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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis (presque) pas : normal·e

Il y a quelques mots qui déclenchent en moi une alerte mentale dès que je les lis ou les entends : parmi ces mots, « féminin » (comme je l’explique dans Pourquoi je ne dis pas : leadership féminin) ou encore « normal ». Vous m’entendrez très rarement le dire et vous verrez certainement mes sourcils se froncer si vous le dites en face de moi.

Normal, quand la norme contamine l’ordinaire

La raison de mon rejet du mot « normal » est double : la première est un peu snob, je l’avoue, est consiste à penser qu’utiliser le mot « normal » est souvent un genre de faiblesse de la pensée, une façon simpliste de qualifier quelqu’un ou quelque chose, sans précision ni réflexion sur ce qu’on cherche vraiment à dire.
Exemples : « C’est une chaise tout ce qu’il y a de plus normal ! « , « Ses résultats à l’école ? Tout à fait normaux » , « C’est l’horaire normal de passage du bus à cet arrêt ».
Ici, si on voulait s’exprimer précisément, on pourrait dire une chaise ordinaire (qui n’a rien de spécial), des résultats moyens (dans la moyenne mathématique de la classe) ou un horaire habituel (qui se produit fréquemment).
Vous me direz que tous ces mots sont des synonymes de « normal » et que je me prends bien la tête.

Certes, mais la deuxième raison est plus fondamentale et tient à la définition du mot « normal » :

1. Qui est conforme à la norme, à l’état le plus fréquent, habituel; qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel
2.  Qui est conforme à la norme, ne présente pas d’anomalie, d’altération.
3. Qui représente une norme (loi, coutume, règle sociale)

L’adj. normal, qui exprime au départ un concept quantitatif de grande fréquence est contaminé par norme: concept qualitatif de règle, de modèle : ,,la notion de «normal» est (…) fondamentalement ambiguë: elle oscille entre le concept statistique de «type moyen» et le concept normatif de «type idéal» (Julia 1964).

Dictionnaire CNRTL


Parler de contamination ici signifie que quand j’entends « normal », j’entends « normé/normatif » plus que « fréquent », et je me demande de quelle norme on me parle et qui la définit, surtout quand ce mot s’applique à des personnes, à des relations ou des comportements : « normal » renvoie alors à l’idée de norme sociale et donc en creux celle d’une injonction à la respecter.

Cette norme se traduit aussi en norme médicale (où l’anormal est alors pathologique) qui peut conduire à des comportements psychophobes (c’est-à-dire qui discriminent sur le critère de la santé mentale) ou à des dénis purs et simples de la souffrance (« Il est bien normal d’avoir mal quand on a ses règles, Madame »). Le mot neuroatypique est d’ailleurs un terme que je trouve particulièrement pertinent car il permet bien de souligner une différence (un écartement de la norme dans le sens de « comportement le plus fréquent ») de manière moins péjorative : vous préférez louer un appartement atypique ou anormal, vous ?

« Normal, pas normé », really ?

Quand j’ai vu la dernière campagne de la marque de prêt-à-porter masculin, Célio, intitulée « be normal », associée à des visuels montrant des hommes faisant leurs courses ou avec un bébé dans les bras, le scepticisme m’a gagné. Plus qu’une campagne, c’est d’ailleurs tout son positionnement de marque que revoit Célio (les gens qui font du marketing diraient une plateforme de marque) avec une idée centrale :

Faites partie de la team be normal (fièrement normal dans leur traduction française, ndlr), des hommes honnêtes avec eux-mêmes, qui vont à l’essentiel car ils sont biens dans leurs baskets, ou leur chemise, leur jean, leur caleçon… Ce qui leur plaît, tant que ça va avec leur vie, la vraie.

Celio.com

Honnêtement, je travaille dans le marketing et la communication depuis assez longtemps pour comprendre l’intention de la marque, et je n’ai aucune raison de penser qu’elle soit malhonnête. Je peux aussi apprécier la tentative de Célio de distinguer leur normalité d’une injonction :

Normaux, pas normés.
Celio est pour tous les hommes, pour tous les physiques, pour les hommes de la rue.

Cependant, je ne peux que rester mal à l’aise face à ce qui reste formulé comme une injonction à ce qui serait une nouvelle forme de normalité cool, décontractée, pas prise de tête (« be normal », c’est quand même de l’impératif). C’est un peu comme si Célio avait voulu prendre le contrepied de la tendance mode normcore apparue au début des années 2010 où l’on cherchait à se rendre « indistinguable de la norme » par un style vestimentaire sans aspérité ni singularité pour se libérer du regard des autres (« finding liberation in being nothing special« , source Wikipedia).

On a passé l’âge d’essayer de vivre la vie des autres. On a passé l’âge de chercher à ressembler à des célébrités. Surtout quand on voit le nombre de carrières qui finissent à la rubrique faits divers.

Alors on pourrait dire que Célio cherche ici justement à faire réfléchir de manière un peu provocatrice à la notion de norme, notamment toutes celles qui entourent les masculinités aujourd’hui. Et à promouvoir une « nouvelle norme » plus facile à vivre, moins oppressive. Pourquoi pas ? Je vous laisse en juger. Moi, je reste gênée par ce « normal » trop contaminé d’injonctions à respecter, par ce normal d’hommes aux corps minces, grands et valides (on voit un homme en fauteuil dans la pub vidéo mais de l’aveu même de Celio, « be normal », c’est « be un peu enveloppé », pas trop quand même).

Normal, un mot alerte, pas un mot interdit.

Ici, mon objectif est avant tout d’encourager à faire preuve d’esprit critique quand on emploie ou entend employer le mot « normal », pas du tout de dire qu’il est à bannir parce que toutes les normes seraient discutables. Même si aujourd’hui de nombreuses normes sociales se déconstruisent grâce aux luttes féministes entre autres, certaines normes sont nécessaires : par exemple, je ne vais pas monter au créneau si vous dîtes qu’il est anormal de rouler à 180 sur l’autoroute (le code la route est une norme que je respecte). Mais je reconnais aussi que ce n’est pas parce que quelque chose est inscrit dans la loi que c’est juste (souvenez-vous quand les femmes ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque sans l’accord d’un homme, c’était normal dans le sens de légal, mais pas juste pour autant).

Si vous décidez de dire ou d’écrire « normal », interrogez-vous simplement un instant : n’y a-t-il pas un mot moins ambigu que « normal » pour décrire précisément ce que vous cherchez à dire. Par exemple ordinaire, fréquent, commun, banal, traditionnel…
Et si vous remplacez le mot « normal » par « socialement acceptable », est-ce votre phrase prend un autre sens ? Par exemple, parler d’un « couple normal » peut paraître anodin, mais diriez-vous d’un couple qu’il est « socialement acceptable » au risque de faire passer tous les autres couples pour marginaux ?

A titre personnel, je suis très à l’aise d’écrire les phrases suivantes : « Il n’est pas normal de considérer qu’un enfant de 12 ans peut donner son consentement à un rapport sexuel » ou « Il est anormal que dans un pays riche des gens dorment sur les trottoirs ». Mais je le fais en conscience et avec l’intention délibérée de porter un jugement moral sur la situation que je décris. Normal est un mot à la portée politique potentiellement très forte, à manier avec précaution et intention.

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Être contre l’écriture inclusive est-il réactionnaire ?

Je viens de découvrir un livre qui est apparemment un classique de la sociologie politique : Deux siècles de rhétorique réactionnaire de Albert O. Hirschman.  C’est un ouvrage paru en 1991 dans lequel l’auteur, économiste et sociologue, s’appuie sur trois moments-clés dans l’acquisition des droits civils (les droits de l’homme au 18e, que je préfère évidemment appeler les droits humains aujourd’hui), politiques (le suffrage universel au 19e qui, rappelons-le, était universel mais sans les femmes ou presque) et économiques et sociaux (l’état-providence du 20e siècle) pour démontrer comment les positions des réactionnaires, des « contre-offensives idéologiques d’une force extraordinaire », s’articulent autour de 3 types d’arguments immuables qu’il appelle la « rhétorique réactionnaire ».

Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Albert O. Hirschman


J’ai lu ce livre et j’ai été frappée par le parfait calque avec les arguments des opposant·es au langage inclusif, et surtout ce à quoi le débat public et médiatique le réduit aujourd’hui, c’est-à-dire l’écriture inclusive et encore plus spécifiquement le point médian. D’ailleurs, j’ai appris plus tard (merci Wikipédia) que « les chercheuses féministes font souvent appel à la description de la rhétorique réactionnaire proposée par Albert Hischman pour rendre compte des formes prises par des discours sexistes » et je me suis donc dis que je ne m’étais pas complètement trompée.

Les 3 types d’arguments mis en avant sont la thèse de l’effet pervers, la thèse de l’inanité, la thèse de la mise en péril (perversity, futility, jeopardy dans la version originale).


L’effet pervers ou quand l’écriture inclusive deviendrait excluante

La thèse de l’effet pervers consiste à dire que “toute action qui vise directement à améliorer un aspect quelconque de l’ordre politique, social ou économique ne sert qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger”. 

Dans le cadre de l’écriture inclusive, cet argument avance par exemple que c’est en réalité une pratique excluante, car elle introduit des difficultés supplémentaires pour certaines catégories de personnes, comme les dyslexiques, les personnes en difficulté de lecture (illettrées) ou les étranger·es qui cherchent à apprendre le français. L’effet pervers de cette tentative d’inclusion est donc de compromettre l’accessibilité de la langue française.

