques qui me montrent qu’elle pensent à moi. Je ne suis d’ailleurs pas une exception puisque qu’on a démontré que les femmes se sentent plus concernées par les publicités écrites au féminin.

Utiliser une formulation inclusive permet donc d’aligner l’intention (englober toute le monde) avec l’impact (que tout le monde se sente concerné).

Je prenais l’exemple de la « galette pour tous » de Picard plus haut. Figurez-vous que j’ai noté avec joie que la campagne de cette année a fait la part belle à une formulation inclusive (avec un chouette accord de proximité de « tous » avec « rois » qui évite de répéter « tous rois et toutes reines », bien joué Picard).

Affiche pour la marque Picard où on lit "Tous rois et reines"

Quelles alternatives à « tous » en inclusif ?

Il y a différentes façons de rendre ce « tous » plus inclusif, en suivant les 3 conventions du langage inclusif .

Il est intéressant de constater qu’en publicité, les marques et organisations utilisent une variété de méthodes.

Remplacer « tous » par « toutes et tous »

La Mairie de Paris, toujours première sur le langage inclusif, avec un joli « mariage pour tous et toutes » à l’occasion du Mois des fiertés.

Affiche de la Mairie de Paris où onn lit "Mariage pour tous et toutes", déjà 10 ans d'amour

Utiliser la ponctuation

Quand une marque du groupe L’Oréal, Nyx, lance tout une campagne en 4*3 dans le métro, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et parle de « maquillage accessible à tous.tes ». Très aligné avec le positionnement gender fluid de la marque, évidemment.

Affiche pour la marque de cosmétique Nyx où on voit le slogan "maquillage accessible à tous.tes"

Créer des néologismes

Il est quand même bien pratique ce « toustes », non ?
Et pour toutes celles et ceux (hihi je me fais rire) qui trouvent l’écriture inclusive illisible, osez me regarder dans les yeux et me dire que dans ce contexte vous ne comprenez pas sa signification.
Si vous le faites, vous êtes de mauvaise foi.

Affiche pour le théâtre Comédie des 3 bornes où on lit "Bienvenue à toustes"

Que ce soit pour prôner l’accessibilité financière d’un service ou d’un produit ou pour témoigner qu’on s’adresse à une audience infinie, penser à écrire « tous » en inclusif me paraît être la base d’une communication inclusive.

Avec une formulation consensuelles (comme toutes et tous) ou plus audacieuse, comme la ponctuation ou les néologismes, sortir de la logique du masculin dit générique « pour tous » témoigne qu’on pense la place des femmes dans sa cible marketing. Et quand on sait que les femmes se sentent plus concernées par les publicités qui s’adressent à elles au féminin, ça n’est plus une question de justice sociale mais d’efficacité publicitaire.

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Pourquoi dire et ne pas dire

Féminin des noms de métiers : qu’est-ce qui bloque ?

J’ai plein d’anecdotes à raconter autour de la féminisation des noms de métier, c’est-à-dire le fait d’employer un nom de métier au féminin quand on parle d’une femme (dire autrice, cheffe, directrice, commandante…). Parmi ces anecdotes, une avocate affirmant que « dans son métier, c’était impossible » ; des associations de femmes qui préfèrent utiliser le faux féminin « entrepreneure » plutôt que « entrepreneuse » ; une femme défenseuse du langage inclusif mais refusant d’utiliser le mot mairesse pour parler d’elle et j’en passe.

Entendons-nous bien : ces femmes ne font pas ce choix parce qu’elles sont ignorantes ou forcément ultra conservatrices. Il serait malhonnête et désobligeant d’affirmer cela. Parfois d’ailleurs, ce n’est pas tant un choix qu’un automatisme, une habitude jamais vraiment questionnée.

Pourtant, pour qui connait le pouvoir et l’impact potentiel du langage inclusif, choisir en conscience d’adopter un nom de métier au féminin quand on est une femme peut être extrêmement puissant, pour soi, pour son entourage et pour la société dans son ensemble. Et en ce mois de janvier 2025, j’avais envie d’encourager cette conversation et, pourquoi pas, d’inspirer quelques femmes à réfléchir à une seule et unique résolution, facile à tenir et à l’impact démontré : féminiser son nom de métier.

Petit retour historique sur les noms de métiers

Je ne vais pas vous faire un récapitulatif de la longue histoire des noms de métiers, d’autres ont fait ça avant moi, et très bien, comme Eliane Viennot dont l’ouvrage Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! a fait date à ce sujet. Vous pouvez d’ailleurs la découvrir en podcast, c’est toujours un super moment de l’écouter parler.

Mais il y a quand même quelques repères que vous devez avoir en tête :

  • les noms de métiers ont été les premières victimes de la vague de masculinisation de la langue française, déclenchée par l’Académie Française au 17e siècle. Les mots qui désignaient jusqu’alors au féminin des métiers prestigieux sont rayés du dictionnaire et peu à peu perdus par l’usage. Le mot « autrice » est en l’emblème le plus connu et a depuis fait l’objet de nombreuses recherches visant à le réhabiliter (comme le livre d’Aurore Evain, Histoire d’autrice de l’époque latine à nos jours).
  • en France, c’est dans les années 1980, avec l’arrivée au pouvoir de femmes en politique, que la question de la féminisation des noms de métiers revient sur le devant de la scène : les premiers guides de féminisation paraissent, comme le fameux Femme, j’écris ton nom (accessible gratuitement ici), né des travaux de la commission lancée en 1984 par Yvette Roudy, alors Ministre des droits des femmes. Commence aussi la querelle des noms de métiers, très bien racontée par Bernard Cerquiglini dans Le ministre est enceinte, porté notamment par le farouche refus de l’Académie Française.
  • Aujourd’hui, la féminisation (ou même la reféminisation comme le dit Eliane Viennot) est considérée comme la base du langage inclusif en français, et les usages ont largement suivi : Elisabeth Borne n’a jamais été appelée « Madame le Premier Ministre » au moment de son arrivée à Matignon et le mot « autrice » ne choque plus tant l’oreille. Un petit tour sur Google Trends nous démontre même que depuis le début des années 2020, les recherches pour les mots « autrice » et « entrepreneuse » ont dépassé celles pour « auteure » ou « entrepreneure », des faux-féminins importés du Québec dans les années 70.
Graphique issu de Google Trends montrant les évolutions de recherches des 5 dernières années pour les mots auteure, autrice, entrepreneure et entrepreneuse.

La féminisation des noms de métier, un consensus mou.

D’ailleurs, la féminisation des noms de métiers est la plus consensuelle des 3 grandes conventions du langage inclusif quand il s’agit de rendre visibles les femmes dans la langue : un sondage mené par Google et Mots-Clés en 2021 a montré que 65% des internautes en France y étaient favorables, alors que les termes englobants ou non genrés sont acceptés à 56%, et le point médian à seulement 39%.

Graphique montrant le pourcentage de personnes favorables à la féminisation des noms de métier

Mais ce sondage révèle aussi que 21% des internautes expriment un avis défavorable. La favorabilité n’est donc pas écrasante et le consensus peut être qualifié de mou.

Plusieurs phénomènes illustrent d’ailleurs que la féminisation des noms de métiers, qui traduit la féminisation des métiers eux-mêmes, notamment les plus prestigieux, ne va pas encore de soi à l’échelle de la société. Par exemple :

  • les courriers des administrations ou services destinés à « Monsieur le Dirigeant » par défaut (on en reparlera, j’en ai quelques exemples déchirés dans un tiroir pour un prochain article)
  • des femmes au noms de métiers mal genré dans les médias, comme cet exemple édifiant d’une vidéo de France Inter où Laure Adler (féministe s’il en est !) est désignée comme « historienne, écrivain et journaliste ». Mais écrivaine, non.
Capture d'écran d'une vidéo de France Inter sur Instagram où on voit Laura Adler interviewée, avec le titre "Historienne, écrivain et journaliste"

  • des femmes qui elles-mêmes choisissent de conserver un nom de métier au masculin.

Et c’est sur ce dernier sujet que le blocage me paraît le plus étrange et que j’ai voulu investiguer.

Les raisons de la non féminisation choisie des noms de métiers

Cette année, j’ai rencontré Cécile Leprince alors qu’elle dirige une agence de pub spécialisée dans les réseaux sociaux. Plutôt sceptique au départ sur la question du langage inclusif, nous nous rencontrons par une connaissance commune. Nous échangeons sur mon approche du langage inclusif au delà de l’écriture inclusive, mes convictions sur son pouvoir dans le monde de la pub (ce que je développe dans mon ebook, en gros) et les engagements de Cécile dans une association de soutien à des femmes victimes de violences. Dans le cadre d’une conversation ouverte et bienveillante, Cécile écoute, pose des questions et progressivement commence à voir l’intérêt du sujet que je porte. L’envie d’aller plus loin est née. Et dans les dernières minutes de la conversation, Cécile me partage que sur LinkedIn, son titre est « Directeur Général ». Elle n’a pas choisi de féminiser son nom de métier.

Et Cécile n’est pas la seule femme qui occupe un poste de direction, qui est engagée en faveur des droits des femmes, et qui pourtant choisit délibérément de ne pas féminiser son nom de métier. Pourquoi ?

J’ai interrogé Cécile mais aussi mon réseau sur LinkedIn : qu’est-ce qui fait qu’une femme préfère se faire appeler président, avocat ou directeur ?

Les raisons sont différentes pour chaque femme, parfois elles se cumulent, parfois ce sont aussi des biais inconscients qui sont à l’oeuvre.

Voici une liste, certainement non exhaustive et non classée, des raisons invoquées :

  • s’affirmer comme l’égal d’un homme : « C’était une posture revendicatrice. A une époque où madame la préfète était la femme du préfet, madame la pharmacienne la femme du pharmacien, il s’agissait de s’imposer avec un titre acquis par les études et par le travail et non par le mariage. »
  • revendiquer les mêmes prestige et autorité associés à la fonction : « Feu ma maman était magistrate et elle ne voulait pas qu’on l’appelle Madame la juge ou la présidente, mais Madame LE juge ou LE président. Elle me disait que c’était parce que le titre au masculin incarnait la véritable fonction et son prestige et que le féminiser aurait été comme déformer son parcours et son autorité »
  • des institutions professionnelles qui font barrage et des pratiques métiers très conservatrices : c’est notamment le cas dans le domaine du droit (on pourrait écrire toute un article sur le nom de métier d’avocate) où certains cabinets ou barreaux découragent voire interdisent de féminiser son nom de métier.
  • la distinction entre le titre et la personne (un peu à la manière de l’artiste et l’oeuvre) : « je suis avocat avant d’être une femme » (on pourrait qualifier cela d’approche gender blind, c’état à dire qui refuse de voir le genre comme un critère de différence). « Celles qui préféraient s’identifier comme entrepreneur “neutre” ou entrepreneure disaient qu’elles ne voulaient pas se différencier par leur sexe, voulaient juste être “entrepreneur” tout simplement (sans le côté femme, féminin), et être prises aux sérieux »
  • quand le nom de métier est un féminin conjugal (le métier au féminin désigne « la femme de ») ou entaché (il a une connotation péjorative, comme entraineuse ou maîtresse), comme dans l’anecdote de la mairesse.
  • quand le nom de métier au féminin est très peu usité ou choque l’oreille (argument esthétique) : « J’ai mis du temps mais depuis 3 ans maintenant je dis agente (avant je ne trouvais pas ça beau mais maintenant mon oreille est choquée quand j’entends agent pour une femme, comme quoi on s’habitue 🙂 »
  • l’absence d’intérêt pour ce sujet ou sa dépriorisation par rapport à des sujets sujets plus importants : « moi je voulais combattre le sexisme ordinaire au travail. Le nom de métier au féminin, c’était une paillette qui allait faire plaisir aux féministes mais pas faire avancer concrètement les sujets qui nous bloquent au quotidien, comme l’égalité des salaires »
  • ne pas se fermer d’opportunités professionnelles : « Un prof de com’ conseillait aux traductrices de mettre « traducteur », aux rédactrices « rédacteur », etc…. pour être plus facilement trouvables par de potentiels clients qui les chercheraient sur des réseaux professionnels et Internet…Quand les gens cherchent un free-lance, ils le cherchent généralement au masculin !« 
  • la croyance dans la valeur neutre du masculin : « pour moi, le masculin c’est le neutre, alors garder le nom de métier au masculin, c’est neutre, comme en anglais. »

Compiler cette liste, c’est encore une fois réaliser la charge mentale qui pèse sur les femmes quand on parle d’une chose aussi simple que de choisir comment parler de son métier.

