Naviguer sur Internet, c’est être quotidiennement exposé·e à des contenus, notamment des articles, dont les titres sensationnalistes provoquent une envie irrépressible de cliquer : c’est ce qu’on appelle en anglais le clickbait, ou appât à cliques dans sa traduction littérale.
Le français propose de traduire ce terme par piège à clics ou attrape clics, mais un usage courant consiste à le traduire en pute à clics ou putaclic, ce que Wikipedia indique être un usage vulgaire.
Ce terme a connu son apogée en 2017, année de La chanson putalic (renommée Clickbait song depuis) et d’une foultitude d’articles de marketing digital censés aider les créateurs et créatrices de contenu à maîtriser l’art d’attirer les clics. A tel point que même Slate.fr en avait fait un décryptage dans Le «putaclic» ou l’art de faire du mauvais teasing.
Ce qui est problématique dans l’usage de putaclic n’est pas tant sa vulgarité que ses dimensions sexiste et putophobe.
Si l’on fait le parallèle avec une personne qui se prostitue, c’est parce qu’on associe prostitution et racolage. Un titre est donc racoleur parce qu’il cherche à attirer à soi par des moyens peu recommandables (source : Larousse), par des moyens plus ou moins honnêtes ou par la ruse ou la force (source : CNRTL). Putaclic est donc un terme clairement péjoratif qui se véhicule d’autant mieux qu’il emploie cette même méthode de racolage par la dimension sensationnaliste du parallèle avec la prostitution. La boucle est bouclée.
Ce terme est en premier lieu putophobe, c’est-à-dire qu’il traduit du mépris ou de l’hostilité à l’égard des personnes qui se prostituent.
Mon objectif n’est pas ici de trancher un débat qui a lieu à l’intérieur mêmes des courants féministes entre les partisan·es d’une abolition de la prostitution vue uniquement comme une des formes de la domination masculine et les partisan·es d’un encadrement juste du travail du sexe qui reconnaît la possibilité de faire le choix libre est consenti d’exercer cette activité.
Que l’on soit d’un avis ou d’un autre, ces personnes sont vues soit comme des victimes soit comme des travailleurs ou travailleuses du sexe, et utiliser ce mot comme une insulte n’a donc aucun sens (sauf à trouver légitime d’insulter des victimes ou des personnes qui travaillent pour l’unique raison qu’elles travaillent).
Le mot pute (et donc en toute logique le mot putain) ne devrait jamais être employé de manière péjorative. Il ne s’agit pas de l’interdire car il peut être valide, par exemple quand c’est une personne qui se prostitue qui l’emploie comme une description ou une revendication, à l’image de Grisélidis Réal, écrivaine et peintre suisse qui a été une des premières travailleuses du sexe militantes dans les années 1970 et dont je recommande la lecture de l’autobiographie Le noir est une couleur. Elle utilisait le terme pute et putain pour parler d’elle-même et revendiquait par ailleurs péripatéticienne comme profession officielle (pour en savoir plus sur ce sujet, je recommande la série de podcasts La politique des putes d’Océan, produite par Nouvelles Ecoutes).
Utiliser putaclic véhicule également une charge sexiste car le mot pute est aussi plus largement employé pour parler de femmes. Des femmes qui auraient un comportement racoleur, provoquant, des femmes sursexualisées qui cherchent à attiser le regard des hommes (ou des autres femmes).
Cette rhétorique de la femme habillée comme une pute (qui porte une jupe), maquillée comme un camion volé (qui a du rouge à lèvres), et qui a bien cherché les ennuis qui lui arrivent (qui a été harcelée, agressée ou violée) n’est pas acceptable. Tout d’abord parce qu’elle témoigne de la volonté de maintenir une injonction sur la manière dont s’habillent les femmes (il y aurait des tenues acceptables, d’autres non). Ensuite, parce qu’elle participe de la culture du viol, c’est-à-dire d’un ensemble de croyances et de pratiques qui banalisent le viol, dont celle de faire porter tout ou partie de la responsabilité à la victime (comment se contrôler face à une personne si racoleuse ?).
Putophobe et sexiste, putaclic n’est donc pas un mot compatible avec un langage inclusif, car il contribue à perpétuer des stéréotypes de genre, et tire profit d’une vision tout aussi sensationnaliste de la prostitution que la pratique qu’il décrit.
Et voilà pourquoi je ne dis pas putaclic.