Tribune parue dans Le Monde le 20 avril 2021

Je rappelle que cet argument est très discutable notamment car il se focalise uniquement sur le point médian dont on peut tout à fait se passer quand on écrit de manière inclusive, comme je l’expliquais déjà dans l’article Les textes écrits de manière inclusive sont-ils vraiment illisibles ? ou comme le démontrent parfaitement Eliane Viennot et Raphaël Haddad dans cette tribune du Monde.

D’autre part, cet argument est assez hypocrite : je vous recommande la lecture de Qui veut la peau du français ? de Christophe Benzitoun qui montre très bien comment la complexité du français a été historiquement renforcée par les institutions créatrices de normes (comme les livres de grammaire ou l’Académie Française) rendant son apprentissage toujours plus difficile. En gros, on n’a pas attendu le point médian pour rendre le français difficile à enseigner et apprendre, et on peut même dire que le français a sciemment été complexifié comme le rappellent avec humour Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans leur conférence Ted La faute de l’orthographe en citant le premier dictionnaire de l’Académie Française :

« L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes »

Premier dictionnaire de l’Académie Française, 1694


La thèse de la perversité est aussi parfois invoquée par celles et ceux qui pointent du doigt le langage inclusif comme un instrument de division entre les hommes et les femmes (dans une perspective d’ailleurs très binaire) car “on ferait mieux de se concentrer sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous distingue”. Je ne crois pas à titre personnel que rendre visible la moitié de l’humanité dans notre langage soit un facteur de division.

L’inanité ou la bataille prétendument inutile des féministes


La thèse de l’inanité avance que “toute tentative de transformation de l’ordre social est vaine, que quoi qu’on entreprenne, ça ne changera rien”.
En gros, le langage inclusif, ça ne sert à rien, et surtout pas à changer quoi que ce soit aux inégalités entre les genres. Ou dans une de ses variations : les féministes devraient avoir mieux à faire que de nous enquiquiner avec ce délire inutile.

Ce type d’argumentation choisit d’ignorer 40 ans d’études de psycholinguistique qui ont toutes montré que les mots qu’on emploie ont un impact sur la manière dont on voit le monde, et que le masculin générique (le fait de dire les Français au masculin pour parler de toutes les personnes qui sont françaises) n’est en réalité pas interprété spontanément par notre cerveau comme mixte ou neutre. Le cerveau pense-t-il au masculin ? de Pascal Gygax, Ute Gabriel et Sandrine Zufferey revient sur un ensemble d’expériences qui vont toutes en ce sens. Et très concrètement, on a observé par exemple que les offres d’emploi rédigées au masculin attirent moins de candidatures de femmes que celles rédigées de manière inclusive (en disant le masculin et le féminin). Quand la SNCF choisit d’écrire toutes ses offres d’emploi de manière inclusive pour encourager la présence de femmes dans des métiers où elles sont sous-représentées comme conductrice de train, c’est bien la preuve que ça ne « sert pas à rien ».

Autre variation autour de la thèse de l’inanité : il y a bien des langues où le masculin et le féminin ne sont pas (si) marqués, et le sexisme n’y est pas moins fort, preuve que ça ne sert à rien. CQFD. 
Aucun·e partisan·e du langage inclusif n’a jamais prétendu que c’était l’instrument ultime, unique et définitif pour mettre fin au patriarcat qui est un système composé de multiples couches. Le langage est une de ses couches, et une couche que je dirais même fondamentale, sur laquelle nous pouvons toutes et tous agir simplement, par le choix des mots que nous employons au quotidien. Mais c’est un effort parmi d’autres : il y a une différence entre ne servir à rien, et ne pas réussir à tout. 

Le mise en péril ou le langage inclusif contre la Nation française

La thèse de la mise en péril dit que “le coût de la réforme envisagée est trop élevée, en ce sens qu’elle risque de porter atteinte à de précieux avantages ou droits précédemment acquis”.

Quand l’Académie française parle dans cette déclaration de “péril mortel” pour parler de l’écriture inclusive, on est en plein dans cette thèse au sens premier.  Extrait :

Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

Quand la querelle de la féminisation des noms de métiers a éclaté en France en 1984 avec la création d’une « Commission de féminisation des noms de métier et de fonction » présidée par Benoîte Groult a été mise à jour la volonté de perpétuer un système dans lequel les fonctions et métiers prestigieux étaient toujours au masculin. Oserais-je dire que ce sont les hommes de pouvoir qui refusaient de voir s’émousser le privilège de leur métier en féminisant leur nom ? Oui. 

Quand certains éditorialistes dénoncent l’écriture inclusive comme étant un danger pour la nation, comparant le point médian aux éoliennes qui détruisent les paysages, c’est en invoquant la théorie de la langue comme ciment de la nation : tout changement dans la langue devient alors une mise en péril de cette même nation. C’est oublier qu’une nation, comme une langue, c’est vivant, et que donc ça évolue.

Le bingo des arguments contre l’écriture inclusive

Avec ces 3 thèses, on a quasiment fait le tour des arguments contre le langage inclusif et vous êtes paré·es pour jouer au bingo ; il manquerait l’argument esthétique (c’est moche) qui est en réalité une question d’usage et d’habitude. Personnellement, je trouve très laid le mot logiciel, mais quand c’est le mot qui définit ce que je cherche à décrire, et bien je l’emploie, tout comme autrice est le nom d’une femme qui écrit, entrepreneuse celui d’une femme qui entreprend ou professeuse celui d’une femme qui enseigne.

Hirschman conclut son livre par une très honnête volte-face où il explique comme les progressistes aussi ont développé une manière de répondre à la rhétorique réactionnaire par une série d’arguments tout aussi systématisés :

le péril imminent , celui qui guette la société s’il n’y a pas de changement ; cette thèse vient en réponse à celle de l’effet pervers
les lois de l’Histoire ; on ne peut aller contre le Progrès ; cette thèse prétend contrer celle de l’inanité
la synergie : la nouvelle réforme et la précédente entreraient en synergie et se renforceraient naturellement (Pottier) ; cette thèse s’oppose à celle de la mise en péril des acquis sociaux

Wikipedia

Aussi, je dis et j’assume être dans le camp des progressistes et annoncer que la société s’enfoncera dans toujours plus d’inégalités au point de son péril imminent si l’on continue à employer un langage masculinisé qui ne rend pas visibles les femmes. Mais je crois aussi à la force de la pensée et de l’action féministe qui sont le sens d’une Histoire qu’on ne peut arrêter. Et qui verra bientôt s’imposer une forme de langage inclusif qui sera une synergie de certains de nos usages passés et de nouveaux usages qui conquerront le coeur, la plume et le clavier du monde entier. Rien que ça.

Alors est-il réactionnaire d’être opposé·e à l’écriture inclusive ? Pour plus de précision, il faut revenir à la définition de réaction :

Une réaction désigne la politique prônant et mettant en œuvre un retour à une situation passée réelle ou fantasmée, en révoquant une série de changements sociaux, moraux, économiques et politiques. Un partisan de la réaction est nommé « réactionnaire ». Le terme s’oppose à progressiste, ce dernier employant de façon raccourcie le mot « réac », pour désigner péjorativement toute personne identifiée comme réactionnaire qui s’oppose aux idéaux qui se veulent progressistes. Le réactionnaire se différencie également du conservateur (sic) qui souhaite la conservation des structures du modèle politique actuel.

Wikipedia

Je dirais donc qu’en fonction de son positionnement politique, une personne qui s’oppose au langage inclusif peut être réactionnaire (et veut revenir au passé) ou conservatrice (et veut rester au présent). Elle n’est en tout cas, à mon sens, jamais progressiste.
Et si je voulais corser même un peu la chose je dirais que moi, qui prône à la suite d’Eliane Viennot une démasculinisation du français, je souhaite en réalité en retour à une norme passée, celle où on disait autrice, poétesse, peintresse et où le « masculin ne l’emportait pas sur le féminin » (en tout cas dans la langue) : et si c’était moi, la vraie réac ?

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : un·e collègue transsexuel·le

Quand j’ai commencé à penser à cet article, je me suis dit que ça allait être un sujet complexe parce que j’avais le sentiment qu’il y avait tellement à dire sur la manière de parler des transidentités qu’un article n’y suffirait pas.
Mon premier engagement militant a pourtant été au sein d’une association étudiante LGBT (à l’époque, on ne mentionnait pas les QIA+), je connais personnellement des personnes trans, je me considère comme étant plutôt éduquée sur le sujet.

Je pense que cette semi-paralysie face au vocabulaire des transidentités était représentatif de ce que peuvent ressentir de nombreuses personnes cisgenres, c’est-à-dire dont le genre assigné à la naissance correspond au genre vécu, ou en termes encore plus simples qui vivent en harmonie avec le genre qui a été proclamé lors de leur naissance : cela paraît tellement éloigné de notre réalité que c’est forcément difficile à comprendre et qu’on ne sait pas comment en parler.

Alors qu’en fait, ça peut être simple si on sait par où commencer.

Etape 1 : écouter, lire et regarder les concerné·es·x*

En tant que personne cisgenre, l’expérience d’une personne trans m’est totalement étrangère si je ne fais pas l’effort de comprendre. Ne pas faire cet effort conduit à perpétuer le sentiment de différence et d’éloignement. Alors pour comprendre, j’ai écouté, lu, regardé et voici 3 références grâces auxquelles je me suis éduquée.

1. Comprendre la transition

Océan est un comédien et humoriste trans qui a documenté la première année de sa transition pour France TV Slash dans une série de 10 vidéos d’une dizaine de minutes (disponible en intégralité sur YouTube).

