Récemment, je me suis de nouveau intéressée aux recherches des internautes sur le langage inclusif. Parmi celles qui ont les plus gros volumes de requêtes : « bonjour à tous écriture inclusive », « tous en écriture inclusive », « tous inclusif », « tous et toutes écriture inclusive ».
Dans la liste des mots réputés difficiles en écriture inclusive, « tous » est au sommet, avec « nombreux » et « ceux ».
Cela démontre bien que les internautes ne s’y trompent pas : ce mot dont la signification même est censée être englobante (« tous » signifie « l’ensemble, la totalité sans distinction », au cas où vous vous posiez la question) n’est pas si englobant que ça.
Et il y a une expression en particulier qui cristallise ce paradoxe, une phrase qu’on voit très souvent en publicité : le fameux « pour tous ».
Petite histoire « pour tous »
À votre avis, de quand date la première occurrence de l’expression « pour tous » ? J’ai posé la question à mon IA préférée, et voilà ce que j’en retiens.
En gros, on peut définir 3 phases :
- À l’Antiquité et au Moyen-Âge, l’idée de « pour tous » (même si ce n’est pas dans cette formulation) est utilisée principalement pour s’adresser à une communauté religieuse (toutes les personnes unies par une même foi).
- À partir du 18e siècle, le « tous » devient politique, avec la notion des droits pour tous, dont un des textes fondateurs est la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, qui commence par « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et parlent de « tous les citoyens ». A ce stade, rappelons que quand on parle des hommes, on parle bien des êtres humains de genre masculin puisque les femmes (tout comme les esclaves et les enfants) sont exclues du périmètre de ce texte. « Tous les citoyens » sont donc bien « Tous les hommes citoyens ». L’universalité dépasse les classes sociales mais pas le genre ou les origines ethno-raciales.
- Au 20e siècle, l’expression « pour tous » apparaît dans cette forme, pour revendiquer l’accès de « toutes les personnes » à « tous les droits » notamment sociaux, mais aussi, avec le développement de la société de consommation, des produits et des services.
À l’époque contemporaine, l’idée de « pour tous » est donc très liée à la notion d’accès du plus grand nombre à un service d’utilité publique ou à un produit de grande consommation.
Et la publicité en a fait un slogan omniprésent.
« Pour tous » : une rivière de pensée adorée par la pub
Je vous ai déjà parlé du concept de rivière de pensée, ces automatismes, notamment de langage, acquis à force de répétition, et dont on ne songe même plus à questionner la pertinence ou la précision.
Utiliser le masculin dit générique pour parler à tout le monde, c’est une rivière de pensée : elle n’est pas spécifique à la pub puisque tout le monde le fait, partant de cette idée que le masculin serait neutre. Mais la pub offre des exemples très concrets de cas dans lesquels ce masculin devient absurde, comme avec certains slogans ou publicités sur le lieu de vente (PLV).
Quand en communication on cherche à faire passer le message qu’un produit ou un service est accessible au plus grand nombre, brandir « pour tous » en étendard est donc une formulation très fréquente.
Voici deux exemples que j’ai pris en photo dans la rue et le métro parisien (et vous en trouverez beaucoup d’autres en recherchant « publicités pour tous » sur Google Images).
Ici, le « pour tous » est aussi bien utilisé pour parler de l’accès à la santé, fondamental, que de l’accès à la galette des rois, qui l’est moins.
D’ailleurs, même quand l’image représente exclusivement des femmes, comme ici cette publicité pour des cours de yoga, ils sont « pour tous ».
C’est étrange, absurde et d’autant plus frustrant qu’il y a une attention manifeste à représenter une certaine diversité de morphologies et de couleurs de peau.
Allez comprendre.
Et l’expression pour « pour tous » a une cousine, une autre rivière de pensée publicitaire qui joue sur le même tableau : « à tous ceux qui ».
Qu’est-ce qui empêchait d’écrire dans l’image de gauche où on voit une femme (et encore une fois une femme racisée, preuve de l’attention à la diversité des profils représentés) : « Pour toutes celles qui… »
Réponse : rien. Et en plus, ça n’aurait pas coûter plus cher.