C’est aussi reconnaître l’influence générationnelle : la posture des femmes qui se sont battues pour leur droits depuis les années 70 et qui aujourd’hui revendiquent le masculin comme une victoire, obtenue de haute lutte, est tellement compréhensible.

Cela rappelle la nécessaire bienveillance que nous devons avoir entre nous, femmes : réservons notre jugement avant de critiquer une femme qui ne féminiserait pas son métier car nous ne savons pas ce qui la motive. Derrière chacune de ses raisons, qui peuvent être argumentées dans un sens et dans un autre, il y a des émotions qui sont toutes valides. Au coeur de ses émotions : la peur de ne pas être perçue à sa juste valeur dans le monde professionnel.

Pourquoi féminiser son nom de métier, alors ?

Mais pour la femme féministe de 43 ans que je suis, féminiser son nom de métier, ce n’est pas une lubie. C’est un choix conscient motivé par une raison précise : changer les représentations, pour ma génération et les générations futures.

Les études scientifiques ont démontré que les petites filles se projettent plus dans des métiers quand ils sont décrits au masculin et au féminin, déconstruisant depuis 50 ans cette idée que le masculin ferait le neutre.

Nous avons pu l’étudier chez les adolescent·es de 12 à 18 ans. L’impact du langage est primordial à un âge où l’on se construit, en particulier pour l’orientation professionnelle. Alors que les garçons n’ont aucun problème à s’imaginer travailler dans n’importe quels domaines, y compris ceux où les femmes sont majoritaires (santé…), les filles se sentent plus exclues lorsque les formations sont présentées uniquement au masculin (ingénieur, chirurgien…). Un changement s’opère dès qu’on met en valeur les deux genres. C’est donc un outil indispensable aussi bien pour les jeunes que pour les entreprises afin de diversifier les possibilités de formations et de stages.

Interview de Pascal Gygax, chercheur en psycholinguistique dans Télérama, “L’écriture inclusive fait diminuer nos stéréotypes discriminatoires”


On parle sans cesse du besoin d’avoir des role models féminins pour inspirer les petites filles en leur offrant l’image accessible d’un métier souvent représenté au masculin. Comment être ce role model si on n’assume pas un nom de métier dont le genre grammatical s’accorde avec notre identité de genre ?

C’est l’argument qui a convaincu Cécile de mettre à jour son profil LinkedIn : elle y est désormais « directrice générale ». « Si je vais au collège de ma fille et que je me présente comme directeur, quelle image est-ce que ça renvoit de ce métier ? »

Cela résonne avec cette anecdote partagée sous mon post Linkedin :

C’est marrant, j’ai une anecdote de ma nièce, qui à l’époque avait 10 ans.
Contente de nous accueillir chez elle et d’avoir préparé notre chambre, elle nous explique qu’elle est la directrice de « l’hôtel » qui nous accueille. Elle voudrait qu’on l’appelle « madame le directeur ». Je lui demande alors pourquoi pas « madame la directrice »? Et elle me répond naturellement « eh bien madame, parce que je suis une fille, et le directeur parce que ça gagne plus d’argent ! ».

Changer les représentations, c’est aussi revendiquer et diffuser les noms de métiers au féminin pour que les petites filles l’associent autant que le masculin avec le prestige, l’autorité…et l’argent.

Féminiser les noms de métiers complètement, en utilisant les formes féminines naturelles du français (comme agente, entrepreneuse ou autrice), c’est répandre l’usage, créer de nouvelles habitudes, utiliser des formes où le féminin s’entend, ne reste pas le discret e muet qui se fait oublier. Et en passant, respecter les règles d’accord basique de la langue française.

Enfin, se réapproprier les féminins entachés comme entraineuse ou maîtresse, c’est retourner le stigmate, c’est faire évoluer les stéréotypes en ancrant dans l’usage des connotations positives et valorisantes du féminin.

Cette investigation m’a donc permise de mieux comprendre les raisons qui poussent les femmes à choisir délibérément de ne pas féminiser leur nom de métier.
Je ne les juge pas parce que toutes les raisons qu’elles invoquent sont valides. Cela étant dit, elles démontrent qu’encore une fois que le langage est un lieu de lutte féministe, comme le dit Julie Abbou. Et dans un contexte où il est facile de se sentir dépossédée des moyens de se battre pour la justice sociale et l’égalité femmes-hommes, un geste aussi simple que féminiser son nom de métier peut paraître un petit pas pour une femme mais c’est en réalité un grand pas pour l’humanité.

Bonus : un article et une vidéo à partager

Vous connaissez une femme qui ne féminise pas son nom de métier ? Partagez-lui le lien de cet article ou bien la vidéo de 3 minutes qui le résume sur Instagram ou LinkedIn !

Capture d'écran d'un post Instagram de re·wor·l·ding
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Pourquoi dire et ne pas dire

Élections « américaines » ou « états-uniennes »: pourquoi le langage inclusif doit être un langage précis

Le mardi 5 novembre aura lieu l’élection présidentielle américaine. Mais depuis quelques jours, quelque chose m’interpelle dans un des mots de cette phrase : « américaine ». Parce qu’il me semble qu’outre-Atlantique, l’électorat ne s’apprête pas à choisir le ou la prochaine Présidente de l’Amérique mais des États-Unis. N’y a-t-il pas une différence ? Et étant partisane d’un langage inclusif et précis, ne devrais-je pas recommander de parler des élections « états-uniennes » ? Réponses.

Américain vs états-unien : ambiguïté vs gauchisme

J’ai passé le week-end avec un ami devenu accroc à Gémini, l’intelligence artificielle de Google. Étant moi-même une ancienne employée de la maison (où j’ai passé 10 années incroyables et trouvé ma vocation de formatrice), j’ai réalisé que je sous-exploitais cette ressource pourtant à un clic de moi. Aussi, quand je me suis lancée dans le sujet qui nous occupe aujourd’hui, j’ai interrogé Gemini.
Et j’ai réussi à le faire bugger.

Capture d'écran de Gemini : 
Faut-il parler des "élections américaines" ou "élections états-uniennes" ?


Je ne peux pas répondre aux questions sur les élections et les personnalités politiques pour le moment. J'essaie de fournir des réponses aussi précises que possible, mais il m'arrive de faire des erreurs. Pendant que je travaille à améliorer mes réponses aux questions sur les élections et la politique, vous pouvez essayer d'utiliser la recherche Google.

Gemini a préféré ne pas me répondre pas peur d’imprécision : c’est la meilleure réponse que l’algorithme pouvait me faire pour me faire l’aimer encore plus.

Finalement, en revoyant mon prompt (mon instruction à l’IA) et quelques lectures plus tard, voici l’essentiel de ma découverte :

  • la définition même du mot « américain » dans divers dictionnaires est double : « des États-Unis d’Amérique » ou « du continent américain »
  • dans la diplomatie internationale, « américain » est le terme officiel pour désigner les personnes, organisations ou politiques des États-Unis (USA)
  • cette double définition est donc une ambiguïté assumée du mot qui désigne à la fois un continent dans son entier (parfois appelé « les Amériques » pour forcer la distinction) et un pays (les États-Unis d’Amérique)
  • depuis le début du 20e siècle, le mot « états-unien » a émergé mais reste en usage très minoritaire car considéré comme péjoratif et surtout marqué politiquement (très) à gauche : il est assimilé à une critique de l’impérialisme des États-Unis et rejeté comme un néologisme au service de l’idéologie altermondialiste.

Sur ce dernier, point, il est intéressant de noter que ce néologisme suscite des discours de rejet similaires à ce qu’on observe dans le champ du langage inclusif quand on crée par exemple des néologismes inclusifs comme « auditeurice ». Sur Wikipedia, on lit que le mot « états-unien » a provoqué de vives réactions, le désignant par exemple comme :

 « néologisme particulièrement choquant, qui a déjà tenté à plusieurs reprises son entrée dans le vocabulaire géographique » (…) « porte-drapeau des cecaiens, des urssiens et autres barbarismes à proscrire ».

J’ai du mal à ne pas ressentir ici le même genre de véhémence (pour ne pas dire violence), de dégoût, de condescendance que dans les commentaires négatifs reçus par mon interview sur Welcome to the Jungle, postée la semaine dernière (les commentaires les plus savoureux se lisent sur Instagram mais il y a aussi quelques perles sur LinkedIn). Les néologismes, et plus largement l’évolution de la langue française, ça met les gens à cran. Mais passons.

Quand on lit le point de vue de spécialistes de la langue, dans la rédaction, la correction ou la linguistique, on trouve (heureusement) des perpectives plus mesurées. Je trouve que celle de Martine et Olivier, correctrice et correcteur pour le Monde, résument bien une position qui me semble raisonnable :

Pour notre part, en tant que correcteurs (sic) du site Internet du Monde, vestales de la langue française et responsables de sa bonne tenue orthographique et sémantique, nous sommes tenus d’avoir une opinion, qui est la suivante : Américain a pour lui la légitimité historique, Etats-Unien, son « challenger », est assez pertinent et comble en partie un manque lexical ; en fait, ils se complètent et nous laisserons donc les deux cohabiter… même si nous titille la tentation d’une pratique nouvelle.

Blog Langue sauce piquante, du Monde (2007)


A titre personnel, je ne suis pas gênée par l’ancrage politique à gauche du mot états-unien (ça ne devrait pas vous surprendre). Mais comme de manière générale, mon objectif est toujours la moindre résistance auprès de mon audience pour créer les conditions favorables au dialogue, j’adopte aussi des stratégies de contournement : je peux utiliser le mot « US » comme un adjectif, « des US », ou « des États-Unis » en fonction du contexte.

Mais qu’en dit-on aux États-Unis, justement ?

Réfléchir à ce qu’on dit vraiment quand on choisit un mot plutôt qu’un autre : c’est ce que je trouve tellement enrichissant dans la pratique d’un langage inclusif, en tant que défi intellectuel.

Si en France l’expression même de langage inclusif renvoie pour la grande majorité des gens à la question de la visibilisation des femmes dans la langue, avoir travaillé 10 ans dans une entreprise états-unienne (voilà) a énormément contribué à me donner une vision plus large de ce qu’on peut entendre par « langage inclusif ».

Une expression qu’on rencontre d’ailleurs aux États-Unis est celle de langage précis, « precise language« , que je trouve hyper pertinente : choisir le mot le plus précis pour désigner la réalité d’une situation ou de l’expérience d’une personne fait pour moi intégralement partie d’une pratique inclusive du langage.

« Par exemple, alors que le terme de « minorité » est toujours utilisé aux Etats-Unis comme une manière de décrire une personne non blanche, beaucoup de personnes ne l’apprécient pas ; et dans certains cas, c’est factuellement faux. En remplaçant « minorité » par un terme plus précis comme « historiquement sous-représenté », vos mots sont plus justes et empouvoirant (empowering) pour les personnes de votre entreprise qui s’identifient comme en faisant partie. »

« Striving for a more inclusive workplace? Start by examining your language », Thinkwithgoogle.com


Cela étant dit, aux États-Unis, l’utilisation du mot « american » reste la norme, à quelques rares exceptions près.

Suzanne Wertheim est titulaire d’un doctorat en linguistique et autrice du livre « The inclusive language field guide » dont je recommande vivement la lecture (pour le moment non traduit en français). Cet ouvrage offre une perspective complètement transversale à la question du langage inclusif, applicable à toutes les langues et toutes les dimensions des identités.

L’autrice propose en effet 6 principes très concrets permettant de guider sa pratique d’un langage inclusif :

  • Refléter la réalité (reflect reality) : ne pas invisibiliser la moitié de la population en pratiquant le masculin dit générique est une manière de refléter la réalité
  • Faire preuve de respect (show respect) : respecter l’identité de genre d’une personne et son pronom de choix, ou son origine éthno-raciale en faisant l’effort de prononcer correctement son prénom sont des marques de respect
  • Intégrer les personnes (Draw people in) : ne pas parler à la place des personnes concernées mais avec elles est une manière de les intégrer réellement aux conversations et situations.
  • Intégrer d’autres perspectives (Incorporate other perspectives) : se mettre à la place de quelqu’un d’autre pour ne pas minimiser son expérience vécue permet d’intégrer la diversité des perspectives
  • Éviter l’effacement (Prevent erasure) : sortir des normes hétérosexuelles, blanches et valides dans nos discours est une des manières d’éviter l’effacement des personnes historiquement discriminées
  • Reconnaître les points sensibles (Recognize pain points) : avoir conscience que certaines thématiques peuvent légitimement heurter la sensibilité de certaines personnes permet de mieux naviguer dans des sujets complexes.

