Catégories
Est-ce que ce monde est sérieux ?

Eliane Viennot, l’experte qui n’a pas sa langue dans sa poche

Si vous vous intéressez au langage inclusif, vous ne pouvez pas ne pas lire, écouter ou regarder Eliane Viennot.

D’après son propre site, professeuse émérite de littérature de la Renaissance, Eliane Viennot est autrice d’un livre, entre autres, qui a fait date dans l’histoire du langage inclusif : Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, où elle montre comment la langue française a été masculinisée par volonté d’imposer le masculin plus noble et d’écarter par le langage les femmes des fonctions les plus prestigieuses, notamment les métiers des lettres.
Elle ne mâche pas ses mots quand il s’agit de parler, entre autres, de l’Académie Française qu’elle qualifie volontiers de groupes d’incompétents (aucune femme parmi les académiciens jusqu’en 1980 avec Marguerite Yourcenar) qui n’ont aucune utilité. Je l’adore.

En dehors de cet ouvrage de référence, je vous recommande :

un livre : Le langage inclusif : pourquoi, comment ? qui reprend un condensé de Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! avec des conseils pratiques et concrets pour appliquer le langage inclusif au quotidien (dont les principes que je préconise sont issus)


une vidéo : sur YouTube vous trouverez différentes captation de conférences données par Eliane Viennot, ainsi qu’une courte vidéo de Brut où elle revient sur la disparition des noms de métiers au féminin.


Si vous n’avez que 3 min, regardez celle-la, si vous avez un peu plus de temps, je vous recommande cette conférence : La langue française a-t-elle besoin d’être féminisée ?

un podcast : Du poil sous les bras reçoit Eliane Viennot en entretien et c’est ici.

Eliane, je vous aime 😉


Catégories
Le langage inclusif pour les nul·les

Les 3 règles très simples du langage inclusif

Depuis trois ans environ, j’agis au sein de mon entreprise en faveur de la diversité et de l’inclusion. Mais ce n’est que dans les derniers mois que je me suis particulièrement intéressée à la question de l’écriture inclusive, puis du langage inclusif. La bonne nouvelle, c’est que si vous êtes arrivé·e jusqu’ici, vous n’allez plus tâtonner longtemps, car la pratique est en réalité très simple.

Des conventions qui s’établissent

Ce qu’il est fondamental d’avoir à l’esprit quand on parle d’écriture inclusive, c’est que nous sommes à un moment où les conventions se stabilisent mais qu’il n’existe pas encore une règle communément admise par tous et toutes pour son usage. L’Académie Française a préféré être en opposition totale à l’écriture inclusive pendant des années plutôt que de proposer une convention qui normaliserait un usage partagé.
Si bien qu’aujourd’hui, les pratiques varient beaucoup : recours au point final (avocat.e), médian (avocat·e), parenthèses (avocat(e) ), majuscule (avocatE), même italique (avocate)… et les débats autour de l’écriture inclusive (dont certains très légitimes comme sa lisibilité par les personnes dyslexiques par exemple) sont souvent frustrants, car personne ne parle pas de la même chose.

Pour me former à la question, j’ai suivi un atelier animé par l’agence Mots-Clés, très active dans le domaine, et qui participe, avec Eliane Viennot (historienne et critique littéraire, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, une référence en la matière) et le Haut Conseil pour l’égalité femmes-hommes (qui a rédigé en 2016 ce rapport Pour une communication publique sans stéréotype de sexe), à une tentative de convergence. Les principes que je pratique et encourage ici sont les principes portés par ces personnes et institutions.

Les 3 principes clés

Utiliser les déclinaisons féminines des noms de métiers et fonctions quand on parle de femmes
On dit bien la ministre, la présidente, une directrice, une autrice et non pas Madame Le Directeur.

Utiliser les déclinaisons féminines et masculines, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, le recours aux termes épicènes ou l’usage raisonné du point médian.
L’énumération : comme Charles De Gaulle qui a inauguré le “Françaises, Français” ou Emmanuel Macron qui a systématisé l’emploi de “Celles et ceux” dans ses discours (au grand regret de certains, et peut-être certaines).
Les termes épicènes ne sont pas marqués en tant que masculin ou féminin, comme artiste, membre ou peintre*. On accorde alors seulement l’article (la peintre, une artiste).
Le point médian est favorisé aux autres formes de ponctuation comme le point final ou la parenthèse car il n’a aucune connotation (on ne met pas les femmes entre parenthèses) et reste neutre. On réserve son usage aux mots dont la forme masculine et féminine sont proches comme étudiant·e ou chirurgien·ne, mais on l’évite quand elles sont trop éloignées comme créateurs et créatrices qu’on préfère à créateur·ices (pour des raisons de lisibilité sur lesquelles on reviendra).

Ne pas dire Les hommes ou l’Homme pour parler de l’Humanité, ni La Femme pour parler des femmes de manière générique.