Je recommande cette série courte et rythmée, dont chaque épisode aborde un thème (le coming out trans, les démarches de changement d’état civil, l’impact sur la carrière…) et montre avec franchise et transparence, presque sans commentaire, les difficultés mais aussi les joies, les réactions d’incompréhension mais aussi d’amour.

2. Comprendre les oppressions

Lexie, connue sur les réseaux sociaux comme Agressively trans, est une militante trans qui partage sur Instagram une multitude de contenus pour s’éduquer au sujet des transidentités. Elle a publié cette année Une histoire de genres : Guide pour comprendre et défendre les transidentités dont je recommande la lecture à chaque allié·e.

Ce livre est vraiment un trésor pour celles et ceux qui souhaitent, comme son titre l’indique, comprendre et défendre les transidentités. Lexie décrit de manière très accessible et bienveillante mais aussi avec précision les différentes dimensions des transidentités : le poids du contexte culturel occidental dans la marginalisation des personnes trans, le cadre légal qui leur est imposé, les nuances dans les différentes manière de vivre une transition (médicale ou non), et surtout elle prodigue des conseils pour agir en allié·e.

3. Comprendre les nuances

Natalie Wynn aka Contrapoints est une créatrice YouTube trans qui se définit comme « ex-philosopher » et qui produit des vidéos longues qui sont de véritables bijoux (en anglais) : dans une mise en scène léchée à l’esprit baroque, elle décortique des sujets comme les masculinités ou la cancel culture. Elle est pédagogique, drôle et parvient à un équilibre parfait entre nuance, précision et radicalité.
Elle a consacré plusieurs vidéos à décrypter les différentes conceptions du genre (ou de négation du concept de genre) qui agitent les conversations autour des transidentités. Parmi ces vidéos : « Transtrenders » (où elle démonte les arguments de celles et ceux qui parle des transidentités comme d’un effet de mode), Pronouns (sur la question de l’usage du bon pronom he/she/they pour les personnes trans), Gender Critical ou JK Rowling (où elle décrypte les arguments de certaines féministes – appelées TERF pour trans exclusionary radical feminists – qui souhaitent exclure les femmes trans de leurs luttes car elles ne seraient pas des femmes).


Etape 2 : retenir quelques mots de vocabulaire

Le deuxième chapitre du livre de Lexie s’intitule Avoir les bons mots : l’importance du vocabulaire. Lexie y rappelle que les mots peuvent être une arme de bienveillance comme de violence massive. Elle explique la raison pour laquelle le terme transsexuel est à bannir :

Le terme transsexuel, pourtant relativement familier, est à prohiber pour plusieurs raisons (…) En raison de l’association du terme à une maladie mentale, la communauté trans en France rejette aujourd’hui très largement ce sens. Une autre raison est l’ensemble des stigmates, préjugés et stéréotypes accolés aux personnes transgenres par ce mot, telle une hypersexualité supposée, la fétichisation, l’instabilité psychologique, etc. Enfin le terme manque de pertinence puisque sur le plan strictement médical, il définit une personne ayant effectué une opération génitale. De nombreuses personnes transgenres ne le font pas et ne souhaitent pas le faire.

Lexie, Une histoire de genres

Lexie liste dans ce chapitre d’autres mots à ne pas utiliser comme travesti, travelo ou hermaphrodite. Elle explique aussi certains termes propres aux transidentités et mentionne la question cruciale des pronoms. Comme évoqué dans l’article Faut-il inventer de nouveaux mots pour être vraiment inclusif, les pronoms personnels il et elle ne suffisent pas à définir les personnes non-binaires et des alternatives existent qu’un·e allié·e se doit de respecter.

Ce post Instagram de Lexie, Petit lexique de base, est la meilleure source pour celles et ceux qui ont envie de s’exprimer de la manière la plus précise et inclusive possible.


Si transgenre est donc sans conteste à substituer à transsexuel, une 3e voie encore plus simple est de simplement dire trans.
C’est par exemple le choix d’Emmanuel Beaubatie, sociologue et auteur de Transfuges de sexe :

Le mot « transsexuel », utilisé par les médecins dans les années 50, désigne les individus qui ont recours à des modifications corporelles. A l’inverse, celui de « transgenre » a été introduit par les personnes trans dans les année 70 pour se distinguer de celles et ceux qui avaient recours à la médicalisation. Donc pour éviter toute confusion et connotation, j’utilise le terme trans, ce qui me permet d’inclure un maximum de parcours différents dans ma recherche. Il faut bien comprendre que toutes les personnes trans ne s’identifient pas comme homme ou femme et qu’elles n’ont pas toutes recours à des modifications corporelles et à un changement d’état civil

Interview de l’auteur dans Society du 20 mai 2021.

Etape 3 : en parler (ou pas) au travail

Dans le cadre du mois des fiertés, j’ai suivi dans mon entreprise une session d’échange intitulée « How to start an LGBTQ+ conversation ? » (comment entamer une discussion LGBTQ+ ?). On y a parlé de la nécessité de se voir prêt·e à être « clumsy with good intent », c’est-à-dire maladroit·e avec une bonne intention.

Aujourd’hui, je retiens 3 attitudes pour parler des transidentités au travail :
– d’abord, ai-je vraiment besoin d’en parler ? Savoir si la collègue assise en face de moi est une femme trans ou pas, est-ce que cela fait une différence ? Non, ça ne devrait pas.
– si j’ai besoin d’en parler, par exemple pour savoir comment m’adresser à cette personne dont le prénom est neutre, je peux commencer par lui annoncer quel pronom (il/elle ou un néopronom) je souhaite qu’on utilise pour moi avant de lui poser la question simplement, sans circonvolution. Je suis prête à ce que cela crée un moment de gêne, par exemple si cette personne n’est pas trans, mais je peux aussi l’utiliser pour entamer une discussion sur le genre, et mettre en avant le fait que le pronom ne devrait être évident ni pour les personnes trans ni pour les personnes cis, ce qui contribuera à long terme à banaliser cette question.
– je garde ma curiosité pour moi : je n’ai pas à poser de question sur la transition ou tout autre détail intime de la vie d’un·e collègue. Si cette personne devient un·e ami·e, je saurai reconnaître les contextes propices à en parler, mais ça n’est certainement pas la cantine ou une salle de réunion.

Faire l’effort de comprendre, dire simplement trans, et être prêt·e à faire des erreurs et à les corriger, c’est pour moi la plus simple manière d’être allié·e des personnes trans, au travail et dans la vie de tous les jours


* dans cet article, j’utilise la lettre x pour représenter les personnes non-binaires ; j’ai expliqué ici pourquoi je n’utilise généralement pas ce x, mais il me semblait que dans le contexte d’un article qui parle de transidentités, il était indispensable de bien représenter la diversité sur le spectre du genre, c’est-à-dire d’inclure les personnes non-binaires.

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Le langage inclusif pour les nul·les

Dire le féminin ou le masculin en premier ? Comprendre l’ordre de mention [vidéo]

Une des 3 conventions pour parler un langage inclusif est, lorsque l’on parle d’un groupe de personnes mixte en genres, de ne pas employer le masculin générique, comme quand on dit « les collaborateurs » pour parler des hommes et des femmes qui travaillent dans une entreprise.

On peut le faire par l’utilisation de termes épicènes (l’équipe, le corps enseignant) qui englobe toutes les personnes sans marquer le genre ; par l’usage raisonné du point médian (étudiant·es) sur lequel nous reviendrons : par la technique d’énumération aussi appelée double flexion (« Françaises, Français ! »).

Dans ce dernier cas, une question se pose : dans quel ordre dire le masculin et le féminin ? C’est c’est ordre qu’on appelle ordre de mention.

Explication en vidéo et en 2 minutes :

1. L’ordre alphabétique, la version sans connotation

C’est l’option recommandée par exemple par la professeuse émérite de littérature et autrice de « Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! » Eliane Viennot.
Sans connotation, il permet d’éviter les accusations de goujaterie ou de galanterie. Dans la réalité et vu la manière dont on forme les mots masculins et féminins en français, on dira souvent, si on opte pour cette option, le masculin en premier, comme dans « les collaborateurs et les collaboratrices », « les sportifs et les sportives », « l’étudiant et l’étudiante » (mais « les étudiantes et les étudiants »).

2. Le féminin en premier, la version politique

C’est l’option défendu par Pascal Gygax, psycholinguiste et co-auteur de « Le cerveau pense-t-il au masculin ? ».
Pour lui, l’ordre de mention a une signification symbolique et on aura toujours tendance à dire en premier le nom ou la fonction de la personne qui est la plus importante. Cette première place de mention est aussi une première place d’importance. Aussi, il recommande de systématiquement mettre le féminin en premier, comme un juste rééquilibrage après des siècles de patriarcat qui ont relégué les femmes au second rang.

3. Bonus : la spontanéité

A titre personnel, je préfère l’option 2 mais je reconnais que je ne suis pas une machine, et notamment à l’oral, prise dans le flux d’une conversation ou le stress d’une présentation, je ne prends pas toujours le temps d’y réfléchir. Dire le masculin et le féminin, peu importe l’ordre, est déjà un progrès par rapport au masculin générique. Soyons bienveillants avec nous-mêmes et faisons de notre mieux pour respecter déjà cette convention. La parfaite maîtrise de l’ordre de mention est un super bonus, mais pas un indispensable.