J’ai donc interrogé Suzanne sur le mot « american » (et demandé à Gemini de traduire, je ne suis pas rancunière) :

En bref, oui, je suis d’accord avec toi sur l’utilisation trop large du terme « américain ». Je vois certaines personnes ici aux États-Unis faire attention et s’en éloigner.

Mais oui, les Amériques sont 2 continents et 3 régions : l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud. Les États-Unis sont le pays le plus dominant et hégémonique dans les trois régions, mais ce n’est pas parce qu’il marginalise les gens dans d’autres endroits que c’est juste.

Parler des États-Unis comme s’ils représentaient toutes les Amériques (ou même toute l’Amérique du Nord, demandez simplement aux Canadien·nes) va à l’encontre de plusieurs principes du langage inclusif : refléter la réalité, intégrer les personnes, intégrer d’autres perspectives, prévenir l’effacement.

Et pour certaines personnes, surtout au Canada pour le discours en langue anglaise, reconnaître les points sensibles. Parce qu’ils et elles en ont marre.

Français, Asiatique, Africain : attention aux gentilés totalisants

Concernant le mot « américain », je vous laisse donc faire votre choix en conscience, vous avez de quoi vous faire un avis éclairé.

Mais je vous propose d’étendre cette réflexion à d’autres termes qui mériteraient aussi de bénéficier d’une approche précise du langage inclusif : je pense notamment à tous les mots qu’on appelle des gentilés, c’est-à-dire qui désignent les populations d’une zone géographique spécifique, relativement à cette zone.

Quand on parle des Françaises et des Français, par exemple, il faut toujours faire très attention car si dans certains contextes le mot désigne les gens qui ont la nationalité française (par exemple dans le cadre d’une élection, le vote leur étant réservé), dans d’autres, comme les études de marché, on parle simplement de gens qui vivent en France, voire des Internautes francophones, sans forcément en avoir la nationalité.

Dans un contexte de montée de l’extrême-droite, de renforcement des politiques sécuritaires et migratoires, avoir une attention particulière à inclure (ou non, en fonction de ses idées) toutes les personnes personnes présentes sur le sol français dans son discours, quelle que soit leur nationalité, est une nécessité politique. Et un positionnement.

En d’autres termes, il faut faire très attention aux termes totalisants, c’est-à-dire qui englobent la totalité d’un groupe dans un mot générique et large, pour reprendre le terme lu chez Eliane Viennot. Eviter de dire l’Homme pour désigner l’humanité ou La Femme pour parler de la diversité des femmes en sont deux exemples.

De qui parle-t-on quand on dit « les Africains » ou qu’on parle de « cuisine africaine » alors que ce continent compte à lui seul plus de 1,5 milliards de personnes ? Pourquoi désigner sous le même terme des cultures aussi différentes que la culture berbère ou afrikaans, séparées de près de 8000 km ?

Il en va de même pour le terme « asiatique » : mais qu’est-ce que ça veut dire « être d’origine asiatique » quand le continent Asie couvre aussi bien l’Inde, que la Vietnam et le Japon ? Souvent, cela veut dire être « asiatiqueté·eé », pour reprendre le terme du collectif Féminin/Asie :

L’asiatiquetage est un mot-valise qui correspond au fait d’être perçu·e (étiqueté·e) comme asiatique selon certains critères physiques : posséder une certaine forme d’yeux, une certaine forme de visage, avoir des cheveux noirs et lisses, etc. Dans l’inconscient collectif, être asiatiqueté·e revient également au fait d’être perçu·e comme chinois·e. Certaines personnes asiatiques en France ne sont pas « asiatiquetées » en raison de l’histoire coloniale française. Par exemple, les personnes originaires d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et des pays d’Asie du Sud et d’Ouest ne sont pas toujours perçues comme asiatiques en France mais sont considérées Asians au Royaume-Uni.

Employer des gentilés totalisants (vous en aurez appris des mots, aujourd’hui), c’est donc l’inverse d’un langage précis et inclusif parce que cela nie la diversité même des populations qui composent ces zones. Je pense même que cela contribue à renforcer les biais racistes en renforçant des stéréotypes simplificateurs (et simplistes). Et plus le mot est associé à une réalité géographique étendue (notamment à l’échelle d’un continent), plus il est évident que cela nuit à la prise en compte des perspectives diverses qui la composent forcément.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus jamais dire américain, africain ou asiatique. Mais quand vous le faites, posez-vous simplement ces deux questions :

  • est-ce que ce terme est employé pour désigner des personnes (car c’est en premier lieu dans ce cas qu’il faut faire très attention) ?
  • quel mot plus précis pourrait-on employer à la place ?

Ainsi, en plus de cultiver votre esprit critique, vous étendrez aussi votre culture géographique. Je vous avais dit que c’est tout bénéf, le langage inclusif.

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Le langage inclusif pour les nul·les Pourquoi dire et ne pas dire

Les mots du handicap, cas d’école du langage inclusif

Hier, je suis allée à Inclusiv’Day, le salon des entreprises engagées pour l’inclusion et les innovations sociales. J’y ai été invitée pour répondre à la question « Comment la communication peut-elle rendre la société plus inclusive ? ». Cela a été l’occasion de rappeler que ma définition du langage inclusif n’est pas centrée uniquement autour de la notion d’égalité de genre (rendre visibles les femmes dans la langue en la démasculinisant) mais qu’elle s’étend à l’attention qu’on porte à tous les mots qui désignent les personnes, a fortiori quand elles font partie de groupes discriminées. Trouver les bons mots pour parler de handicap, c’est aussi ça le langage inclusif.
En me baladant dans les allés du salon, en écoutant les conférences, en observant les stands des associations, entreprises et institutions qui œuvrent au quotidien pour l’inclusion des personnes handicapées, j’ai réalisé que le vocabulaire du handicap offrait une illustration parfaite des 3 principes critiques dans la pratique d’un langage inclusif.

La précision, meilleure alliée de l’inclusion

Dans le champ de la DEI (diversité, équité, inclusion), et surtout dans le monde anglo-saxon, on parle souvent de langage précis (precise language) en complément du langage inclusif. L’idée ici est que la première étape pour choisir des mots qui incluent les personnes discriminées est de choisir des mots qui reflètent précisément la réalité de leur discrimination.

“Par exemple, alors que le terme de “minorité” est toujours utilisé aux Etats-Unis comme une manière de décrire une personne non blanche, beaucoup de personnes ne l’apprécient pas ; et dans certains cas, c’est factuellement faux. En remplaçant “minorité” par un terme plus précis comme “historiquement sous-représenté”, vos mots sont plus justes et empouvoirant (empowering) pour les personnes de votre entreprise qui s’identifient comme en faisant partie.”

“Striving for a more inclusive workplace? Start by examining your language”, Thinkwithgoogle.com

Quand on parle de handicap, la question de la précision est cruciale : parce que le handicap peut être visible ou invisible, parce que le handicap peut être physique ou mental, parce que le handicap peut être plus ou moins lourd, permanent, intermittent ou évolutif, parce que notre connaissance des pathologies qui causent les handicaps évoluent et que la perception sociale des handicaps aussi.
Par exemple, il y a des différences factuelles entre une personne aveugle et une personne malvoyante, entre une personne sourde et malentendante. Dire d’une personne qu’elle est malvoyante plutôt qu’aveugle peut nous donner l’impression (surtout si on est soi-même voyant·e) d’être plus politiquement correct, d’utiliser un langage adouci plus pudique quand en réalité il ne reflète simplement pas la réalité de cette personne.

Comme je le partageais dans ma déconstruction du mot noir, la question n’est pas pour les personnes valides de trouver la formulation qui les fait se sentir plus à l’aise mais de s’éduquer pour apprendre quel est le mot qui décrit le mieux la réalité du handicap dont on parle, au moment où on en parle.

Et les mots évoluent vite : comme pour les identités de genre dont le vocabulaire est très dynamique, les avancées scientifiques et médicales sur les handicaps nous poussent régulièrement à revoir la manière de les nommer : c’est ainsi qu’aujourd’hui on ne parle plus tant d’autisme mais plutôt de troubles du spectre autistique (pour refléter la variété des formes que peut prendre l’autisme).

Je sais que ce n’est pas facile : moi-même qui suis sensibilisée à cette question sans être concernée personnellement, je sais les limites de ma connaissance. Et il est possible que dans les lignes qui précèdent j’ai écrit des mots imprécis. En revanche, je sais que quand je parle de handicap, je dois faire preuve d’une attention supplémentaire (et au fond, c’est ça le langage inclusif, porter une attention particulière aux mots qu’on emploie). Cette attention ne va pas m’empêcher de faire des erreurs mais va me pousser à faire deux choses : m’éduquer sur les handicaps pour choisir les mots les plus précis possibles et mettre en œuvre le deuxième principe critique du langage inclusif, interroger les personnes concernées.

Les mots justes sont ceux des personnes concernées

Dites-vous « personne handicapée » ou « personne en situation de handicap » ? Cette question n’est pas si simple qu’il n’y paraît car il n’y a pas de bonne réponse à y apporter. La meilleure formulation est celle qui conviendra à la personne concernée par le handicap.

Dans le podcast La Série Documentaire : Handicap, la hiérarchie des vies, une femme exprime sa préférence pour l’expression personne handicapée à celle de personne en situation de handicap, car pour elle le handicap est une oppression de la société validiste dans laquelle nous vivons : elle est handicapée par la société qui ne lui est pas accessible et ne fait que peu d’effort pour le devenir, car le fait d’être valide (sans handicap) est perçu comme la norme à laquelle les personnes handicapées doivent s’adapter (je reprends ce paragraphe d’un article que j’ai consacré à l’emploi de la forme passive en langage inclusif).

Il existe une distinction conceptuelle utile pour mieux saisir la complexité de cette question : on distingue le langage centré sur l’identité (identity-first language) et le langage centré sur la personne (person-first language ou people-first language).

Le langage centré sur la personne souligne la personne avant le handicap, par exemple « personne aveugle » ou « personnes avec des lésions de la moelle épinière ». Le langage centré sur l’identité place le handicap en premier dans la description, par exemple « handicapé » ou « autiste ». Le langage centré sur l’identité et le langage centré sur la personne sont aussi acceptables l’un que l’autre et dépendent des préférences personnelles des personnes concernées.

Site de EARN, The Employer Assistance and Resource Network on Disability Inclusion

Dans le langage centré sur la personne, le handicap va être une dimension supplémentaire de son identité, quelque chose qui s’ajoute à ce que la personne est déjà (on dit d’ailleurs beaucoup plus souvent dans les entreprises états-uniennes comme Google people with a disability, personne avec un handicap, que disabled people, personne handicapée). Cela se traduit aussi en français par l’utilisation de la combinaison « personne + adjectif » (comme « les personne aveugles ») préférée à l’adjectif substantivé (utilisé comme nom) comme « les aveugles ».

Ce qui est important ici c’est que le choix du mot dépend entièrement de la manière dont la personne vit et définit son handicap. Et comme cela relève de l’expérience individuelle, la seule manière de savoir pour une personne donnée le bon mot à utiliser est de lui poser la question.
Mon expérience m’a démontré qu’il est beaucoup moins pénible pour la personne concernée par le handicap comme la personne valide de poser de manière sincère et factuelle la question (comme pour les pronoms dans le cas de l’identité de genre) que de tourner autour du pot, faire des erreurs, se sentir mal à l’aise. Par exemple, vous pouvez demander : « J’aimerais utiliser le terme le plus approprié pour toi quand il s’agit de ton handicap : comment préfères-tu que j’en parle ? »
Peut-être ressentirez-vous de la gêne, mais vous démontrerez aussi du care (dans le sens d’attention) et il y a fort à parier que la personne en face de vous appréciera votre intérêt sincère et votre désir de bien faire plus qu’elle ne trouvera votre question intrusive (malheureusement, elle a certainement l’habitude des questions qui le sont avec moins de bienveillance).