Attendez, vous pensez que les hommes se sentiraient moins concernés si c’était écrit au féminin ? Tiens donc.
Le problème avec « pour tous » : ne pas exclure n’est pas inclure
Quand on dit « santé pour tous », on ne cherche clairement pas à exclure les femmes : il est évident que dans la tête de l’agence qui a pensé cette campagne et de l’entreprise qui l’a validée, ce « tous » englobe tout le monde.
Mais que se passerait-il si on faisait l’effort d’utiliser une formule inclusive, comme par exemple « Toutes et tous » ?
Et bien d’un coup, on démonterait qu’on a une attention particulière à penser l’accès des hommes et des femmes au service ou au produit dont on parle. On fait exister le genre social féminin par l’attention au genre grammatical féminin, puisqu’on sait que l’utilisation du féminin dans la langue suscite des représentations mentales féminines.
Parce que comme je le dis dans cette vidéo qui explique comment répondre à une femme qui ne se sent pas exclue par l’utilisation du masculin dit générique : il y une différence entre ne pas se sentir exclue et se sentir incluse.
De même qu’il y a une différence entre être invité·e à une fête et être invité·e à danser, cette fameuse analogie qui explique la différence entre la diversité et l’inclusion (qui, d’ailleurs peut elle-même être discutée). La première est un état de fait (la représentation ou non de profils divers), la deuxième un comportement (un engagement pro-actif pour créer les conditions où chaque personne se sente bienvenue et à sa place).
Quand on est une marque, utiliser un langage inclusif, et donc des formules d’écriture inclusive comme « pour toutes et tous », est une manière concrète de signaler qu’on a pensé la question du genre, qu’on a pensé aux femmes.
Et moi, j’aime mieux les marques qui me montrent qu’elle pensent à moi. Je ne suis d’ailleurs pas une exception puisque qu’on a démontré que les femmes se sentent plus concernées par les publicités écrites au féminin.
Utiliser une formulation inclusive permet donc d’aligner l’intention (englober toute le monde) avec l’impact (que tout le monde se sente concerné).
Je prenais l’exemple de la « galette pour tous » de Picard plus haut. Figurez-vous que j’ai noté avec joie que la campagne de cette année a fait la part belle à une formulation inclusive (avec un chouette accord de proximité de « tous » avec « rois » qui évite de répéter « tous rois et toutes reines », bien joué Picard).
Quelles alternatives à « tous » en inclusif ?
Il y a différentes façons de rendre ce « tous » plus inclusif, en suivant les 3 conventions du langage inclusif .
Il est intéressant de constater qu’en publicité, les marques et organisations utilisent une variété de méthodes.
Remplacer « tous » par « toutes et tous »
La Mairie de Paris, toujours première sur le langage inclusif, avec un joli « mariage pour tous et toutes » à l’occasion du Mois des fiertés.
Utiliser la ponctuation
Quand une marque du groupe L’Oréal, Nyx, lance tout une campagne en 4*3 dans le métro, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et parle de « maquillage accessible à tous.tes ». Très aligné avec le positionnement gender fluid de la marque, évidemment.
Créer des néologismes
Il est quand même bien pratique ce « toustes », non ?
Et pour toutes celles et ceux (hihi je me fais rire) qui trouvent l’écriture inclusive illisible, osez me regarder dans les yeux et me dire que dans ce contexte vous ne comprenez pas sa signification.
Si vous le faites, vous êtes de mauvaise foi.
Que ce soit pour prôner l’accessibilité financière d’un service ou d’un produit ou pour témoigner qu’on s’adresse à une audience infinie, penser à écrire « tous » en inclusif me paraît être la base d’une communication inclusive.
Avec une formulation consensuelles (comme toutes et tous) ou plus audacieuse, comme la ponctuation ou les néologismes, sortir de la logique du masculin dit générique « pour tous » témoigne qu’on pense la place des femmes dans sa cible marketing. Et quand on sait que les femmes se sentent plus concernées par les publicités qui s’adressent à elles au féminin, ça n’est plus une question de justice sociale mais d’efficacité publicitaire.