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Est-ce que ce monde est sérieux ? Le langage inclusif pour les nul·les

[vidéo] Démystifier le langage inclusif : 1h pour comprendre et se faire un avis

Le jeudi 20 mai 2021, les Ateliers Numériques de Google France ont organisé une journée spéciale dédiée au langage inclusif, en collaboration avec Women@Google, le groupe des Googlers (les employé·es de Google) qui s’engagent en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Cette journée en ligne s’est articulée autour de 3 évènements : une table ronde et deux ateliers pratiques.

J’ai eu le grand plaisir d’animer la table ronde intitulée Démystifier le langage inclusif : 1h pour comprendre et se faire un avis dont vous pouvez regarder le replay en intégralité sur la chaîne YouTube des Ateliers Numériques Google :

https://www.youtube.com/watch?v=a6hlniVlArM


J’étais entourée d’invité·es et expert·es de choc :
Emilia Capitaine, cheffe de projets chez Mots-Clés, agence de communication et d’influence qui oeuvre pour la formation à l’écriture inclusive des institutions.
Pascal Gygax, psycholinguiste expérimental et psychologue cognitif, co-auteur de « Le Cerveau pense-t-il au masculin ? » qui retrace 40 ans de recherche scientifique sur l’impact de l’emploi du masculin générique sur nos représentations des femmes et des hommes.
Vinciane Mouronvalle Chareille, fondatrice de l’agence UniQ en son genre qui accompagne des entreprises et des individus pour mettre en oeuvre l’égalité des personnes notamment grâce à la pratique du langage ouvert.


Pendant cette table ronde, nous avons échangé sur la définition et les objectifs du langage inclusif (12:02), les résultats des études de psycholinguistique qui montrent la difficulté rencontrée par notre cerveau à imaginer le masculin comme vraiment générique (19:40), l’impact sur les jeunes enfants de tout dire au masculin notamment dans la projection dans les métiers (27:01), les 3 conventions recommandées pour s’exprimer de manière inclusive (30:04), la spécificité française de l’intensité du débat sur l’écriture inclusive et la question de l’accessibilité notamment pour les personnes dyslexiques (43:23), le point médian comme un des outils dont on peut tout à fait se passer (49:20), pourquoi se former (52:20), l’impact pour les entreprises et les institutions qui pratiquent le langage inclusif (56:30), des références pour aller plus loin (1:01:6)

Pédagogie, bienveillance et précision résument bien l’esprit de cette table ronde à revoir en replay sur la chaîne des Ateliers numériques Google.

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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Les éoliennes, nouvel argument choc contre l’écriture inclusive

L’écriture inclusive* divise : l’idée de faire évoluer la langue française pour représenter plus justement les hommes et les femmes dans nos discours se heurte à des levées de boucliers aussi bien dans les rangs de la classe politique que dans les milieux académiques. Ces dernières semaines se sont encore multipliées les tribunes des opposant·es comme des partisan·es de l’écriture inclusive, et je reste frappée par l’absence de bienveillance et de mesure qu’on peut souvent y lire, principalement du côté des détracteurs et détractrices.

L’impossible bienveillance du débat sur l’écriture inclusive

On pourrait faire un bingo des arguments qu’on oppose à l’écriture inclusive (tiens, d’ailleurs je vais le faire).
Dans l’ordre décroissant de conviction (selon moi), on lit (liste non exhaustive) : c’est moche ; c’est une lubie de féministes qui feraient mieux de s’attaquer aux vrais problèmes de la société ; c’est compliqué, on n’y comprend rien avec ces points médians ; c’est illisible et imprononçable  ; ça ne sert à rien et surtout pas à réduire les inégalités entre femmes et hommes, d’ailleurs dans les pays où la langue n’est pas si genrée, le sexisme existe aussi, ha ; c’est excluant (notamment pour les personnes dyslexiques)

Parmi ces arguments, certains sont tout à fait légitimes, notamment ceux liés à l’accessibilité, et rassembler les preuves scientifiques, recueillir la parole des concerné·es, organiser des consultations publiques, mener des tests sont autant de pistes à creuser pour nourrir un débat sain.
Mais aujourd’hui, le débat médiatique autour de l’écriture inclusive ne l’est pas.
Le niveau de violence verbale, de cynisme et de mauvaise foi atteints dans certains articles et tribunes ne cesse jamais de me surprendre, et c’est ce sur quoi j’aimerais vous encourager à réfléchir.

Aujourd’hui, je veux donc rendre hommage à la créativité sans limite (coucou TopChef) des éditorialistes qui arrivent à renouveler l’argumentaire anti-écriture inclusive pour protéger la langue française de celles (et ceux mais surtout celles évidemment)  qui veulent sa mort au nom d’une idéologie “inclusiviste”, comme la nommait le linguiste Franck Neveu dans un entretien croisé avec Julie Neveux (qui y est, elle, favorable) paru dans Le Figaro le 30 mars.

Pour ou contre l'écriture inclusive, deux linguistes débattent

Vous me rétorquerez que le ton sarcastique que je prends n’est pas très compatible avec la bienveillance que je prône, et vous aurez raison. Je ne suis pas à l’abri d’une contradiction, j’avoue.

Eoliennes et magie, entre vindicte nationaliste et dénigrement par le ridicule

Le 13 avril dernier est paru une tribune dans Le Figaro signée Robert Redeker intitulée «D’un point de vue civilisationnel, l’écriture inclusive est comparable à la destruction des paysages».

Comme toujours, c’est avec un peu de fébrilité que je clique sur les articles qui traitent d’écriture inclusive, car en fonction de mon humeur, je peux exploser de rire ou de colère face au mieux à l’imprécision, au pire à l’obsolescence de certains arguments sempiternellement ressassés.
Dans le cas de cette tribune, je suis passée du rire aux larmes.

Certes, je pouvais m’attendre à ne pas être d’accord avec Robert Redeker, philosophe polémique connu notamment pour ses propos sur l’Islam. Mais je ne pouvais pas m’attendre à tomber en sidération devant la gravité de ses propos et la décorrélation totale entre les enjeux de l’écriture inclusive (dont on pourrait discuter des formes, je le reconnais volontiers) et ses répercussions annoncées.

Quelques exemples : 

“Après l’écriture inclusive, l’on ne pourra plus être français de la même façon qu’avant son despotisme.”

Je comprends, d’ailleurs comme le rappelait Eliane Viennot dans une autre tribune du Monde le 2 avril, la carte d’identité française est déjà inclusive (on y lit né(e) le) et interdire l’écriture inclusive dans les documents administratifs reviendrait à refaire les cartes d’identité des 67 millions de Françaises et Français. Un choc d’identité, c’est sûr.

“L’écriture inclusive est un séparatisme: il s’agit pour elle de séparer la langue française d’avec ce que fut la France jusqu’ici.”

L’utilisation de terme séparatisme me semble un peu poussée, mais s’il s’agit de se séparer de la France patriarcale “d’avant”, I’m in.

“L’écriture inclusive est, d’un point de vue civilisationnel, exactement la même chose que la destruction des paysages, cet autre héritage des siècles: les éoliennes rendent le paysage invisible, effaçant le passé de la nation. L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage.”

Là, je n’ai plus de mots, inclusifs ou non. Cette comparaison avec les éoliennes me laisserait presque pantoise si elle ne soulevait pas un petit paradoxe. Est-ce que la France tombe en déliquescence en tant que nation depuis l’apparition des éoliennes ? Ne devrait-on pas parler d’une autre forme, bien plus ancienne, de destruction des paysages par la déforestation ou l’urbanisation ? Ou alors dans ce cas, c’est la civilisation qui progresse et dans l’autre c’est la nation qui meurt de s’invisibiliser. D’ailleurs, c’est drôle de parler d’invisibilisation de la nation, car ce terme fait aussi partie du vocabulaire des pro-écriture inclusive : visibiliser les femmes invisibles dans le langage.

Si je trouve cette tribune d’une très grande violence, et qu’en toute honnêteté sa lecture me fait peur et me met en colère, il existe des stratégies plus douces mais tout aussi peu bienveillantes pour dénigrer l’écriture inclusive, comme la ridiculisation (que j’explorais déjà dans la déconstruction de la blague d’Isabelle Huppert lors des César 2021). Cette fois, c’est Bernard Cerquiglini (par ailleurs auteur de Le Ministre est enceinte, un retour sur l’histoire de la querelle de la féminisation des noms de métiers dont j’ai beaucoup apprécié la lecture) qui s’en empare dans sa tribune parue dans le Monde le 19 avril intitulée : « L’écriture “inclusive”, empreinte d’une louable intention, est une fâcheuse erreur ».


Si le ton est bien moins véhément, et l’argumentation plus linguistique que philosophique, l’auteur réfute l’idée que le masculin employé dans un sens générique (comme quand on dit les Hollandais pour parler des habitant·es de la Hollande) puisse avoir le moindre impact sur les représentations que l’on se fait sur la place des femmes et des hommes, balayant les arguments de la psycholinguistique qui ont démontré que le masculin n’est pas si neutre que ça. Et même si ces arguments pourraient raisonnablement être discutés, l’argument d’autorité est mis en avant (c’est comme ça) et les tentatives de le contester considérées comme de vaines pensées magiques.

La catégorie du masculin en français a donc deux emplois distincts, que tout francophone maîtrise,
même inconsciemment : le masculin « genré », d’un côté, le masculin neutralisé (inclusif au pluriel,
générique au singulier), de l’autre. (…) Libre à chacun de blâmer cette généricité du masculin, comme on réprouve l’hiver, la loi de la gravité ou les pluriels en -aux (…) L’attention nécessaire portée à l’égale représentation, dans nos énoncés, des hommes et des femmes passe par l’utilisation, libre et réfléchie, des ressources de la langue et non par une ritualisation de formules magiques.