Rendre visibles les femmes, toujours

A titre personnel, l’expression que j’ai décidée d’employer est celle de personne handicapée car c’est celle que je vois employée par les militant·es que je suis sur les réseaux sociaux, qu’elle me semble précise et aussi qu’elle est inclusive en genre. Le mot « personne » peut désigner aussi bien un homme qu’une femme ou une personne non-binaire.

Or, dans les allées du salon ou dans les discours que j’ai entendus lors des conférences, le handicap se dit encore trop souvent au masculin. Comme dans le reste de la société, le masculin dit générique est employé partout, ce n’est pas une surprise. Mais ce qui est dommage est que des personnes engagées sincèrement sur la question de l’inclusion ne prêtent pas attention à représenter dans le choix de leurs mots toutes les personnes handicapées, quel que soit leur genre. Cela prouve encore une fois que le genre des mots est un impensé de la communication, même aux endroits les plus sensibilisés à la question de l’inclusion.

J’ai pris quelques photos qui le démontrent : dans le champ du handicap comme ailleurs, les travers d’un langage non inclusif se retrouvent. Sur ces exemples, on voit bien à l’œuvre le masculin dit générique qui fait parler des « travailleurs handicapés », pas des travailleuses, des « aidants » et pas des aidantes (qui sont pourtant en grande majorité des femmes), ou la dissonance linguistique entre un texte qui promeut « une société ouverte à tous » tout en mettant en avant l’image d’une femme.

Photo prise sur le salon Inclusiv'Day où on voit 3 affiches d'associations écrites au masculin dit générique : travailleurs handicapés, café des aidants, société ouverte à tous.


J’ai une approche féministe intersectionnelle c’est-à-dire qui reconnait que les discriminations se cumulent et qu’il faut toutes les combattre. Être une femme handicapée, c’est cumuler la discrimination validiste et la discrimination sexiste.

En novembre 2022 est parue une étude de l’IFOP pour L’adapt : « Être une femme en situation de handicap, la double peine ? ». Les résultats sont sans appel et démontrent qu’on aurait pu se passer du point d’interrogation dans le titre.

Plus de charge mentale liée au travail domestique, plus de précarité économique, plus d’agressions sexuelles que les hommes bien sûr mais aussi que les femmes non handicapées. Pour contribuer à rendre visible ces discriminations, il faut dire le handicap au masculin et au féminin.

Je ne jette pas la pierre à ces associations et organisations qui pour la plupart font un travail remarquable et nécessaire pour l’inclusion des personnes handicapées.

Elles sont attentives aux mots qu’elles emploient pour parler de handicap, elles peuvent donc cultiver leur esprit critique sur le genre des mots qu’elles emploient pour parler des personnes qu’elles accompagnent, des personnes qui composent leur organisation, des personnes qui en ont le plus besoin.

Il faut que le monde du handicap s’y attèle pour éviter de rendre encore plus invisibles les femmes qu’on compte parmi les 13 millions de personnes qui en France vivent et travaillent avec un handicap, qu’il soit visible ou non, déclaré ou non, permanent ou non.

Photo d'un écran annonçant une conférence intitulée : Les invisibles : qui sont ces 13 millions de travailleurs ?"

Vous pouvez écouter mon intervention au salon Inclusiv’Day sur le site de l’évènement.

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : blacklister, ou la charge raciale des métaphores

Il y a deux ans, j’ai partagé mon parcours de déconstruction personnelle sur mon rapport au mot noir dans l’article Pourquoi je dis : un·e collègue noir·e.

A l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale le 21 mars, je m’intéresse aux mots et expressions qui, sans qu’on s’en rende forcément compte, portent une charge raciale comme les mots blacklister/whitelister

Blacklister / whitelister : quand les mots du quotidien portent une charge raciale

Si la question du tabou autour du mot noir est par essence très francophone, prendre une perspective plus internationale sur la question du langage inclusif nous invite aussi à nous interroger sur d’autres mots du vocabulaire courant.

C’est le cas du binôme de mots blacklister et whitelister (mettre sur une liste noire ou une liste blanche) qui sont tous les deux de plus en plus souvent abandonnés, notamment aux Etats-Unis où de nombreuses entreprises ont décidé d’interdire leur usage.

Ce qui est reproché à ces mots très souvent utilisés dans le développement informatique (de même que le binôme de mots master/slave ou maître/esclave quand on désigne des relations de tables dans une bases de données par exemple), c’est de dater de l’époque coloniale et d’être intrinsèquement liés à l’époque de l’esclavage.

Par extension, les utiliser aujourd’hui contribue à perpétuer la dichotomie noir = à interdire et blanc = à autoriser, dans une tradition ségrégationniste. Dans le contexte états-unien, cette interprétation me semble tout à fait pertinente et je comprends pourquoi Google, Cisco, Apple et j’en passe ont décidé d’utiliser un langage plus inclusif en choisissant d’opter à la place pour les termes équivalents blocklist / allowlist.

Au-delà de la charge raciale, j’ai d’ailleurs trouvé intéressant un autre argument en faveur de l’utilisation de blocklister / allowlister : éviter la dimension métaphorique (ici l’association d’une couleur à un statut) pour utiliser un langage explicite plus précis (ce qui est autorisé ou non).

Si un alien débarquait sur terre sans aucune référence au contexte culturel et au symbolisme du mot noir, l’alien ne comprendrait simplement pas ce qu’est une liste noire ou une liste blanche, à part à faire référence à la couleur de l’encre (mais les aliens connaissent-ils l’encre ? Je m’égare).

Cet argument du sens métaphorique m’a emmené sur un autre terrain : que faire de expressions du quotidien qui contiennent le mot noir avec une connotation péjorative, comme le mouton noir, blackbouler, travailler au noir… ?

Comment les métaphores façonnent nos imaginaires

Le mot noir a une palette de connotations symboliques très riche et je recommande vivement la lecture ou l’écoute de l’expert de l’histoire des couleurs Michel Pastoureau pour en avoir une meilleure idée.

Dans les expressions ci-dessus, le mot noir n’a en général rien à voir avec la dimension raciale mais est plutôt une référence à la noirceur de la nuit (comme dans “travailler au noir” ou “marché noir”, des pratiques illégales qui avaient plutôt lieu la nuit quand il fait sombre), à un trait physique extra-ordinaire rencontré dans la nature (comme le très rare mouton noir, devenu par extension le symbole de la différence stigmatisée) ou à des pratiques rituelles anciennes (comme les votes par boules noires ou blanches dans la Franc-Maçonnerie pour le terme blackbouler).

Si la connotation raciale n’est donc pas attestée dans ces exemples, ne contribuent-ils pas à la perpétuation d’un imaginaire dans lequel ce qui est noir doit être rejeté, et donc les personnes noires mises à l‘écart ?

J’ai échangé sur ce point avec Asli Ciyow (dont je vous recommande fortement de suivre les analyses d’affiches de cinéma par le prisme de la représentation et l’inclusion des personnes minorisées), femme qui s’identifie comme métisse et fait partie de groupes de discussion de personnes racisées dont des personnes noires. Elle me disait que depuis quelques années, il y a avait de fait des conversations sur ce sujet dans ces groupes sans qu’un consensus se dégage sur leur utilisation.

Même s’il est reconnu que l’origine de ces expressions n’a rien à voir avec la couleur de la peau (bien qu’on puisse s’interroger sur le glissement de l’expression “travail au noir”, souvent transformée en “travail au black” peut-être en raison d’un biais raciste associant illégalité et personnes noires), nombreuses sont les personnes qui ont souffert d’être traitées ou considérées comme le mouton noir ou le vilain petit canard.

Dans un contexte où les personnes noires subissent toujours des discriminations et se retrouvent de fait souvent seules dans des groupes de personnes blanches, l’expression du mouton noir voit son sens métaphorique initialement sans rapport avec la couleur de peau correspondre à une réalité statistique. Et c’est là que les lignes se floutent et que l’esprit critique est indispensable.

Je n’ai donc pas de réponse facile à apporter à la question de l’usage de ces expressions métaphoriques mais à l’avenir, je me poserai deux questions quand je les croiserai ou penserai à les employer :
– de qui parle-t-on dans le contexte du discours ?
– existe-t-il une expression plus précise pour dire la même chose ?

Ce qui est certain, c’est qu’en cette Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, il suffit de regarder dans l’espace public pour voir qu’aujourd’hui, la place des personnes noires en France est loin d’être une question résolue.

Et je vous laisserai avec ces quelques images prises dans la rue à Paris récemment. Observez et comptez le nombre de personnes noires que vous y voyez. La réponse (ne) va (pas) vous surprendre. Car dans le discours républicain dont parle Claire Levenson dans l’article Pour une utilisation décomplexée du mot noir, et les médias qui le relaie, il n’y a pas de place pour la peau noire.

Photos de 3 affiches pour RTL, le Figaro.TV et Entreprendre où on ne voit que des personnes blanches
Voilà la place des personnes noires : nulle part.
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Est-ce que ce monde est sérieux ? Pourquoi dire et ne pas dire

La publicité aussi a besoin de relectures sensibles

Souvent, en début d’année, je cherche un mot qui va me donner un cap pour les 12 mois à venir. L’année dernière, c’était step change, passer à l’étape supérieure. Ce que je n’ai pas mal réussi en quittant une boîte où j’étais depuis 10 ans pour me lancer dans la formation en communication inclusive et le coaching. En contribuant à un livre. En passant à la télé. Et d’autres petites choses.
Pour 2024, un mot trotte dans ma tête depuis quelques mois : sensibilité. Je ne sais pas encore très bien comment il peut devenir un mot d’ordre mais j’ai envie de l’explorer. Notamment depuis que j’ai découvert qu’une traduction française qui circule pour l’expression sensitivity readers est celle de démineur éditorial. J’en ai perdu mon anglais.

Quand la sensibilité fait l’actualité

Depuis quelques années, on parle en France des sensitivity readers, des personnes chargées de relire des œuvres avant parution (souvent des romans mais aussi de la littérature jeunesse) avec un prisme inclusif, c’est-à-dire en repérant la présence de stéréotypes ou de formulations imprécises qui pourraient avoir pour conséquence de blesser certaines personnes.
En France, les médias se sont emparés du sujet à la rentrée littéraire de septembre 2023 quand l’auteur canadien Kevin Lambert a été nominé au Goncourt pour son roman Que notre joie demeure, ouvrage qui a fait l’objet, à sa demande, d’une relecture sensible. Il n’a finalement pas gagné ce prix mais a contribué à créer un cycle médiatique autour de ces (re)lectures sensibles : on parle d’un phénomène venu des Etats-Unis qui questionne la liberté d’expression des auteurs et autrices et évoque une censure au nom de la protection de la sensibilité des « minorités » (je dirais des groupes minorisés, ça serait déjà plus précis).

Les opinions se forment et le fantasme naît, dans le droit sillon de la polarisation des opinions sur les sujets qui font l’actualité sociétale des dernières années : la cancel culture, l’appropriation culturelle ou l’écriture inclusive. D’un côté un discours qui tend à dénoncer une censure de la pensée et une hypersensibilité des personnes discriminées, de l’autre la dénonciation d’une posture considérée comme réactionnaire et défendue par des personnes privilégiées.

Spoiler alert : c’est évidemment plus complexe que ça.
Comme toujours, ce qu’il manque au « débat » est la nuance et le regard critique, c’est-à-dire la capacité à examiner le sujet dans ses aspects constructifs et problématiques pour former son jugement.

A la place, on a une caricature, une parodie, comme dans le roman de Tania de Montaigne, Sensibilités, paru en septembre 2023, le deuxième élément à nourrir ce cycle médiatique. Présenté comme une fable ou une satire, ce roman raconte l’histoire d’une lectrice sensible dans une maison d’édition cotée en bourse qui s’appelle Feel Good, à l’affût du moindre dérapage potentiel qui pourrait avoir un impact sur la sensibilité du lectorat et la valeur de l’action. Tania de Montaigne explique que des éléments de son roman sont inspirés de son expérience personnelle et je ne doute pas de l’authenticité des situations qu’elle a pu vivre (elle parle notamment d’un renommage d’ouvrage qui finit vidé de son sens de manière totalement absurde).
Ce qui me chagrine dans ce récit est qu’il présente les sensitivity readers de manière très manichéenne et ne témoigne pas d’une once de regard critique sur ce métier. A dépeindre ce personnage comme une femme finalement bête, l’autrice manque de soulever les interrogations et besoins légitimes de reconnaissance et d’inclusion à l’origine même de l’émergence de ce métier. Vous me direz que c’est le propre d’une satire de « s’attaque(r) à quelque chose, à quelqu’un, en s’en moquant ». Mais est-il pertinent de se moquer de quelque chose en accentuant des traits qui sont injustement attribués, voire faux ? Est-il responsable de donner à son expérience individuelle une telle résonance en la généralisant à tout un métier dont l’objectif est avant tout de faire progresser la société vers des représentations plus justes ?

