« L’écriture inclusive, je peux y arriver à l’écrit. Mais franchement à l’oral, c’est beaucoup plus difficile ».
Voici une phrase que j’entends systématiquement quand je donne des conférences ou des formations sur le langage inclusif. Cette remarque est non seulement tout à fait légitime mais en plus très intéressante car elle met en lumière la thématique de l’oralité inclusive : comment lire l’écriture inclusive ? Comment prononcer le point médian ? Comment prendre l’habitude de dire un inclusif « bonjour à toutes et à tous » quand on démarre une réunion ?
Quand on tire le fil de l’oralité inclusive, c’est-à-dire la pratique orale d’un langage inclusif, on comprend que c’est un enjeu beaucoup plus vaste qu’une simple question de prononciation :
- S’exprimer en inclusif à l’oral est une des difficultés perçues de la pratique du langage inclusif, qui devient aussi une croyance limitante qui freine sa mise en oeuvre.
- Pourtant, parler en inclusif permet, par effet d’entraînement du cerveau, de renforcer la pratique de l’écrit inclusif créant un cercle vertueux d’apprentissage.
- Surtout, notre communication étant avant tout orale, avoir une approche holistique du parler et de l’écrit inclusif permet d’en démultiplier l’impact, notamment par les effets de mimétisme de l’audience.
Le paradoxe de l’oralité inclusive : frein à la pratique mais levier d’apprentissage puissant
Passer (à) l’oral inclusif, une peur répandue
Cela fait longtemps que je l’ai mesuré. Quand on demande aux personnes sensibilisées au langage inclusif ce qui les empêche de pratiquer au quotidien, comme je l’ai fait auprès des 300 salarié·es de Google qui ont suivi ma formation à ce sujet, une réponse revient en permanence : la difficulté à systématiser la pratique, notamment à l’oral.
Comme s’exprimer en inclusif nécessite, il est vrai, un effort conscient, notamment pour se défaire de l’automatisme qu’est le recours au masculin dit générique, on a besoin de temps pour basculer en inclusif. Or par définition, la communication orale du quotidien est rapide et spontanée, contrairement à l’écrit qui nous laisse en général un peu plus de temps pour réfléchir, éventuellement se corriger et identifier les alternatives inclusives.
C’est pourquoi, souvent, les personnes qui veulent s’exprimer en inclusif vont prioriser l’écrit plutôt que l’oral.
C’est tout à fait compréhensible, et moi-même en tant que formatrice, j’encourage les stagiaires de mes formations à commencer par le plus facile. Je préfère des personnes qui pratiquent uniquement à l’écrit, et qui développent une habitude inclusive, même restreinte, à celles qui renoncent parce que ça serait tout ou rien.
Pourquoi se défaire de cette croyance limitante
Cependant, j’émets aussi l’hypothèse que cette idée selon laquelle « à l’oral, c’est trop difficile » peut aussi devenir une croyance limitante, comme on dit en coaching. C’est-à-dire une idée dont on se convainc à force de la répéter et qui va nous limiter dans notre capacité à agir.
En gros, plus on se dit et on entend que l’oralité inclusive est difficile, moins on va essayer de la pratiquer. Un peu comme quand on se répète « de toute façon, je suis nul·le à l’oral », et qu’on va donc refuser des opportunités de prises de parole sans même essayer, par crainte de ne pas y arriver. Un genre de fatalisme.
Or, lever une croyance limitante a un pouvoir transformationnel immense. Quand on se donne l’autorisation à soi-même de déconstruire cette croyance (« concrètement, qu’est-ce qui me fait penser que je ne suis pas doué·e à l’oral ?« , par exemple) et qu’on transforme cette idée en croyance aidante, alors on s’outille d’une ressource supplémentaire dans son apprentissage.
Cela peut paraître abstrait alors rendons cela très concret : pour déconstruire l’idée selon laquelle « parler en inclusif, c’est beaucoup plus difficile qu’écrire en inclusif », on a besoin de comprendre ce que permet la pratique d’un langage inclusif à l’oral, c’est-à-dire les bénéfices concrets de la pratique orale du français inclusif.