Face à ces tribunes d’opposant·es à l’écriture inclusive qui manient une véhémence grandiloquente (rappelez-vous déjà le « péril mortel » invoqué par l’Académie Française), la démesure (la fin de la nation Française, sérieusement ?) ou le dénigrement par le ridicule (on ne peut rien contre l’hiver, alors on ne peut rien comme le masculin dit générique), celles et ceux qui tentent de la promouvoir optent pour d’autres stratégies : le calme de l’explication (comme Julie Neveu dans l’entretien du Figaro cité plus haut), l’humour pinçant comme Eliane Viennot dans son édito sur les cartes d’identité, ou la bienveillante pédagogie, comme dans la récente tribune que cette dernière a co-signée avec Raphaël Haddad « L’écriture inclusive se retrouve réduite, à tort, au point médian ».
Ce déséquilibre est frappant.

Dans la « vraie vie », l’effort de bienveillance est indispensable

Ici, je rapporte des propos tenus dans l’espace médiatique où l’exagération et la démesure sont malheureusement de rigueur pour imposer un agenda, parfois politique.
Mais dans la vraie vie, dans le quotidien, en entreprise, avec ses proches, quelle posture adopter ?

Lorsque je forme des collègues sur le langage inclusif, je mets un point d’honneur à le faire avec bienveillance.
Mon premier objectif est d’encourager un regard critique sur les mots, non pas de forcer à l’adoption d’une pratique.
Quand je parle des 3 principes que je préconise, j’ajoute un quatrième principe de bienveillance envers soi-même : ce n’est pas du jour au lendemain qu’on va réussir à changer toutes ses habitudes linguistiques, et déconstruire des siècles de masculinisation de la langue est en engagement. Faire de son mieux et progresser dans sa pratique en se laissant du temps, c’est déjà très bien. Ce n’est pas grave s’il reste du masculin générique dans un texte, si on oublie de dire « bonjour à toutes et à tous » de temps en temps ou si on emploie un mot imprécis. L’injonction à la perfection, comme les femmes peuvent en témoigner, ne contribue pas au bien-être général.

Mais j’attends aussi de la bienveillance des personnes qui ne sont pas d’accords avec moi : cela passe par exemple par ne pas se moquer de moi quand je fais remarquer que je suis gênée qu’on ait écrit « Les hommes » au lieu de l’humanité dans un texte ou que le 8 mars n’est pas la « Journée de la Femme » mais « La journée internationale pour les droits des femmes ». Combien de fois ai-je entendu : « Oh, mais c’est pas si grave, c’est juste un mot ! »
Pour citer France Gall qui interprète Michel Berger : « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup ». Avoir une posture ouverte, curieuse et donc bienveillante est la condition sine qua non d’un débat qui progresse, et a minima de relations amicales et professionnelles qui épanouissent.

On ne peut peut-être pas l’attendre de la part des éditorialistes fâché·es par l’écriture inclusive, mais on peut l’attendre des personnes que l’on côtoie au quotidien.

* Je précise que dans cet article je parle d’écriture plus que de langage inclusif car ces débats en plus d’être violents se focalisent souvent sur un seul élément, un des outils de l’inclusif qui est le point médian, le plus visible, le plus attaqué (et je rappelle qu’on peut très bien écrire de manière inclusive sans l’utiliser).


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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je dis : un·e collègue noir·e

Jusqu’à présent dans cette rubrique « Pourquoi dire et ne pas dire », je me suis concentrée sur des mots ou expressions que je ne recommande pas : pourquoi je ne dis pas putaclic ou leadership féminin, pourquoi je ne dis (presque) pas « bonjour à tous ». Mais je ne voudrais pas laisser penser que parler un langage inclusif, c’est simplement bannir des mots qu’on déconstruit. C’est aussi promouvoir des mots qu’on utilise peu alors qu’ils ont le mérite de nommer précisément (c’est pourquoi d’ailleurs j’aime parler de langage précis et inclusif). C’est le cas du mot noir quand il est utilisé pour décrire une personne.

Black, renoi, de couleur…mais pourquoi pas tout simplement noir ?

Pendant des années, j’ai moi-même employé ces mots pour qualifier des personnes noires : pourquoi ?
Parce que j’avais l’impression que dire « une femme noire » ou « un homme noir » avait une connotation péjorative ; qu’il était plus acceptable (mais pour qui ?) d’employer des formulations moins directes. En réalité, nommer, décrire la couleur de peau d’une personne par le mot anglais black ou le verlan renoi, c’était pour moi comme un euphémisme, comme quelque chose de plus doux.

Euphémisme : expression atténuée d’une notion dont l’expression directe aurait quelque chose de déplaisant, de choquant

Le Robert

Cette définition est très éclairante pour comprendre ce qui se passait pour moi quand j’employais black ou renoi. Je n’osais pas nommer précisément une réalité (être noir·e) que j’assimilais à quelque chose de déplaisant ou choquant. Choquant, parce que parler de personnes noires à des personnes blanches (la majorité de mon entourage) me donnait le sentiment d’être raciste. Déplaisant, parce que parler de personnes noires à des personnes noires me donnait le sentiment de les renvoyer à une condition que je jugeais difficile à vivre (être noir·e et subir toutes les discriminations que le racisme systémique de notre société impose). Le mot noir était donc pour moi tabou au sens propre de « ce sur quoi on fait silence, par crainte ou par pudeur ». Par crainte de passer pour raciste, par pudeur de ne pas froisser la dignité des personnes noires. En cela, je suis le produit de la culture républicaine française, comme le montrait Claire Levenson dans cet article (dont je vous recommande la lecture) paru sur Slate.fr en 2012, Pour une utilisation décomplexée du mot noir :

Alors, pourquoi évite-t-on de dire noir ? Tout part de bonnes intentions antiracistes. Dans la République française, désigner, catégoriser les gens par la couleur de leur peau ou leur religion est très mal vu. Un certain discours républicain maintient que désigner quelqu’un comme noir –même dans un contexte neutre– c’est risquer d’«essentialiser» son identité. C’est l’enfermer dans une communauté, diviser la société en clans.

Ce qu’on ne nomme pas n’existe pas.

J’essaie d’être lucide sur moi-même. Je me souviens très bien qu’adolescente j’avais explosé de colère à table parce qu’un ami de mon père avait fait une remarque raciste. En cela, je pense que j’ai sincèrement des valeurs anti-racistes. Mais je sais aussi qu’à l’école, dans mes études, et dans ma vie professionnelle (en tout cas jusque récemment), je n’ai fréquenté que très peu de personnes noires. Je sais que j’ai intégré des biais inconscients racistes. J’ai conscience de mon privilège de personne blanche et je ne suis pas dupe du fait que le confort de ma vie actuelle doit beaucoup à des personnes racisées qui s’occupent de mes enfants ou de ma maison.

Je ne cherche pas à me culpabiliser (ou à vous culpabiliser) parce que je pense que la culpabilité est un sentiment toxique qui ne fait pas avancer ; mais je cherche à conscientiser ces biais, à les déconstruire et à m’éduquer pour adopter un comportement en adéquation avec mes valeurs. Et cela passe par reconnaître que ne pas dire noir au profit de black ou renoi contribue à perpétuer des biais inconscients racistes car ne pas nommer, c’est rendre invisible, et rendre impossible l’échange, le débat et la résolution des discriminations.

Dans le podcast de l’émission Le temps du débat de France Culture Existe-t-il une identité noire ? on entend notamment Jean-Pascal Zadi réalisateur du film Tout simplement noir dont le titre est un clair appel à utiliser un vocabulaire précis, ainsi que Maboula Soumahouro, maîtresse de conférence spécialisée dans les diasporas africaines aux Etats-Unis, parler de la pluralité des identités noires et de la nécessité de nommer précisément pour lutter vraiment contre le racisme.

On entendait d’ailleurs déjà Maboula Soumahouro dans le documentaire d’Amandine Gay, Ouvrir la voix, qui donne la parole à 24 femmes noires de France et de Belgique qui partagent leurs expériences autour de sujets comme la parentalité, la sexualité ou la religion.
Qu’est-ce que les personnes concernées ont à dire de l’utilisation du mot black ?

Oui mais j’ai un·e ami·e noir·e

Vous me rétorquerez peut-être : « mais j’ai un·e ami·e noir·e qui se qualifie de black, ce n’est donc pas raciste ! »

Certes, mais ce n’est pas là mon message : il ne s’agit pas d’imposer à qui que ce soit, surtout aux personnes concernées, un mot plutôt qu’un autre. Il ne s’agit pas non plus d’adopter une posture paternaliste (ça serait un comble) pour dire à une personne noire qu’elle fait preuve de racisme intériorisé quand elle se qualifie elle-même de black, de la même manière que je ne vais pas attaquer une femme qui parle de leadership féminin en l’accusant de faire preuve de sexisme intériorisé. On a d’ailleurs le droit de ne pas être d’accord avec cette analyse des mots et de leur signification.

Mais pour avoir un regard critique sur les mots, il faut vraiment avoir en tête deux éléments fondamentaux : le contexte et la situation de la personne qui s’exprime. En tant que femme blanche, et a fortiori dans un contexte professionnel, j’emploie le mot précis et je dis un·e collègue noir·e. Car ce que j’entends de la bouche des personnes concernées c’est que le mot noir n’est jamais problématique alors que les autres formulations comme black ou renoi peuvent être mal reçues par au moins certaines d’entre elles : alors je m’abstiens de les dire. Ainsi, je ne prends pas le risque de blesser qui que ce soit, et je ne contribue pas à renforcer, chez moi-même et chez les autres, le biais inconscient raciste selon lequel dire noir est tabou.