Les amalgames de la colère

Déminage ou conseil

La manière dont on choisit de traduire sensitivity reader en français en dit long sur sa posture : d’un côté des traductions comme démineur éditorial, lecteur censeur ou contrôleur en sensibilité (toujours au masculin, d’ailleurs) présentent une version où la relecture sert à enlever quelque chose (on retire une mine pour qu’elle n’explose pas, on censure des mots pour qu’ils ne blessent pas et éviter les polémiques) là où parler de lecteur ou lectrice sensible ou en sensibilité (je mettrais personnellement sensibilités au pluriel) met l’accent sur la qualité qu’on cherche à donner à un ouvrage. Julie Michel-Gielen, qui fait de la relecture sensible en littérature jeunesse et avec qui j’ai échangé il y a quelques jours, me disait d’ailleurs qu’elle n’aimait pas beaucoup l’utilisation du mot sensible pour désigner cette activité car elle sait l’amalgame qui est fait entre sensibilité (l’aptitude à réagir à son environnement), susceptibilité (se sentir blessé·e dans son amour-propre, c’est-à-dire le sentiment qu’on a de sa propre valeur, de sa dignité, et qui pousse à agir pour mériter l’estime d’autrui) et sur-réaction (« on ne peut plus rien dire »), dans une perspective souvent sexiste (« ces femmes qui ne savent pas contrôler leurs émotions »). Et ce n’est pas la seule à chercher des alternatives : Chloé Savoie-Bernard, poétesse d’origine québécoise et haïtienne, qui a relu le roman de Kevin Lambert, est présentée comme “consultante éditoriale”.

Censure ou amélioration

Dans un article où Kevin Lambert explique sa démarche, il donne un exemple très concret qui démontre bien en quoi la relecture sensible est une forme de conseil et non de censure.

 Je dis simplement que les réactionnaires établissent un raccourci entre lecture sensible et censure, qui est selon moi faux. Mon expérience le démontre : le point de vue de Chloé m’a permis d’amplifier mon personnage, de l’enrichir, d’explorer des zones que je ne m’autorisais pas moi-même à explorer. C’est presque l’inverse d’une censure. Cela m’a aussi permis d’éviter des maladresses. Par exemple, à un moment j’écrivais que le personnage rougissait, mais Pierre-Moïse est noir : il ne peut pas vraiment rougir. C’est l’exemple d’une erreur bête qu’un blanc peut faire, simplement parce qu’il n’y a pas pensé : je suis bien content de ne pas l’avoir laissée dans le livre.

Kevin Lambert répond à Nicolas Mathieu : “La lecture sensible, c’est presque l’inverse d’une censure”, dans Télérama

La relecture sensible, « c’est essayer d’entendre ce qu’on écrit d’une autre oreille » : je vous encourage à écouter cette courte chronique de Christine Angot sur la relecture sensible où elle partage en 3 minutes une vision que je trouve très juste sur cette pratique.

Pour eux [les auteurs qui dénoncent les sensitivity readers, ndlr], c’est l’agent d’un contrôle social sur l’écriture.

Et ils utilisent le mot anglais pour faire « menace étrangère ».

C’est marrant. Parce que, en revanche, quand il est question de faire relire à des membres de la famille qui pourraient être « heurtés » dans leur sensibilité, un roman où ils risqueraient de se reconnaître sous les traits d’un personnage… alors là, tout le monde trouve ça délicat et formidable, humain, respectueux de la vie privée, et de la famille au sens strict. Et celui qui ne le fait pas a vite fait de passer à leurs yeux pour un monstre froid.

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Faire relire un manuscrit, ce n’est pas se soumettre à un contrôle. C’est essayer d’entendre ce qu’on a écrit d’une autre oreille. La littérature se fait dans un temps donné, contemporain, parcouru par tout un réseau de sensibilités, les siennes, celles des autres, l’air, et les mots du temps. On ne peut pas écrire si on ne ressent pas tout ça, en même temps.

Christine Angot, La langue n’est pas un bien personnel, chronique sur France Inter

Le principe d’une relecture est de fournir à l’auteur ou l’autrice des pistes d’amélioration de son œuvre. Comme une éditrice qui relit l’ouvrage d’un auteur pour signaler des faiblesses dans la structure narrative ; comme un fact-checker qui va pointer du doigt les imprécisions d’une situation quand l’ouvrage s’apparente à un travail journalistique avec l’objectif de dépeindre avec réalisme une situation ou une personne ; comme un secrétaire de rédaction qui va retravailler une formulation pour la rendre plus compréhensible ; comme une avocate qui va s’assurer que les propos du livre ne peuvent pas être considérés comme diffamatoires ou contraires à la loi. Une lecture sensible cherche à aider l’auteur ou l’autrice à prendre conscience des stéréotypes et de la portée potentielle de ce qu’il ou elle a écrit.

Il faut bien comprendre que dans son intention la relecture sensible est une invitation, pas une injonction : Julie explique que quand elle relit un manuscrit, elle fournit un document qui détaille à l’autrice (car pour le moment, seules des femmes font appel à ses services) tout ce qu’elle a repéré d’imprécis ou stéréotypé dans son ouvrage avec un préambule systématique précisant que ce ne sont que des recommandations dont l’autrice fera ce qu’elle souhaite.

Evidemment, la relecture sensible n’est pas une pratique uniforme : c’est un métier récent (qui apparait aux Etats-Unis vers 2018), exercé par des personnes souvent concernées elles-mêmes par une forme de discrimination, souvent militantes, pour lequel il n’existe pas (à ma connaissance) de filière de formation ni de code de déontologie. Et comme dans toute profession, il y a des personnes qui l’exercent plus ou moins bien, avec plus ou moins de bienveillance ou de dirigisme.
S’il est difficile d’avoir une vision exhaustive des gens qui pratiquent ce métier, ma conversation avec Julie, qui fait partie d’un groupe d’une soixantaine de lecteurs et lectrices sensibles en France, m’a confirmé que leur profil est plus proche de celui de personnes engagées, travaillant sur demande d’une autrice ou d’un auteur, dans une posture de conseil bienveillant et d’amélioration éditoriale, que celui d’une femme blanche privilégiée obsédée par le cours de l’action de sa maison d’édition, comme la dépeint Tania de Montaigne.

Relecture ou révisionnisme

Le langage inclusif et la relecture sensible ont aussi en commun le procès en révisionnisme. Quand on accuse celles et ceux qui préfèrent l’utilisation de la formulation inclusive « droits humains » à celle de « droits de l’homme » de vouloir renommer la déclaration de 1789 (ce que personne ne demande), les relectures sensibles sont accusées de conduire à la réécriture de textes historiques, comme les fameux exemples cités à l’envi de la mise à jour de la traduction française du livre Les 10 Petits Nègres d’Agatha Christie devenu Et ils étaient 10 (le titre original est And then they were none) ou les livres de Roald Dahl expurgés de certains termes jugés offensants. Si à l’origine de ces démarches on retrouve bien la même idée de l’adaptation aux sensibilités contemporaines dont parle Christine Angot, les sensivity readers qui exercent aujourd’hui se concentrent sur les nouveaux ouvrages, pas les anciens. L’objectif est de donner aux auteurs et autrices tous les éléments de contexte pour prévenir la perpétuation de stéréotypes délétères et les représentations imprécises, pas de réparer les stéréotypes du passé.

Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut pas essayer de les réparer ? Je ne le crois pas : le mot clé dans ce cas est celui du contexte. Je ne peux pas expurger la bibliothèque de mes enfants de livres contenant des stéréotypes mais je peux les accompagner dans la lecture, en discuter avec eux, leur donner les éléments de contexte pour qu’ils comprennent ce qui est problématique. Je peux les aider à prendre conscience des stéréotypes présents afin qu’ils soient capables de les repérer eux-mêmes par la suite. En d’autres termes, développer leur esprit critique. Je trouve ça plus efficace et pérenne que de simplement effacer les traces de discriminations.

C’est pourquoi je trouve intéressante la démarche de Disney qui a déplacé certains contenus de son catalogue destinés aux enfants dans la section adulte de sa plateforme de streaming avec un encart placé au début du film qui explique qu’il date d’une époque où les représentations étaient racistes ou sexistes. Donner une grille de lecture plutôt qu’empêcher la lecture.

Encore faut-il avoir, en tant que parent, conscience des stéréotypes et arriver à les repérer : et ce n’est pas facile quand on a intériorisé le sexisme, le racisme, la grossophobie et j’en passe depuis son enfance. La contextualisation des ouvrages du passé avec ce type d’encart sert de pointeur pour encourager à l’examen critique des œuvres.

Capture d'écran du site Disneyplus où il est écrit : "Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient déplacés à l'époque et le sont encore aujourd'hui. Plutôt que supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaître son ingfluence néfaste afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, d'engager le dialogue et de bâtir un avenir plus inclusif, tous ensemble. 
Disney s'engage à créer des histoires sur des thèmes inspirants et ambitieux qui reflètent la formidable diversité de la richesse culturelle et humaine à travers le monde."

Manifeste pour une publicité sensible

En y réfléchissant, ce que je fais avec re·wor·l·ding et dans ma newsletter, c’est une forme de lecture sensible. Je suis lectrice sensible en publicité. Ma sensibilité, celle qui fait ma personnalité mais aussi celle que j’ai développée en m’éduquant sur les discriminations qui blessent les sensibilités des autres, est un signal que j’utilise pour repérer, analyser, déconstruire. Le problème est qu’aujourd’hui, je l’exerce a posteriori, ce qui n’est pas le principe : il faudrait relire les publicités avant qu’elles soient diffusées.

Et franchement, je crois que c’est ce dont la publicité a besoin : il ne s’agit pas de devenir directrice artistique à la place des DA, ni de censurer les agences de pub, mais de contribuer à conscientiser les mécanismes discriminatoires et les représentations stéréotypées qui pullulent dans la pub. Parce que les gens de la pub sont pétris de stéréotypes. Comme nous le sommes tous et toutes.

Et la pub a une responsabilité : même si un Goncourt se vend en moyenne à 400 000 exemplaires, cela reste une exposition très faible au vu de la population française. Alors que la publicité touche presque tout le monde, tous les jours, tout le temps, sur tous les supports. En ce sens, elle a un pouvoir encore plus grand que la littérature à transformer les imaginaires : et elle peut décider de l’utiliser pour perpétuer des stéréotypes ou les déconstruire.

Dans son livre, Tania de Montaigne, comme beaucoup de détracteurs et détractrices de la lecture sensible, y voit un nouvel avatar du capitalisme : on ne veut pas offenser les gens mais segmenter le marché littéraire afin que chaque groupe, minorisé ou pas, trouve des livres qui le représente bien et achète plus. Je crois que cette analyse est erronée car le monde de l’édition n’a pas attendu les lectures sensibles pour user de segmentations marketing et qu’il me semble que les livres polémiques se vendent mieux que les autres.
Instrumentaliser la sensibilité des personnes minorisées pour dénoncer la société de consommation, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité pour qui s’est intéressé au lien entre capitalisme, oppression et domination.

Si je voulais être cynique, j’utiliserais cet argument pour convaincre le monde publicitaire, qui cherche à faire vendre des produits et des services, que c’est précisément ce dont il a besoin.
Sans cynisme, on peut considérer que renverser le pouvoir de la publicité et la mettre au service de la déconstruction des stéréotypes nés des logiques d’oppression, c’est jouer à l’arroseur arrosé.

Personnellement, je préfère l’option 2. Et 2024 sera donc pour moi l’année où la publicité deviendra sensible.