Quelques conseils pratiques

Insérer le point médian
Sur un Mac : SHIFT + ALT + F 
Sur PC : Alt + 0 1 8 3 : le point médian apparaît en relâchant Alt.
Il existe aussi des extensions pour navigateur qui convertissent automatiquement le point final en médian comme e·i·f (écriture·inclusive·facile).

Eviter les formulations qui rendent la lecture plus difficile comme agriculteur·ices ou iels (pour ils et elles) au profit de l’énumération ou des épicènes (nous reviendrons sur l’invention de ces nouveaux mots inclusifs par essence).

Garder en tête que les formulations écrites s’oralisent facilement :  à l’oral, on lit M. en “Monsieur” et Mme en Madame, on peut donc bien lire l’avocat·e en “l’avocat ou l’avocate”

Préférer les formulations qui permettent une distinction claire du féminin et du masculin (notamment à l’oral) : autrice plutôt qu’auteure, mairesse plutôt que maire.

Ecriture inclusive ou langage inclusif ?

Les débats qui agitent la France (et plus la France que les autres pays d’ailleurs) se cristallisent autour de l’écriture inclusive. Nous reviendrons sur les arguments qui animent ce débat, mais sur re·wor·l·ding je privilégie l’expression langage inclusif.

L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes

Agence Mots-clés


Parler d’écriture inclusive c’est se limiter aux signes qu’on tape sur son clavier, son téléphone, ou qu’on écrit au stylo plume (typiquement le point médian).
Pour moi, parler de langage inclusif (dont l’écriture est un volet, comme l’écrit Eliane Viennot), c’est élargir le champ à tous les mots ou expressions qui en soi portent une dimension sexiste (ou d’une autre forme de discrimination), comme leadership féminin, putaclic ou affaires de bonnes femmes.

Le quatrième principe

Ce n’est pas en un article qu’on peut faire le tour de la question, et il y aura encore beaucoup à dire notamment sur les arguments qui s’affrontent autour du langage inclusif, sur les pratiques plus créatives des militant·es de l’inclusif et sur l’invention de nouveaux mots qu’on pourrait aussi avoir envie d’insuffler au français qui, après tout, est une langue vivante.
Mon objectif ici est de partager du contenu qui soit accessible et pratique. Les 3 règles partagées ici sont simples à retenir et doivent être largement diffusées.

Le quatrième principe du langage inclusif, c’est faire de son mieux, garder en tête qu’il n’y a pas une seule façon de rendre un texte inclusif, qu’on va certainement se tromper (et moi la première). Etre bienveillant·e avec soi-même, écouter les commentaires, reconnaître ses erreurs et progresser, c’est déjà contribuer.

* Les mots peintresse, philosophesse, libraresse (femme libraire) ont également existé et étaient d’usage courant il y a plusieurs siècles. Ils pourraient fort bien être utilisés mais par simplicité et pour éviter les fortes résistances, je les considère ici comme épicènes.

Catégories
Est-ce que ce monde est sérieux ?

Décrypter Wejdene avec Linguisticae, YouTuber & linguiste

Je recommande très vivement la chaîne YouTube de Linguisticae, qui regorge de vidéos passionnantes (et souvent longues, certes) sur la langue.

La chaîne Linguisticae sert à comprendre d’où viennent les mots, les langues, et comment le langage est fait et évolue. Entre vulgarisation scientifique d’une discipline trop méconnue et cassage d’idées reçues, tout le monde y trouve son compte !

J’adore l’accessibilité de Monté, linguiste qui anime la chaîne, et aussi membre du Vortex d’Arte avec d’autres créateurs et créatrices YouTube.

Il s’est exprimé sur l’écriture inclusive en 2017 déjà dans les 10 trucs soulants autour de l’écriture inclusive ou plus récemment avec la YouTubeuse juriste AngleDroit dans L’écriture inclusive, bientôt interdite ?

Mais la vidéo que je préfère, c’est celle-ci : Aya Nakamura, Wejdene et la langue française.

En toute transparence, j’adore Wedjene. Mais vraiment. Je l’écoute seule chez moi, dans la rue, avec mes enfants.
Wejdene est chanteuse et autrice-interprète du tube Anissa et de son célèbre “Tu hors de ma vue” qui a fait couler beaucoup d’encre.
Et je suis choquée de la manière dont elle est souvent traitée, du mépris qu’elle suscite, notamment dans les médias, notamment du fait de sa pratique de la langue française, qui serait totalement scandaleuse.