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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : un·e collègue hystérique

Le mot hystérique a déjà été longuement déconstruit et peut-être que pour certain·es d’entre vous, il paraîtra évident que c’est la dimension sexiste qui l’exclut d’un vocabulaire inclusif. C’est vrai, mais ça va plus loin que ça. Car le terme hystérique convoque aussi une forme de discrimination plus tardivement formalisée, la psychophobie. Et appliqué dans le monde du travail, il pousse aussi à nous interroger sur la place qu’on veut bien accorder (ou pas) aux émotions de toutes les personnes quel que soit leur genre.

Aux origines de l’hystérie, l’utérus

Un éclairage rapide sur l’origine étymologique d’hystérie nous renseigne sur la première dimension du mot : son sexisme. De nombreux ouvrages référencent ce terme pour le déconstruire. Dans L’Homme préhistorique est aussi une femme, l’autrice Marylène Patou Mathis résume bien la situation :

Durant des siècles, les femmes sont considérées non seulement comme des « éternelles malades » mais aussi qualifiées de flegmatiques ou d’hystériques. C’est à Hippocrate que l’on doit l’invention du mot hystérie, qu’il utilisa pour décrire une maladie affectant le corps entier due à la matrice, la « suffocation de la matrice » (qu’on dit en grec ustera, qui a donné utérus puis hystérie, ndlr). Dans l’Occident médiéval, l’hystérie était considérée comme une possession du corps féminin par le Diable. Au début du XIXe siècle, la plupart des médecins attribueront la maladie à une sorte d’engorgement de l’utérus ou à une surexcitation de la matrice. Les femmes, à cause de leurs émotions mal maîtrisées, seraient « plus enclines à être atteintes de maladies mentales ».

En gros, à travers l’histoire médicale et jusqu’à récemment, c’est le prétexte biologique (dont on ne connaissait pas grand chose à l’époque d’Hippocrate) qui a justifié cet état quasi perpétuel de maladie mentale chez les femmes (ou plutôt les personnes qui présentaient une forme biologique associée au genre féminin). C’est l’utérus et les désagréments qui l’accompagnent (les règles, le cycle reproductif et ses variations hormonales) qui créent ces humeurs changeantes et incontrôlables qu’on qualifie dans les cas les plus visibles d’hystérie.

C’est grâce à à cause de Freud que l’hystérie a connu un regain d’intérêt et que la théorisation de son origine et de son expression a été la plus poussée, invoquant, au-delà de la dimension biologique, des justifications sexuelles et érotiques et posant les bases de la psychanalyse freudienne.

Aujourd’hui, le terme hystérie n’est plus utilisé dans le contexte médical (sauf peut-être par les psychanalystes de filiation freudienne) et il a été supprimé des classifications officielles internationales des maladies.

Etre hystérique, l’insulte sexiste qui renvoie les femmes à leurs émotions incontrôlables.

Si les gens qui traitent d’hystérique ne le font plus tant en référence au (pseudo) diagnostic médical, la définition commune du terme se focalise sur la dimension émotionnelle et soudaine d’une crise quasi systématiquement associée à une femme, parfois à un groupe (une foule hystérique), un comportement (un rire hystérique) mais rarement à un homme individuellement.

Hystérie : Excitation violente, inattendue, spectaculaire et qui paraît exagérée.

CNRTL

Utiliser le mot hystérique est donc clairement sexiste à plus d’un titre : comme con·ne il stigmatise une partie du corps d’une femme (l’utérus) pour en faire un objet de mépris et il contribue à renforcer des stéréotypes de genre, notamment celui que les femmes ne savent pas contrôler leurs émotions.
A ce titre, il peut être rangé dans la même famille que les archétypes de la angry black woman (« la femme noire en colère », qui est en plus raciste) ou de la drama queen (on ne dira d’ailleurs pas drama king pour parler d’un homme, ici le féminin générique ne gêne personne). Exprimer ses émotions, encore pire sa colère, et si possible de manière soudaine et hors de proportions (encore faut-il savoir qui définit ces proportions), c’est bien « un truc de bonne femme ».

Hystérique, une insulte psychophobe.

Traiter d’hystérique, c’est donc insulter en stigmatisant un état mental, considéré comme hors du commun voire pathologique. Quand on dit « t’es complètement hystérique » le sous-entendu est fréquemment « tu devrais te faire soigner ». Or stigmatiser sur la base d’une maladie mentale, ça s’appelle la psychophobie et la pratiquer n’est pas compatible avec un langage inclusif.

La psychophobie, ou le sanisme (en anglais mentalism ou sanism), est une forme de discrimination et d’oppression à l’encontre de personnes qui ont ou sont censées avoir un trouble psychique ou une autre condition mentale stigmatisée. Les victimes en sont les personnes catégorisées comme souffrant de troubles psychiques.

Wikipedia

Ce terme est apparu dans les année 70, et même si aujourd’hui son usage se répand, il me semble qu’il y a encore beaucoup de travail d’éducation à faire pour que chacun·e se rende compte de la portée discriminante des insultes de type fou, folle, taré·e ou même crétin·e (dont j’ai récemment appris l’origine sur le compte Instagram C’est quoi cette insulte que je vous recommande de suivre).
Paye ta psychophobie est un autre compte qui éduque par le partage de témoignages et de ressources sur l’étendue de la psychophobie dans la société.
Puisqu’aujourd’hui, et encore plus dans le contexte actuel de crise sanitaire, on met tant l’accent sur la santé mentale, il paraît évident de remettre en question ces mots. De la même manière qu’il ne viendrait pas à l’esprit de se moquer de quelqu’un·e qui a un bras cassé ou souffre d’un cancer en raison de sa maladie, pourquoi serait-il plus légitime de se moquer d’une personne qui souffre de schizophrénie ou de dépression ?

Les émotions doivent avoir leur place au travail, comme partout.

Une des raisons pour lesquelles j’ai titré cet article « Pourquoi je ne dis pas : un·e collègue hystérique » est la prégnance dans le monde du travail de l’idée que les émotions n’y ont pas leur place. Une femme me rapportait récemment qu’elle n’avait pas été embauchée à un poste pour plusieurs raisons parmi lesquelles le fait qu’elle présentait, je cite, une « surcharge émotionnelle » et que sa voix semblait « fragile ». Il y avait (heureusement) une raison plus solide à son non recrutement mais je ne peux que m’interroger : la même remarque aurait-elle été faite par ce recruteur à un homme ?
Les discriminations sexistes dans le monde du travail s’expriment à de multiples niveaux, notamment à cause des préjugés et parfois réalités liés à des grossesses potentielles vues comme des freins à la productivité ; mais elles se doublent aussi, entre autres, de discriminations plus insidieuses sur la perception de la mauvaise gestion des émotions des femmes au premier rang desquelles colère et stress. On parle souvent de leadership féminin (expression que je désapprouve pour les raisons développées ici) pour mettre en avant un management plus empathique et bienveillant. C’est donc qu’on peut apprécier chez les femmes la prétendue douceur qu’elles manieraient plus. Mais quand on se déplace sur le spectre des émotions de la douceur à la colère (qui va souvent de pair avec la revendication de justice), alors ce n’est plus si souhaitable. N’y aurait-il pas là un paradoxe ? Si, et c’est le même paradoxe qui s’exprime dans l’incapacité des gens à mettre sur un plan d’égalité l’affirmation et la capacité de décision des hommes et des femmes quand on parle du leadership des uns (les hommes) et de l’agressivité des autres (les femmes), retranscrite dans le terme anglais bossy (autoritaire) qui désigne plus souvent les femmes (voir la campagne Ban bossy).
Dans son ouvrage le Coût de la virilité, Lucile Peytavin se lance dans une difficile mais nécessaire tentative d’estimer combien coûte à l’Etat chaque année les conséquence d’une éducation des garçons et donc des hommes prônant la virilité, dont la non expression des émotions fait partie. Elle calcule combien d’argent coutent les frais de justice, frais médicaux et l’impact sur la vie humaine (des femmes et des hommes) des comportements dits asociaux en très grande majorité perpétués par des hommes (violences, sexuelles ou non, comportements à risque sur la route, etc.) en raison de cette éducation à la virilité. Elle parvient au résultat de 95 millards d’euros par an.

En entreprise, dans nos relations professionnelles, l’impératif au camouflage des émotions et donc la stigmatisation des personnes qui les expriment qu’on traite de collègues hystériques conduit à des cultures toxiques, dont le burn out est un des symptômes les plus visibles.
Je peux déjà vous entendre rétorquer que l’hystérie dénote une expression exagérée des émotions et que celle-ci n’a pas sa place dans l’entreprise où les relations doivent rester cordiales. Ce n’est pas pour rien si on parle de « relation strictement professionnelle » pour parler d’une relation dénuée d’émotions fortes (amoureuse ou amicale). Mais la prochaine fois que vous vous trouverez dans une situation où vous auriez envie de dire d’une collègue qu’elle est hystérique, je vous encourage à vous demander si c’est l’expression de l’émotion qui est exagérée (elle insulte et se roule par terre) ou si c’est l’émotion elle-même que vous trouvez déplacée (comme la colère). Et si on est dans le second cas, et que la colère est légitime, comment faire si on ne peut pas l’exprimer ?
Et si c’était un homme qui avait exprimé la même émotion, quelle serait votre réaction ?