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Est-ce que ce monde est sérieux ? Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : les experts, ou le boy’s club des figures d’autorité

J’ai développé différentes expertises dans ma carrière : la nouvelle scène musicale française au début des années 2000, le monde du luxe vers 2010 et aujourd’hui le langage inclusif. Pour moi, être experte d’un sujet a toujours été important. J’aime occuper la posture de celle qui sait mais aussi de celle qui transmet, savoir et transmission étant pour moi les deux facettes intimement liées de la position d’experte. Et puis quand on est une femme experte (pléonasme assumé, vous allez voir pourquoi par la suite), on comprend rapidement que les mécaniques sexistes et misogynes du monde dans lequel nous vivons comptent double pour celles qui non seulement veulent prendre la parole, mais en plus incarner une figure d’autorité dans un champ de compétences données. Et c’est pourquoi je trouve franchement agaçante cette pub vue dans le métro il y a quelques jours.

Le boy’s club de l’expertise

C’est une campagne pour un service qui met en relation des entreprises et « des consultants ou managers de transition indépendants », je cite. On y lit le slogan : « Voici l’expert des experts pour trouver des experts ».


Cette campagne a un deuxième volet où on lit : « Les meilleurs consultants indépendants à portée de main » à côté d’une image de femme. On note que sa tenue est emblématique de ce qui est considéré comme un vestiaire typiquement masculin (chemise blanche, veste de costume, couleurs sombres). On comprend qu’on peut faire confiance à cette femme : ses rides témoignent de son expérience, son vestiaire de son sérieux corporate, et son ordinateur de ses compétences (d’ailleurs elle est notée 5 étoiles).

Ce qui est évidemment agaçant dans cette campagne est l’utilisation du masculin dit générique pour parler des experts et des expertes (puisqu’il y en a, on le voit sur la deuxième affiche). Comme on sait (les sources scientifiques, c’est pas ici) que dire le masculin dans la langue convoque des représentations plutôt masculines dans la tête, parler uniquement des experts invisibilise les femmes et contribue à renforcer des stéréotypes de genre sur des métiers et des fonctions (l’expertise, c’est un truc de mecs).
Ce qui est terriblement frustrant ici, c’est que ce masculin dit générique est doublement pénalisant quand on parle d’une position assimilée à une figure d’autorité et plus largement des positions prestigieuses et puissantes dont les femmes ont été écartées (et continuent de l’être). Si le mot « autrice » (et ses copines philosophesse, libraresse, jugesse…) a été progressivement gommé de l’usage par des politiques linguistiques sexistes (je vous renvoie aux travaux d‘Eliane Viennot pour tout savoir de l’histoire de la masculinisation de la langue française), c’est que les hommes de l’Académie Française ne voyaient pas d’un bon oeil qu’une femme exerce ce métier de prestige et d’influence. Nommer les femmes qui écrivent « autrices » fait partie de ce processus de démasculinisation de la langue et des esprits. De même, dire le féminin « expertes » participe de la déconstruction des stéréotypes de genre associés aux fonctions et métiers prestigieux que les hommes se sont longtemps arrogés.

Alors évidemment, je comprends ce qu’on cherche à dire dans cette pub et la construction du slogan n’est pas inintéressante : mais comme je l’écrivais il y a quelques semaines, le slogan ou l’accroche ont une force spécifique et il serait vraiment utile que les entreprises commencent à penser le genre des mots des slogans. Ici, le fait de marteler le mot « expert » 3 fois au masculin enfonce encore plus le clou du genre du mot. Honnêtement, ce slogan me fait l’effet d’un boy’s club de l’expertise. Et on aurait pu faire autrement pour rendre cela plus mixte, en formulant différemment : « Notre expertise : trouver celle dont vous avez besoin ». Le point médian se prête bien au mot expert·e même si le répéter 3 fois alourdirait trop le slogan. Cela étant dit, on aurait pu en mettre au moins un : « Voici l’expert des experts pour trouver des expert·es », qui aurait signalé qu’on y a pensé. Et dans l’affiche avec la manager de transition, on aurait pu assumer de tout mettre au féminin et incarner le message : « Florence, une des nos meilleures consultantes indépendantes à portée de clic » (je n’aime pas beaucoup qu’une personne, a fortiori une femme, soit « à portée de main »).

Mentor, mot épicène

Quelques jours après avoir vu cette pub, j’ai atterri sur le site Mentorshow, un genre de Masterclass à la française qui propose des conseils de mentors pour trouver « des réponses à ses problèmes en 15 minutes par jour ». Ne vous méprenez-pas, je ne trouve pas le concept idiot et mon ton n’est pas sarcastique. Je trouve plutôt super d’avoir accès (sur abonnement) à des contenus de savoir, d’expertise et de développement personnel à travers des vidéos qu’on peut regarder quand on veut et à son rythme. Ce qui me choque, c’est l’uniformité du profil des mentors. Des hommes. Blancs. Aux tempes grisonnantes (ce qui n’est pas un problème un soi mais trahit une forme de confusion entre l’expertise et l’expérience, c’est-à-dire l’idée que l’expertise – et la capacité de conseil qu’on y associe – est uniquement une forme de sagesse de l’âge qui exclut les moins de 30 ans).

Quelle que soit la rubrique qu’on parcourt (à part écriture, cuisine et couture, évidemment), les mentors qu’on voit sont tous des hommes : sur 41 mentors j’ai compté 5 femmes. Et 5 hommes racisés. On est très loin de la diversité flagrante des profils quand on navigue sur le site du concurrent états-unien Masterclass.
Pourtant le mot « mentor », qui vient du nom grec du précepteur de Télémaque, est épicène, c’est-à-dire qu’il ne change pas au masculin ou au féminin (sauf par son déterminant). Mais dans notre imaginaire le mot mentor est tellement associé au masculin que parfois on se force à le décliner différemment pour les femmes, comme le fait l’association Social Builder. Sur son site, on parle de « mentor·e » dans une forme d’hypercorrection inclusive, totalement inutile dans la théorie (puisque mentor peut désigner aussi bien un homme qu’une femme) mais nécessaire dans la pratique (pour forcer la convocation d’une représentation de mentor femme).

Prendre sa place ou prendre sa part

Nous avons besoin de diversité dans les profils de toutes les figures d’autorité (qu’on les appelle expert·e, mentor, leader) qui s’expriment publiquement sur tous les sujets pour nourrir un débat sain de perspectives hétérogènes. Cela veut dire continuer à financer des initiatives comme le site de référencement Expertes.fr ou l’annuaire des talents du numérique de Diversidays. Pour rappel, aujourd’hui en France les femmes n’ont que 36% du temps de parole dans l’audiovisuel français.

Nous avons besoin que les personnes concernées soient les premières à pouvoir s’exprimer sur les sujets qui les touchent pour éviter que le débat ne soit approprié par des personnes sans doute sachantes mais qui ne réalisent pas toujours les conséquences concrètes de ce qu’elles préconisent (et éviter de se retrouver avec un plateau télé où 7 hommes discutent entre eux des sujets d’actualité, y compris de la ménopause).

Nous avons besoin de sortir du paradigme du syndrome de l’imposture qui voudrait que les femmes, et plus largement les personnes minorisées, n’osent pas prendre la parole car elles manquent de confiance en elles. Ce manque de confiance est une réalité mais combattre ce syndrome à coups de programmes pour « booster sa confiance en soi » ne peut pas suffire car c’est traiter le symptôme, pas la cause : le problème, ce ne sont pas tant les femmes (même si individuellement certaines sont très certainement introverties de nature) mais le système dans lequel elles vivent qui ne leur donne pas la parole (coucou le boy’s club des médias), les représente de manière stéréotypée, voire pas du tout (coucou « l’expert des experts pour trouver des experts ») et ne leur présente pas assez de modèles de figures d’autorité (celles qu’on nomme souvent role models) qui pourraient les aider à se projeter comme experte ou leader (coucou Mentorshow).

Evidemment, les médias ont une responsabilité critique dans la féminisation, et plus largement la diversification, des expertises. Mais si vous aussi, vous êtes expert·e dans votre domaine, que vous avez l’habitude que des journalistes vous appellent ou que vous participez fréquemment à des tables rondes, interrogez-vous : et si vous laissiez votre place à quelqu’un qu’on entend moins ? A quelqu’un qui a moins d’expérience mais autant voire plus d’expertise ? A quelqu’un qui est directement concerné·e par le sujet ?

L’enjeu de la diversification des expertises n’est pas seulement le problème des personnes dominées qui doivent faire plus d’effort pour prendre leur place. Comme le dit Wilfried Lignier, auteur de La société est en nous, comment la société engendre les individus, au micro de Etre et savoir sur France Culture, ça devrait aussi être le problème des dominants, ici les hommes, qui devraient plutôt apprendre dès leur plus jeune âge à prendre leur part. C’est-à-dire prendre conscience des dynamiques de prises de parole dans un groupe pour occuper une part de l’espace de parole qui soit équitable, pas nécessairement égale. Et parfois, à l’image de Jake Peralta, un des personnages principaux de la génialissime série Brooklyn Nine-Nine, ça veut dire savoir quand écouter et se taire.

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : les agresseurs et les agresseuses

Le 25 novembre, c’est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, une journée importante de mobilisation dans le monde entier. A cette occasion, à tous les échelons du local au global, de l’associatif au gouvernemental, sont produits des supports de communication pour sensibiliser le grand public et faire connaître les actions menées. Au premier rang de ces supports, des affiches qui seront visibles dans l’espace public et qui permettent de s’intéresser à deux questions au croisement du langage inclusif et du discours politique : comment parler des groupes qui sont très majoritairement composés de personnes d’un seul genre ? Faut-il édulcorer le discours sur les violences sexistes et sexuelles pour mobiliser sans cliver ?

Les dictatrices et les assistants maternels

Ce qu’on cherche en premier lieu quand on pratique les principales conventions du langage inclusif dans la perspective de dégenrer la langue, c’est de ne pas avoir recours au masculin dit générique (celui qui est censé être neutre pour le Président de la République). Quand on parle de groupes mixtes, on pourra utiliser différents outils pour l’éviter comme les doublets (“Françaises, Français”, formulation omniprésente chez ce même président, bizarrement), les termes épicènes (les journalistes), englobants (le personnel soignant) ou dans certains cas où la lisibilité des mots n’est pas trop compromise, le point médian (qui est totalement optionnel mais pratique dans certains contextes).

Une application littérale de ces conventions pourrait mener une personne de bonne volonté à bannir définitivement le masculin grammatical dès lors qu’on parle, au pluriel notamment, de groupes mixtes : en utilisant les doublets, par exemple, on dirait “les plombiers et les plombières” comme on dirait “les dictateurs et les dictatrices” ou les “agresseurs et les agresseuses”. Or dans le cas de groupes qui sont très majoritairement composés de personnes d’un seul genre, comme les dictatures en écrasante majorité menées par des hommes ou les métiers ultra féminisés de la petite enfance comme assistante maternelle, est-il pertinent de renoncer au choix d’un seul des deux genres ? Faut-il vraiment se forcer à parler des dictatrices et des assistants maternels ?

Pratiquer un langage inclusif, c’est avant tout cultiver son esprit critique sur les mots qu’on emploie pour sortir d’un mode d’expression automatique où le masculin règne : mais cet exemple est une excellente illustration que les grandes conventions du langage inclusif sont là pour nous guider, pas pour servir de règles immuables et rigides à appliquer sans réfléchir (et en ce sens, c’est bien plus enrichissant que les règles souvent arbitraires de notre orthographe française que les Linguistes atterré·es, entre autres, appellent à simplifier).

Rappelons-nous quels problèmes le langage inclusif cherche à résoudre : d’abord, le langage inclusif permet de réduire les ambiguïtés de sens que crée le masculin dit générique (parfaitement illustrées par cette publicité Monoprix où on ne comprend simplement pas à qui on parle). Ensuite, il permet de rendre visibles les femmes là où le masculin dit générique a tendance à renforcer les représentations masculines dans notre cerveau (ce qui a été démontré par plus de 300 études parues dans des revues scientifiques à comité de lecture menées par près de 500 universitaires depuis 1975, et non pas juste “une étude” comme ce qu’un monsieur a tenté de contre-argumenter face à moi sur Cnews).