Dans cette vidéo, Linguisticae (qui n’est pas du tout fan, lui) décortique parfaitement les mécanismes par lesquels Wejdene, comme Aya Nakamura ou dans un autre registre Léna Situations, sont renvoyées par leurs détracteurs et détractrices dans les limbes d’une culture dite illégitime, notamment en raison des libertés qu’elles prennent avec la langue française.
Leur point commun ? Etre des femmes, jeunes, racisées, issues de classes populaires, qui ont du succès.
Une clé de lecture très intéressante qui doit pousser chacun·e à avoir un regard plus critique non pas seulement sur ces chanteuses, autrices, ou YouTubeuses, mais sur les personnes mêmes qui les critiquent et leurs motivations.

Catégories
Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : putaclic

Naviguer sur Internet, c’est être quotidiennement exposé·e à des contenus, notamment des articles, dont les titres sensationnalistes provoquent une envie irrépressible de cliquer : c’est ce qu’on appelle en anglais le clickbait, ou appât à cliques dans sa traduction littérale.
Le français propose de traduire ce terme par piège à clics ou attrape clics, mais un usage courant consiste à le traduire en pute à clics ou putaclic, ce que Wikipedia indique être un usage vulgaire.

Ce terme a connu son apogée en 2017, année de La chanson putalic (renommée Clickbait song depuis) et d’une foultitude d’articles de marketing digital censés aider les créateurs et créatrices de contenu à maîtriser l’art d’attirer les clics. A tel point que même Slate.fr en avait fait un décryptage dans Le «putaclic» ou l’art de faire du mauvais teasing.

Ce qui est problématique dans l’usage de putaclic n’est pas tant sa vulgarité que ses dimensions sexiste et putophobe.

Si l’on fait le parallèle avec une personne qui se prostitue, c’est parce qu’on associe prostitution et racolage. Un titre est donc racoleur parce qu’il cherche à attirer à soi par des moyens peu recommandables (source : Larousse), par des moyens plus ou moins honnêtes ou par la ruse ou la force (source : CNRTL). Putaclic est donc un terme clairement péjoratif qui se véhicule d’autant mieux qu’il emploie cette même méthode de racolage par la dimension sensationnaliste du parallèle avec la prostitution. La boucle est bouclée.

Ce terme est en premier lieu putophobe, c’est-à-dire qu’il traduit du mépris ou de l’hostilité à l’égard des personnes qui se prostituent.
Mon objectif n’est pas ici de trancher un débat qui a lieu à l’intérieur mêmes des courants féministes entre les partisan·es d’une abolition de la prostitution vue uniquement comme une des formes de la domination masculine et les partisan·es d’un encadrement juste du travail du sexe qui reconnaît la possibilité de faire le choix libre est consenti d’exercer cette activité.
Que l’on soit d’un avis ou d’un autre, ces personnes sont vues soit comme des victimes soit comme des travailleurs ou travailleuses du sexe, et utiliser ce mot comme une insulte n’a donc aucun sens (sauf à trouver légitime d’insulter des victimes ou des personnes qui travaillent pour l’unique raison qu’elles travaillent).

Le mot pute (et donc en toute logique le mot putain) ne devrait jamais être employé de manière péjorative. Il ne s’agit pas de l’interdire car il peut être valide, par exemple quand c’est une personne qui se prostitue qui l’emploie comme une description ou une revendication, à l’image de Grisélidis Réal, écrivaine et peintre suisse qui a été une des premières travailleuses du sexe militantes dans les années 1970 et dont je recommande la lecture de l’autobiographie Le noir est une couleur. Elle utilisait le terme pute et putain pour parler d’elle-même et revendiquait par ailleurs péripatéticienne comme profession officielle (pour en savoir plus sur ce sujet, je recommande la série de podcasts La politique des putes d’Océan, produite par Nouvelles Ecoutes).

Utiliser putaclic véhicule également une charge sexiste car le mot pute est aussi plus largement employé pour parler de femmes. Des femmes qui auraient un comportement racoleur, provoquant, des femmes sursexualisées qui cherchent à attiser le regard des hommes (ou des autres femmes).
Cette rhétorique de la femme habillée comme une pute (qui porte une jupe), maquillée comme un camion volé (qui a du rouge à lèvres), et qui a bien cherché les ennuis qui lui arrivent (qui a été harcelée, agressée ou violée) n’est pas acceptable. Tout d’abord parce qu’elle témoigne de la volonté de maintenir une injonction sur la manière dont s’habillent les femmes (il y aurait des tenues acceptables, d’autres non). Ensuite, parce qu’elle participe de la culture du viol, c’est-à-dire d’un ensemble de croyances et de pratiques qui banalisent le viol, dont celle de faire porter tout ou partie de la responsabilité à la victime (comment se contrôler face à une personne si racoleuse ?).

Putophobe et sexiste, putaclic n’est donc pas un mot compatible avec un langage inclusif, car il contribue à perpétuer des stéréotypes de genre, et tire profit d’une vision tout aussi sensationnaliste de la prostitution que la pratique qu’il décrit.

Et voilà pourquoi je ne dis pas putaclic.