Et si on parlait justement de la santé mentale des femmes ?

Dans les années 70 et 80 certaines féministes ont voulu se réapproprier le terme hystérie en l’assimilant à la manifestation physique de la résistance à l’oppression patriarcale. Est-ce que cette idée est absurde ?
Pas forcément quand on observe les chiffres de la santé mentale par genre qui montrent une claire disparité : les femmes consultent plus pour des troubles psychiques, prennent plus de psychotropes, souffrent plus de certaines maladies mentales.
Je vous recommande l’écoute de cet épisode du podcast Quoi de Meuf ? pour mieux comprendre ce qui de la nature mais surtout de la culture explique ces disparités. Quelques indices : le poids des injonctions sur le corps des femmes, la charge mentale, la manière dont le système de santé traite les femmes, les attentes autour de la maternité, etc…

Pour conclure, je dirais donc que si les fondements biologiques de l’hystérie sont clairement nuls et non avenus, il reste vrai que l’on prend mal en compte et en charge la santé mentale des femmes.
Les femmes sont sociabilisées en tant que femme à plus exprimer leurs émotions et cela se retourne contre elles dans toutes les sphères de la vie, et notamment au travail. Utiliser le terme hystérique pour parler d’une femme, d’une collègue, d’une foule, d’un rire contribue à renforcer ce stéréotype de genre mais également à stigmatiser la santé mentale, quel que soit le genre (c’est pourquoi je ne l’emploierais pas non plus pour parler d’un homme).

Sexiste, psychophobe et toxique, je n’emploie donc pas le terme hystérique.

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Le langage inclusif pour les nul·les

J’ai testé 3 mois de langage inclusif : les résultats

L’heure du premier bilan a sonné : voilà environ 3 mois que je pratique le langage inclusif au quotidien, dans le cadre professionnel et personnel. Qu’est-ce que ça a changé pour moi ? Est-ce que j’ai pu mesurer un impact ? J’arrête ou je continue ? Réponses.

Le cadre de l’expérimentation

En réalité, cela fait bien plus longtemps que je m’exprime de manière inclusive mais je retiens cette échéance de 3 mois car elle correspond au moment où j’ai ancré dans ma pratique les 3 règles simples du langage inclusif. Auparavant, j’improvisais un peu, utilisant le point final ou médian sans trop faire attention, dans des formulations que je ne recommande plus aujourd’hui (comme consommateur·ice), bref le cadre de ma pratique était assez peu rigoureux.

Je fais en sorte de m’exprimer de manière inclusive le plus souvent possible, avec mes collègues, mes ami·es, ma famille, et notamment les membres de mon foyer qui comporte 3 enfants. Je parle inclusif et j’écris inclusif, notamment au travail où je produis quantités d’emails et de présentations sous formes de slides (ou diapositives). Je commente à l’oral ces mêmes présentations dans des rendez-vous client·es en petit comité ou dans de grandes assemblées. Bref, j’ai beaucoup d’opportunités de m’exprimer, et je dois certainement être au-dessus des 15 000 mots qu’on dit en moyenne chaque jour. A minima, j’ai donc prononcé plus de 1 350 000 mots en 3 mois, une base statistique assez forte pour tirer des premières conclusions.

1. C’est facile et ça améliore mon style

Première chose : ce n’est pas du tout difficile. Evidemment, je sais que j’ai un engagement supérieur à la moyenne dans le fait d’avoir une pratique rigoureuse, mais j’ai vraiment le sentiment que j’ai très rapidement acquis les automatismes qui me font adopter de manière spontanée la double flexion (énumération « auteur et autrice », par exemple) et bannir de mon vocabulaire les formulations comme « bonjour à tous ».

Si pendant les premières semaines, je me suis rendue compte que je cherchais parfois pendant plusieurs secondes comment remplacer une formulation par une autre pour alléger une phrase que je trouvais trop lourde (à force d’énumérer des masculins et des féminins par exemple), ces temps ne dépassaient jamais 30 secondes et ont fini par naturellement se réduire au fur et à mesure que je me suis habituée non pas à rendre inclusif des textes qui ne l’étaient pas (comme une traduction), mais à écrire avec une intention d’inclusivité (comme une rédaction).
Par exemple, quand je parle de tendances de consommation, je dis souvent consommateurs et consommatrices. J’ai fini par remplacer ces énumérations longues par d’autres formulations plus simples mais aussi souvent plus impactantes, plus punchy.
Au lieu de dire « Les consommateurs et consommatrices de Produit Machin sont aussi très intéressé·es par le Produit Truc », j’utilise le verbe à l’infinitif, des formules passives ou le pronom impersonnel « on ».
« Consommer le Produit Machin va souvent de pair avec consommer le Produit Truc »
« On a plus tendance à consommer le Produit Truc si on consomme le Produit Machin »
« Le Produit Truc est plus consommé par celles et ceux qui consomment le Produit Machin »

Cette gymnastique d’expression montre aussi qu’il n’y a jamais une seule manière de rendre un texte inclusif, ce qui est aussi un très bon booster de créativité. Ça force à sortir un peu de ces formulations toutes faites, à les diversifier, et en cela je trouve que ça améliore finalement la qualité des contenus. Au lieu d’alourdir mon expression le langage inclusif l’allège en me forçant à réfléchir à mes choix lexicaux et syntaxiques.

Enfin, je réalise que j’ai finalement assez peu recours au point médian : dans cet article de plus de 1500 mots, je ne l’ai par exemple utilisé que 4 fois (en excluant la mention du nom re·wor·l·ding). C’est peu.

2. Ça exacerbe mon regard critique

Effet que je ne qualifierais pas de pervers mais parfois fatigant : impossible de ne pas remarquer quand une autre personne s’exprime de manière non inclusive. Chaque « bonjour à tous » est comme une piqûre qui me tend une petite fraction de seconde. Evidemment, je ne suis pas la police du langage, donc je m’abstiens de « corriger » ces personnes ou de systématiquement faire un commentaire, même bienveillant, sinon je passerais mon temps à le faire. C’est une bon exercice de pratique du détachement, au fond.

En revanche, me promener dans la rue ou surfer sur Internet et être exposée à de la publicité est une source maintenant infinie de repérage de langage non inclusif. J’ai commencé à capturer ces publicités et à interpeler sur les réseaux sociaux les marques et entreprises qui pourraient faire plus d’efforts. Je ne dis pas que cela va transformer radicalement la communication publicitaire, mais c’est une forme d’activisme concrète qui est à la portée de tout le monde. Je suggère des formulations inclusives (#réécritureinclusive) notamment dans cette story à la une sur le compte Instagram de re·wor·l·ding, ce qui me fait aussi un bon exercice pratique, comme un entraînement.

3. Ça crée des effets de mimétisme

Au-delà des effets que cette pratique a sur moi, l’impact le plus évident que j’ai observé est le mimétisme de mon entourage professionnel et personnel.

Comme je systématise le fait de bien marquer le féminin en plus du masculin, certaines personnes ont commencé à m’imiter. A l’écrit, j’ai vu fleurir des points médians (ou des tentatives de ponctuation inclusive) dans les emails ou les messages de mes collègues. A l’oral, j’ai remarqué qu’une personne avec qui j’échangeais au sein d’un groupe a, au fur et à mesure de la conversation, délaissé le masculin (pensé comme générique) au profit de l’énumération. En fonction des contextes et des personnes, je me permets parfois de faire remarquer qu’on parle aussi des consommatrices, des auditrices ou des lectrices, et ça a souvent l’effet de rallier la personne avec qui je parle à l’inclusif, au moins le temps de notre échange.

Mais le phénomène de mimétisme le plus flagrant s’est produit sur mon fils cadet qui a presque 5 ans (en moyenne section de maternelle). Evidemment, nous parlons beaucoup d’égalité femmes-hommes à la maison, d’autant plus que j’ai 3 garçons. Ils ont déjà entendu maintes fois parler de patriarcat, de sexisme et les histoires que nous lisons (que je ne choisis pas toujours) sont souvent le support d’exercices de déconstruction (les princesses mariées par leur père, it’s not ok). La semaine dernière, mon conjoint lisait justement l’histoire du soir qui commençait par « Chers lecteurs », et mon fils de l’interrompre et de dire « et chères lectrices » ! 3 jours plus tard, discussion TopChef où je parle des candidats, et lui de me reprendre et ajouter « et des candidates ». Evidemment je fonds d’amour dans ces moments, mais surtout je réalise à quel point parler aux enfants de manière inclusive (déjà sur un plan égalité femmes-hommes) contribue à créer ces automatismes de représentations dans leurs jeunes cerveaux. Et c’est tellement encourageant !

4. Ça passe inaperçu

Les Académiciens ont hurlé au « péril mortel » quand est arrivée dans le débat public l’écriture inclusive, comme le rappelle cet extrait de leur déclaration :

Devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

Le site de l’Académie Française

Alors évidemment, ce n’est pas à moi toute seule que je risque de tuer la langue française, mais je constate simplement que la pratique d’un langage inclusif n’a conduit à strictement aucune marque d’incompréhension, de rejet ou de résistance. Et si de tels jugements ont été pensés par mon entourage, personne n’a jugé bon de m’en faire le commentaire, de me demander des explications ou de suggérer de faire différemment.