Si l’on revient à notre exemple, quels problèmes cherche-t-on à résoudre ?
Est-il nécessaire de rendre visibles les quelques dictatrices qui ont existé (dont le statut même de dictatrice est discutable si on omet le féminin conjugal des femmes de dictateurs ?) ? Quel cause cela fait-il avancer ?

Est-il nécessaire de rendre visibles les quelques assistants maternels en activité (0,6% en France en 2020, selon l’Observatoire de l’emploi à domicile) ? Ou faut-il assumer d’employer le féminin pour représenter à la réalité ?

C’est une question plus délicate : car on pourrait avoir envie justement de faire exister dans la langue la possibilité que ce métier soit exercé par un homme pour, si ce n’est créer des vocations chez les petits garçons, au moins contribuer à lever les résistances à envisager une carrière dans les métiers du soin, en écrasante majorité exercés par des femmes.

Visibiliser ou invisibiliser, that is the question

Quand on parle de métiers ou de fonctions où un genre est surreprésenté, on est face à une alternative : 

accepter d’invisibiliser une partie plus ou moins grande des personnes qui l’exercent au nom de la majorité pour s’aligner avec la réalité, comme pour les assistantes maternelles.

choisir délibérément de faire exister le masculin et le féminin pour susciter des représentations des deux genres et casser les stéréotypes liés aux métiers, comme les plombiers et les plombières (toutes les méthodes du langage inclusif ne se valent d’ailleurs pas pour créer ces représentations, les techniques de neutralisation comme les mots épicènes ou englobants étant moins efficaces).

Et je vous dis tout de suite qu’il n’y a de choix qui soit bon ou mauvais dans l’absolu. Ce choix peut varier en fonction du contexte (oui, toujours lui).
Si je défends les intérêts des femmes de chambre d’un hôtel, je vais certainement choisir de ne parler que de ces femmes et pas des “femmes et hommes de chambre” s’il y a au moins un homme, ou du personnel de ménage, parce que je souhaite incarner ce combat dans des personnes dont le genre n’a rien d’étranger à la manière dont elles sont traitées (en plus d’autres dimensions comme leur race ou leur classe sociale, c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité). Parce que c’est plus simple et percutant aussi, et que ce combat politique est aussi un combat de communication qui se doit d’être efficace.

En revanche, si je mène une campagne de recrutement, j’aurais tendance à parler des “infirmières et des infirmiers” ou des “plombières et des plombiers” ou encore “des métiers de la petite enfance” pour éviter de confirmer un stéréotype lié à un métier et contribuer à le déconstruire.
Pourquoi ? Parce qu’on sait que pour les métiers, le masculin dit générique est particulièrement dévastateur : les femmes postulent moins à des métiers quand les postes sont présentés uniquement au masculin. Les jeunes filles se projettent moins dans des métiers quand ceux-ci ne sont décrits qu’au masculin.

J’aurais aimé que l’Urssaf se pose la question en ces termes avant d’employer le masculin « assistants maternels » dans la navigation de son site, ce que je trouve à la fois aberrant du point de vue de la représentation sociale et désobligeant pour les assistantes maternelles (c’est comme accorder au masculin « 1000 chiens et 1 femme », ce que la règle du « masculin qui l’emporte(rait) » nous incite pourtant à faire).


Et j’apprécie que la ville de Lyon mette en avant le métier d’assistant maternel par le prisme d’une expérience individuelle (celle de Thomas qui exerce ce métier), montrant que c’est une possibilité tout en gardant le féminin dans le nom de la « Semaine des assistantes maternelles ».

Qui agresse les femmes ?

Revenons-en au 25 novembre, journée dont l’appellation la plus fréquente est celle de Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. A cette occasion, les prises de parole dans les médias et dans l’espace public vont se multiplier parce que c’est précisément l’objectif de cette journée : faire savoir la réalité des violences, leur ampleur, faire mieux comprendre ses mécanismes, s’adresser aux victimes et à leur entourage pour les encourager à sortir du silence (même si malheureusement, cela ne suffit pas).

Faudrait-il que sur les plateaux télé, par inclusivité, on parle des agresseurs et des agresseuses ? Non, absolument pas. Parce que ce ne sont pas les femmes qui agressent, mais les hommes. Dans leur écrasante majorité (99% des viols et 97% des agressions sexuelles sont commises par des hommes). Et il serait non seulement indécent de vouloir décentrer le débat vers une prétendue mixité des auteurs de crime mais aussi parce que cela détournerait du vrai problème : pourquoi les hommes sont-ils violents ? Pourquoi les femmes ne le sont-elles pas ?

Je vous recommande les travaux de Lucile Peytavin, autrice du “Coût de la virilité”, qui a mené l’exercice, certes théorique mais très instructif, de calculer combien coûte chaque année à la France les conséquences des comportements asociaux (crimes, violences sexistes et sexuelles, routière, etc.) commis en écrasante majorité par des hommes et produits d’une éducation qui pousse les petits garçons à incarner une vision de la virilité où il faut aller toujours plus vite, être toujours le premier, se faire une place, quitte à se battre, considérer les soeurs, les mères, les filles, comme au service des hommes.  Que fait-on pour déconstruire cette éducation viriliste qui est la source principale du malheur, non seulement des femmes, mais de la société entière ? Où sont les campagnes de sensibilisation promouvant une éducation où les émotions peuvent s’exprimer chez tous les enfants ? Où en est-on de la généralisation de l’éducation à l’empathie et à la vulnérabilité à l’école ?

Mobiliser, cliver, dialoguer

Détourner l’attention du problème, c’est aussi un des dommages collatéraux de l’expression “violences faites aux femmes”. Violences faites aux femmes, mais par qui ? Dans la plupart des affiches que j’ai vues dans la rue ou que j’ai trouvées en ligne, on se focalise sur les femmes, qui sont, sans aucun conteste, les premières victimes de ces violences. Et il le faut, évidemment. Mais à braquer le projecteur de manière quasi monopolistique sur les victimes on en oublie de parler des agresseurs. C’est d’ailleurs pourquoi je trouve réussie la campagne du gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles actuellement visible dans le métro parisien. Elle parle, pour une fois, des agresseurs.

Affiche contre le harcèlement dans les transports en commun
Contre les agresseurs, levons les yeux.

Lucile Peytavin est d’ailleurs aussi l’autrice d’une tribune parue dans le média Les nouvelles news en 2022, intitulée 3 janvier, 3 féminicides. Parlons de « violences machistes » pour combattre ce fléau ! où elle propose de déplacer la focale des victimes aux agresseurs en parlant de violences machistes (le machisme exacerbant la virilité des hommes et l’infériorité des femmes). Je trouve très pertinente cette proposition parce que non seulement elle décrit une réalité statistique mais en plus elle permet de nommer ces violences par le prisme des agresseurs qu’il faut empêcher, pas uniquement des femmes qu’il faut protéger (et que concrètement, en France, on protège très mal).

J’avais déjà analysé les ressorts de l’utilisation de la voix passive dans le cadre d’un langage inclusif et de cette tournure, dont j’ai appris depuis qu’elle s’appelle factitive, ”une femme se fait violer”. Cette expression a été dénoncée par les féministes dans le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles, notamment par Rose Lamy, créatrice de Préparez-vous pour la bagarre et autrice de Défaire le discours sexiste dans les médias ou la linguiste Laélia Veron dans une de ses chroniques sur France Inter. Le problème de cette tournure, c’est que même si elle est fréquente pour remplacer un classique passif (être violée), elle sous-entend que la victime est à l’origine de l’action (quand je me fais livrer, c’est parce que j’ai passé une commande), ce qui nourrit le narratif selon lequel la victime a toujours une part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé (sa jupe trop courte, son choix farfelu d’aller faire du jogging dans la forêt ou d’envoyer un nude, ce que les gendarmes déconseillent vivement). Dans « les violences faites aux femmes », la tournure n’est pas proprement factitive mais l’utilisation du verbe « faire » crée une proximité qui me dérange. Pourquoi pas violences subies par les femmes ? Ou violences faites aux femmes par les hommes ? Ou donc, simplement, violences machistes ?


J’ai conscience que cette expression peut choquer, surtout si vous vous identifiez au groupe masculin et que vous trouvez réducteur de mettre tous les hommes dans le même panier parce que tous les hommes ne sont pas comme ça (le fameux not all men). Je comprends qu’il est difficile de se sentir accusé de quelque chose qu’on n’a pas fait simplement du fait de son genre. Mais si tous les hommes ne sont heureusement pas des agresseurs, tous les agresseurs sont en revanche des hommes. Et tous les hommes, qu’ils soient agresseurs ou non, bénéficient du rapport de pouvoir et de force qui existe dans un monde patriarcal.

Faut-il donc arrêter de dire « violences faites aux femmes » et en parler autrement ?
Comme souvent, il n’y a pas de bonne réponse. Cette expression a l’intérêt d’être largement répandue et de mobiliser dans l’espace médiatique là où parler de violences machistes sera perçu comme militant et choquant. Ce week-end encore j’entendais des gens dire : “engagé mais pas militant, j’aime bien cette expression”.
Ça m’a énervé parce que ça traduit une vision largement répandue du militantisme qui serait trop politique, trop énervé, trop radical. Mais c’est la perception des gens que je cherche justement à convaincre, alors parfois je fais des compromis pour permettre le dialogue, et je me calme.
Je dis souvent que ma stratégie pour encourager l’adoption d’un langage inclusif est celle de la moindre résistance. Je ne dis pas que c’est la meilleure.  En fonction des contextes, je pense qu’il faut s’autoriser à employer l’une ou l’autre de ces expressions pour travailler vers l’objectif qui unit ces formulations : l’élimination des violences

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je dis : une personne racisée, ou de l’usage du passif dans le vocabulaire des discriminations

Je n’arrive plus trop à me souvenir de la première fois où j’ai entendu le mot « racisé·e » mais il est très possible que ça ait été en écoutant un épisode du podcast La Poudre de Lauren Bastide, peut-être l’entretien avec Amandine Gay ou celui avec Aïssa Maïga, deux femmes noires oeuvrant dans le milieu du cinéma. Je me souviens en tout cas d’avoir été interpellée et même certainement choquée par l’utilisation de ce mot que spontanément je comprenais comme l’acceptation de l’idée qu’il y aurait plusieurs races et non une seule race humaine. Alors a commencé mon éducation (qui est loin d’être achevée) sur le mot « racisé·e » qui m’a permis de comprendre que c’était un outil utile et nécessaire pour penser le racisme et désigner les personnes qui le subissent. Alors qu’en parallèle grandissait mon intérêt pour le langage inclusif, j’ai commencé à faire des ponts entre ce mot et d’autres qui sont employés pour désigner des personnes qui subissent des discriminations comme « minorisé·e » ou « marginalisé·e » et même des mots qu’on rencontre plus souvent comme « handicapé·e ». Mais qu’ont ces mots en commun qui mérite, à mon sens, une analyse pour montrer l’importance des choix de langage pour un monde plus inclusif ? L’utilisation d’une forme de voie passive.

Être une personne racisée, c’est subir le racisme. Point.

En bref, voici ma compréhension du mot racisé·e : il sert à désigner les personnes non blanches qui subissent le racisme. Ce n’est pas une validation de l’existence de multiples races d’un point de vue biologique mais une reconnaissance de l’existence de races comme des constructions sociales menant à la formation de groupes hiérarchisés entre eux. Et même si aujourd’hui, les fondements biologiques de l’existence d’une seule race humaine sont très largement acquis, les conséquences de l’idée qu’il existerait une hiérarchie entre les groupes humains sont toujours visibles et infiltrées dans toutes les couches de nos sociétés : c’est ce qu’on appelle le racisme systémique qui fait que, même si une personne qui recrute pour un poste n’est pas consciemment raciste, elle sera moins susceptible de choisir des profils de personnes non blanches que l’inverse ou la raison pour laquelle la souffrance des femmes noires est moins bien prise en charge à l’hôpital.

Le mot racisé·e est entré dans le Dictionnaire Le Robert en 2018 avec la définition suivante :  « Personne touchée par le racisme, la discrimination » et est dérivé du terme racisation qui a été conceptualisé par Colette Guillaumin dans son ouvrage L’idéologie raciste paru en 1972.
Le mots racialisé·e existe également, issue du concept de racialisation présent chez d’autres auteurs et il y a des nuances entre ces deux notions : la racialisation installe l’idée de hiérarchisation entre les races (comme des constructions sociales) là où la racisation ajoute la notion de domination.