Certes, je travaille dans un environnement très bienveillant et j’éduque beaucoup au langage inclusif autour de moi. Je ne prétends pas que mon expérience est représentative.
Mais il y a aussi une autre explication : les gens ne s’en rendent tout simplement pas compte. Parce que dans les formes que je pratique, il n’y a pas de mots nouveaux (pour le moment), que mon usage du point médian est raisonné, et qu’en réalité il n’y a rien de choquant à parler des hommes et des femmes quand on s’exprime.
Vous me direz qu’alors, si les gens ne le remarquent même pas, ça ne sert peut-être à rien. Mais aujourd’hui, la grande majorité des discours continue à se faire au masculin dit générique et cela laisse des traces sur les représentations que l’on se fait de la place des hommes et des femmes dans la société, comme le montre les arguments scientifiques de la psycholinguistique.

Le bilan de ces 3 premiers mois est donc très concluant : même s’il n’engage que moi et mon expérience, dans un contexte donné, je pense qu’il peut inciter celles et ceux qui seraient réticents à franchir le pas. Car l’impact sur soi-même comme sur les autres est concret. Pas toujours mesurable, et parfois juste anecdotique, mais bien présent.
Les clés du succès ? S’appuyer sur les 3 règles du langage inclusif pour passer de l’improvisation à une pratique stable ; faire preuve de bienveillance envers soi-même et ne pas se mettre une pression folle, on fait de son mieux ; faire preuve de bienveillance avec les autres et ne pas leur mettre une pression folle, on espère que le temps viendra pour ces personnes un jour (et on y travaille).

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Le langage inclusif pour les nul·les

Faut-il inventer de nouveaux mots plus inclusifs ?

Comme le dit fréquemment Eliane Viennot, le français n’a pas besoin d’être féminisé pour être moins sexiste (notamment sur les noms de métiers) et la langue est très bien équipée pour former à partir d’une même racine des mots masculins et féminins. Ce sont les gens qui doivent faire un usage moins sexiste de la langue. Cependant, si l’objectif d’un langage inclusif est de faire en sorte que toutes les personnes soient représentées dans le discours oral ou écrit, alors comment faire pour inclure les personnes qui se définissent comme non-binaires ?

La non-binarité est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner la catégorisation des personnes, dites non-binaires ou genderqueer, dont l’identité de genre ne s’inscrit pas dans la norme binaire, c’est-à-dire qui ne se ressentent ni homme, ni femme, mais entre les deux, un mélange des deux, ou aucun des deux.

Wikipédia

Le défi du français, une langue grammaticalement genrée

Toutes les langues ne traitent pas les genres de la même manière. Certaines sont agenres (comme le finnois, le turc, le chinois) et seuls les noms et adjectifs spécifient le genre des personnes ; d’autres sont naturellement genrées (comme l’anglais) et le genre s’exprime essentiellement par les pronoms ; d’autres enfin (comme le français, l’allemand, l’espagnol) sont grammaticalement genrées et le genre est omniprésent comme catégorie grammaticale.

Le français est donc une langue où le genre grammatical est particulièrement important. Or, si aujourd’hui les deux genres exclusivement utilisés sont le masculin et le féminin, le genre neutre qui a existé dans une version très ancienne du français a quant à lui disparu (ou quasiment).

Quel que soit le choix que l’on fait pour écrire de manière plus inclusive et les principes que l’on suit, s’en tenir aux deux genres de la langue française exclut donc nécessairement les 6% de personnes qui ne se définissent pas de façon binaire (13% chez les 18-30 ans, sources YouGov et Opinionway pour 20 minutes, 2018).

Il est intéressant de noter que même des langues où le genre est moins fort mais tout de même présent comme l’anglais ont normalisé des usages neutres pour les pronoms personnels : en anglais, they et en suédois hen (le suédois a même un genre commun, qui désigne le masculin et le féminin pour les personnes, n’est-ce pas génial). Mais pourquoi ne le ferions-nous pas en français ?

Inventer des mots nouveaux, le propre d’une langue vivante

Le saviez-vous ? Il existe en France depuis des décennies une Commission d’enrichissement de la langue française chargée de doter la langue des mots nécessaires à nommer les nouvelles réalités dans les domaines scientifiques et techniques et qui a inventé près de 8500 mots. A chaque édition, les dictionnaires s’enrichissent de nouveaux mots qui font l’objet d’articles vantant la vitalité du français, comme celui-ci dans Le Monde où Bernard Cerquiglini (auteur du très instructif Le Ministre est enceinte sur la féminisation des noms de métiers et fonctions) apporte la définition suivante :

« Qu’est-ce qu’un mot nouveau ? C’est un mot dont on pense qu’il va vivre, qui n’est pas un effet de mode, qui est dans l’usage oral et écrit »

Bernard Cerquiglini

Inventer de nouveaux mots est donc une pratique courante : qu’est-ce qui nous empêcherait d‘inventer des mots neutres qui seraient donc, eux, totalement inclusifs ?

C’est une des pistes que suggèrent les travaux de certain·es linguistes comme Alpheratz, découvert·e dans le podcast Mécréantes, et qui explique très bien pourquoi on aurait intérêt à s’outiller d’un genre neutre.

Le genre neutre en grammaire française permet de s’exprimer dans une langue non sexiste, et d’éviter de reproduire une vision androcentrique, binaire et discriminante du monde. Cette discrimination faisant partie de notre éducation dès l’enfance, nous ne la remettons pas en cause, jusqu’au jour où nous nous retrouvons en situation d’échec aux prises avec notre langue, que l’on découvre incapable de nommer et communiquer une pensée qui ne soit pas sexiste. C’est alors que nous réfléchissons sur les mots, et à de meilleurs moyens de nous dire et de dire le monde.

Alpheratz se définit comme écrivan et cherchaire, termes neutres créés à partir de la même racine (radical) que écrivain et chercheuse complétée d’un suffixe neutre en -an (comme dans vegan) ou -aire (comme dans libraire ou bibliothécaire). Alpheratz propose aussi l’utilisation du néopronom neutre al et ses dérivés (plus de détails ici).
Ce pronom nouveau est une alternative à d’autres néopronoms inclusifs comme iel ou iels apparus il a quelques années pour parler des personnes non-binaires mais qui reste une fusion du masculin et du féminin, donc une sorte de perpétuation de la binarité. On répertorie aussi ael, olu, ul, ol et leurs variantes.
Une autre piste consiste à ajouter un x, lettre représentant la non-binarité, à des mots existants comme dans touxtes (pour tous, toutes et les personnes non-binaires) ou dans certaines formes de graphies incluant le point médian comme agriculteur·rice·x.

Des formes multiples pour un objectif commun


Pour se rendre compte de la variété des possibilités offertes, il suffit de faire un tour sur enclusif.fr, le premier dictionnaire collaboratif pour écriture inclusive.
Pour chaque entrée, le dictionnaire suggère différentes possibilités, y compris une version non-binaire.

Si la construction et l’usage de nouveaux mots, notamment pour parler différemment des assignations de genre, a commencé dans les milieux militants, elle se répand progressivement et c’est l’usage qui finira (pour un temps) par ancrer certains de ces mots dans le français. Dans tous les cas, je trouve sain, enthousiasmant et nécessaire que le processus de déconstruction de la langue française comme vecteur de maintien des stéréotypes de genres (entre autres) s’accompagne d’un processus de construction. Et c’est d’ailleurs pourquoi j’aime tant le mot reworlding.

Nées dans une époque tout infusée de déconstruction philosophique et de bouleversement civilisationnel avec le passage au numérique, les jeunes générations inaugurent à présent une ère de construction

Alpheratz

Comment intégrer ces mots à sa pratique du langage inclusif ?

Maintenant, il tient à chaque individu de faire des choix de vocabulaire (les mots), de graphie (la manière dont on écrit ces mots) et de syntaxe (la manière dont on organise et accorde les mots dans une phrase) en fonction de ses objectifs et de son contexte.

Je ne peux que partager ce qui guide à ce jour ma pratique, et ce sans jugement, car je rappelle qu’un principe essentiel pour moi est de faire de son mieux, d’avoir conscience qu’on va faire des erreurs (et je pense qu’il y en a certainement dans cet article) et d’être prêt·e à les reconnaître et évoluer.

Comme un de mes principaux objectifs est d’encourager la pratique d’un langage inclusif dans le monde professionnel, je fais le choix tout d’abord des pratiques qui entraînent le moins de résistance (l’énumération binaire, les formulations épicènes, le point médian dans un usage raisonné…comme je l’explique ici). Je n’utilise que très peu les mots nouveaux cités ici que je réserve à des conversations que je peux avoir avec des personnes déjà convaincues, voire militantes.

Une autre raison est mon interrogation autour de l’accessibilité et la lisibilité des mots (que je développe dans Les textes écrits de manière inclusive sont-ils vraiment illisibles ?) et comme, dans une perspective d’éducation, je souhaite être comprise par le plus grand nombre j’attends que les usages imposent certains de ces termes et j’évite les formulations à la graphie complexifiée comme agriculteur·rice·x·s.
J’ai conscience que c’est paradoxale car je suis moi aussi vectrice d’usage, et je revendique le pouvoir des mots sans donc le mettre à profit de l’inclusion complète des personnes non-binaires. Et cette position évoluera certainement.
Mais pour l’instant, c’est là qu’en est mon parcours de déconstruction.

Si je suis donc convaincue que le français a besoin d’un vocabulaire complètement dégenré pour être totalement inclusif, je suis aussi consciente du contexte actuel et de la grande résistance qu’on connaît surtout en France autour du langage inclusif. Je choisis donc en fonction des contextes, des personnes à qui je m’adresse, et des mes objectifs (éduquer, provoquer ou expliciter mon engagement militant) les formes de langage qui me semblent les plus appropriées.