Chez Guillaumin, la racisation désigne le processus par lequel un groupe dominant définit un groupe dominé comme étant une race. On comprend alors pourquoi c’est le terme « racisé » qui a été repris par les militant·es de l’antiracisme politique pour s’auto-désigner comme groupe soumis à un rapport de pouvoir racialisant. La racisation ne désigne donc qu’un aspect des processus de racialisation, celui de la production de l’assignation racialisante. Au contraire, si on reprend le cas des personnes blanches, elles sont racialisées mais en aucun cas racisées.

« Racisation ou Racialisation ? » de Sarah Mazouz dans Carnet de recherche Racismes, 06/10/2020

Le mot racisé·e a lui-même fait polémique, et pas seulement entre les personnes concernées par le racisme et les autres, mais au sein des anti-racistes ou des personnes non blanches : ce terme est vu par certain·es comme une résurgence néo-raciste qui viserait à remettre sur le devant de la scène le concept de race de manière délétère ou comme une autre manière de ramener les personnes non blanches à un statut de victime subissant leur couleur de peau (quelques exemples dans la section Utilisation politique du terme « racisé » et controverses de la page Wikipédia du mot racisation).


Mon objectif est d’encourager l’esprit critique sur les mots, aussi je vous laisse maintenant juger en conscience de votre choix sur l’utilisation ou non de ce terme : à titre personnel, je vais continuer à l’employer car c’est celui que je vois employé par les militant·es anti-racistes que je suis et que j’adhère au concept et l’existence du processus de racisation. Je l’emploie en premier lieu pour désigner des personnes dans le contexte d’une discussion où je veux mettre en avant la dimension discriminatoire d’un comportement ou d’une situation. Dans le cadre informel d’une conversation et pour décrire une personne (si même cette dimension de son identité doit être précisée), j’essaierai de trouver une alternative moins politisée pour ne pas ramener sans cesse les personnes à cette forme d’altérité imposée par le mot racisé·e. Par exemple, je peux dire simplement une personne noire (même si le terme racisé·e peut s’appliquer à toute personne non blanche).

Voici deux posts Instagram que j’ai trouvés très éclairants sur cette question, issus des compte Décolonisons-nous et Racisme invisible.

Personnes minorisées, sexisées, handicapées : le passif pour traduire une oppression

Définition : une phrase est à la voix passive lorsque le sujet de la phrase subit l’action. Sa forme la plus connue est celle qui consiste à utiliser l’auxiliaire être avec un verbe au participe passé (la table est nettoyée) éventuellement suivi par un complément d’agent (par Camille).
Mais on peut aussi traduire l’idée du passif (subir une action) en modifiant le verbe lui-même, par exemple en utilisant le suffixe -isé qui sert à traduire une idée de transformation (quand on féminise, on rend quelque chose féminin, whatever that means). Ce suffixe est omniprésent dans le vocabulaire qui sert à décrire les discriminations. Pourquoi ? Car il permet de traduire la dynamique où un groupe subit une d’oppression. On ne précise simplement pas qui oppresse car l’oppression est souvent sociale et non pas attribuable à un individu en particulier.

D’après Wikipédia la définition sociologique de l’oppression est « le mauvais traitement ou la discrimination systématique d’un groupe social avec ou sans le soutien des structures d’une société ».
En d’autres termes :

L’oppression sociale fait référence à l’oppression qui est réalisée par des moyens sociaux et qui a une portée sociale – elle affecte des catégories entières de personnes. (…) Ceux qui subissent le choc de l’oppression ont moins de droits, moins d’accès aux ressources, moins de pouvoir politique, moins de potentiel économique, une santé moins bonne, des taux de mortalité plus élevés et des chances globales inférieures.

Fondation canadienne des relations sociales

Dans la langue, le passif qui place le sujet en objet subissant une action me semble parfaitement traduire l’idée d’une oppression subie par des personnes discriminées.

Prenons quelques exemples.

On a pendant longtemps parler de minorités pour désigner « un groupe de personnes qui, en raison de leurs caractéristiques physiques ou culturelles, sont distinguées des autres dans la société dans laquelle elles vivent, par un traitement différentiel et inégal, et qui par conséquent se considèrent comme objets d’une discrimination collective » (Wirth, 1945, cité ici). Ce qui compte ici n’est pas tant l’idée de nombre que « l’expérience de la discrimination comme dénominateur commun d’un groupe social » (les femmes constituent la moitié de l’humanité et ne sont pas minoritaires, pourtant elle subissent un traitement différentiel et inégal).
J’y préfère le terme de groupes minorisés (ou aussi parfois marginalisés – qui sont de fait mis à la marge de la société) qui inscrit les individus y appartenant dans une forme d’oppression sociale.

De même, l’expression personnes sexisées a été proposée par des intellectuelles comme Colette Guillaumin déjà citée ou plus récemment Michelle Causse pour désigner les femmes subissant l’oppression liée à leur sexe. Dans une perspective plus large visant à dépasser l’association systématique sexisme/femmes, Juliet Drouar propose dans son ouvrage Sortir de l’hétérosexualité d’utiliser aussi ce terme pour désigner « l’ensemble des personnes subissant structurellement du sexisme » :

Le terme sexisé, en levant le voile sur les processus de construction sociale de la différence des sexes à l’origine du sexisme (avec le suffise « -isé ») permettrait de ne pas invisibiliser les personnes LGBTQI+. Sans pour autant empêcher d’utiliser les mots disponibles – trans, lesbiennes, femmes, intersexes, gay, bi·es, two-spirit – pour décrire les spécificités des oppressions sexistes et de leurs mécanismes concernant les différentes communautés.

Sortir de l’hétérosexualité, Juliet Drouar

Autre exemple : le mot handicapé·e est défini comme un nom propre dans le dictionnaire, c’est un participé passé substantivé, c’est-à-dire un participé passé utilisé comme un nom (même si je préfère dire une personne handicapée plutôt que une ou un handicapé). Pourtant, on peut considérer que c’est une sorte de forme passive. Ainsi, dans le podcast La Série Documentaire : Handicap, la hiérarchie des vies, une femme exprime sa préférence pour l’expression personne handicapée à celle de personne en situation de handicap, car le handicap est une oppression de la société validiste dans laquelle nous vivons : elle est handicapée par la société qui ne lui est pas accessible et ne fait que peu d’effort pour le devenir, car le fait d’être valide (sans handicap) est perçue comme la norme à laquelle les personnes handicapées doivent s’adapter.

A l’opposé du passif, la voix active pour redonner leur agentivité aux sujets

Dans le domaine des violences sexistes et sexuelles, le terme le plus emblématique de l’usage de la voix passive est le mot violée (que je mets au féminin par usage de l’accord de majorité, car l’écrasante majorité des victimes de viol sont des femmes) : une femme est violée par un homme. Rose Lamy, dans son ouvrage que je vous recommande grandement Préparez-vous pour la bagarre : défaire le discours sexiste dans les médias revient sur le traitement médiatique des viols et sur la fréquence de l’usage, dans les médias et dans la vie de tous les jours, de l’expression : « une femme se fait violer ». Sauf que se faire violer et être violée, ce n’est pas la même chose, car la première formulation inclut un verbe d’action (faire) qui implique que la femme victime a été pour quelque chose dans ce qui lui est arrivé. Cette formulation d’apparence banale contribue à la culture du viol, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques et des discours qui banalisent le viol, notamment en rejetant une partie de la faute sur la victime. Le fameux « elle l’a bien cherché avec cette jupe courte ». On peut même aller plus loin, comme Lucile Peytavin, autrice du génialissime Le coût de la virilité. Dans une tribune intitulée Parlons de violences machistes pour combattre ce fléau elle encourage à inverser le discours et parler de violences machistes plutôt que de violences faites aux femmes pour replacer l’agresseur (quasiment toujours un homme) comme sujet de l’action : un homme a violé une femme.

L’année vient à peine de commencer et déjà, trois féminicides ont été recensés en France. Les criminels seraient : un militaire de 21 ans dans le Maine-et-Loire, un employé de mairie en Meurthe-et-Moselle et un homme de 60 ans à Nice. Et combien de femmes ont été harcelées, violentées, insultées depuis que 2022 a pointé le bout de son nez ? Ou plutôt combien d’hommes ont harcelé, violenté, insulté des femmes ? Et si, pour combattre les « violences faites aux femmes » on commençait par parler de lutte contre la « violence machiste » ? (…) Mais qui viole, harcèle, agresse, tue les femmes ? Qui sont les auteurs à l’origine de ces violences ? Employer les termes de violences “faites aux femmes” n’apporte pas de réponse à cette question et même invisibilise les responsables. La difficulté à nommer les agresseurs est toujours bien présente !

3 JANVIER, 3 FÉMINICIDES. PARLONS DE « VIOLENCES MACHISTES » POUR COMBATTRE CE FLÉAU !, Lucile Peytavin dans Les nouvelles news

Je trouve très éclairant de prendre conscience des implications de l’utilisation de la voix passive pour rendre visible par le langage les mécanismes d’oppression. En parallèle, je trouve tout aussi pertinent de positionner, en creux, la voix active comme un moyen de réappropriation de ce qu’on appelle l’agentivité des personnes (celle sui sont opprimées comme celles qui oppriment).

En sciences sociales et en philosophie, l’agentivité, adaptation de l’anglais « agency » et utilisé notamment au Canada, est la faculté d’action d’un être, sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer. En sociologie, l’agentivité est la capacité d’agir, par opposition à ce qu’impose la structure.

Wikipedia

Parler d’agentivité, notamment chez les personnes subissant des discriminations, c’est mettre l’accent sur leur capacité d’agir, sur leur capacité à être motrice de leur action et pas uniquement à les subir, dans une posture de victime qui serait nécessairement misérabiliste.

Cette manie de vouloir réduire au silence celles qui prennent la parole, un acte déjà éprouvant, est très parlante parce qu’être victime de discrimination n’est pas un ressenti : c’est un fait.
Il est humiliant d’être traité différemment et ce n’est pas se « victimiser » que de constater une réalité et la dénoncer afin qu’un réel changement s’opère.

Marina Carlos, Je vais m’arranger, Comment le validisme impacte la vue des personnes handicapées


D’ailleurs le verbe victimiser rentre aussi dans le cadre de cette réflexion : dit-on de soi-même qu’on se victimise ? Ou bien est-ce un outil pour désigner les personnes qui dénoncent leur statut factuel de victime pour détourner l’attention vers une posture de souffrance (légitime et indéniable) qui devrait inspirer la pitié ?

Un exemple pour illustrer cette idée d’agentivité : une femme voilée. Je partage le post Instagram de Miana Bayani, autrice féministe, musulmane et engagée qui explique comment l’usage de l’expression « une femme qui porte le hijab » replace les femmes concernées dans la position de sujet agissante, pas nécessairement comme la victime passive du choix d’un autre.

Sortir de sa zone de confort et de privilège

Comme je l’ai déjà expliqué, pour moi la notion de langage inclusif comprend celle de langage précis : employer les mots les plus justes possibles pour désigner les personnes. Utiliser (ou refuser) l’usage de la voix passive permet de créer des mots qui désignent des réalités concrètes, des expériences de la vie que l’on ne partage pas forcément (je rappelle que je suis une femme blanche, valide, hétérosexuelle) mais que des mots justes nous permettent de mieux appréhender pour en prendre conscience. Je vous partage ma pratique, je ne vous demande pas de l’adopter mais je vous encourage à garder un esprit ouvert et critique sur les mots qui désignent les discriminations car ils sont des outils à part entière pour les rendre visibles et les combattre.

Je finis par cette citation de la génialissime Brené Brown :

“Les gens refusent de participer à des conversations vitales sur la diversité et l’inclusion par peur de mal paraître, de dire quelque chose de faux ou d’être dans l’erreur. Choisir son propre confort plutôt que les conversations difficiles est l’illustration parfaite du privilège, et cela abime la confiance et empêche de parvenir à un changement significatif et durable1.

Brené Brown, Dare to Lead: Brave Work. Tough Conversations. Whole Hearts.



1 Traduction de “People are opting out of vital conversations about diversity and inclusivity because they fear looking wrong, saying something wrong, or being wrong. Choosing our own comfort over hard conversations is the epitome of privilege, and it corrodes trust and moves us away from meaningful and lasting change.”