Parlez en inclusif, votre cerveau vous le rendra
La neuroplasticité, notre alliée dans l’apprentissage
Cette prise de conscience m’est apparue très clairement alors que je préparais une interview pour le podcast Speech Society : j’ai été interrogée par sa créatrice, Marielle Lieber-Claire, sur l’intérêt de la pratique du langage inclusif dans les prises de parole en public.
C’est un sujet qui me passionne car j’adore les interventions sur scène et je me targue d’être à l’aise dans cet exercice, avec un micro (surtout Madonna).
Pour moi, une des règles d’or d’une prise de parole réussie est la répétition : je considère qu’il faut dédier à la répétition d’une intervention au moins 3 fois le temps de la prise de parole (au moins la première fois).
Ce faisant, ce n’est pas tant qu’on apprend par coeur le contenu (ce que je ne recommande pas), mais on ancre très concrètement ce qu’on dit dans le cerveau.
Pourquoi ? En vertu d’un principe bien documenté des neurosciences : la neuroplasticité, c’est-à-dire « la capacité du cerveau à se modifier en réponse à l’apprentissage et aux nouvelles expériences, en créant, renforçant ou réorganisant les connexions neuronales » (définition de Gemini).
En gros, plus vous répétez quelque chose, plus votre cerveau va s’habituer à l’entendre et va créer des chemins de pensée qui seront faciles à emprunter par la suite.
De la même manière que répéter 10 fois un poème vous aide à l’apprendre, parler en inclusif régulièrement aide votre cerveau à se calibrer, d’une certaine façon, et va faciliter votre pratique orale du langage inclusif.
La pratique orale est beaucoup plus puissante pour créer ces chemins que la pratique écrite (du langage inclusif mais ça marche aussi avec une langue étrangère) car l’activité neuronale nécessaire à parler est multisensorielle et bien plus riche que celle nécessaire pour écrire.
Je parle souvent du concept de « rivière de pensées » pour expliquer que certains automatismes sont difficiles à déconstruire car notre cerveau a toujours tendance à privilégier les chemins connus et balisés, plutôt que les nouvelles routes (ce qui bride notre créativité).
Parler en inclusif, c’est une manière de créer un nouveau ruisseau, puis une rivière et un jour un fleuve dans lequel vos communications orales inclusives pourront voguer de plus en plus facilement.
Il y a donc un effet d’entraînement très vertueux à combiner les pratiques de l’oralité ET de l’écriture inclusive, car elles se renforcent mutuellement.
Mes recommandations pour hacker son cerveau
Concrètement, que pouvez-vous faire pour entraîner votre cerveau et vous lancer dans une pratique orale du langage inclusif ?
Voici 3 pistes simples :
- Focalisez-vous sur les salutations : remplacez « bonjour à tous » par « bonjour à toutes et à tous » par exemple et tentez de le systématiser, même si c’est la seule chose que vous faites.
- Si vous avez l’opportunité de prendre la parole devant un groupe ou si vous créez un contenu audio ou vidéo, commencez par écrire le script d’une de vos prochaines interventions (et une seule pour commencer) en inclusif, ainsi vous aurez plus de temps pour identifier les meilleurs alternatives inclusives, en vous aidant par exemple de la matrice Evoli, d’évaluation des options du langage inclusif. Puis répétez ce script à l’oral pour ancrer cette nouvelle habitude dans votre cerveau. Vous pouvez vous aider du script avec un prompteur si cela est possible.
- Autorisez-vous le droit au tâtonnement : c’est ok de ne pas réussir à tout passer en inclusif d’un coup, de tenter un « bonjour à toustes » pour voir ce qu’il se passe puis de renoncer, ou encore de finir une réunion en se disant « ben zut, j’ai pas réussi ». Ce que vous essayez de faire n’est pas facile, faites-vous confiance et accordez-vous la bienveillance que votre effort mérite.
Parler en inclusif, c’est démultiplier l’impact de son discours
L’écriture inclusive, l’impact 9% du temps
Cela va peut-être vous paraître évident, mais on passe beaucoup plus de temps à communiquer à l’oral qu’à l’écrit. Il est difficile de trouver des chiffres pour le quantifier précisément tant les pratiques individuelles sont diverses, bien sûr, mais en 1985 la chercheuse américaine Judi Brownell estimait dans son article Listening: The Toughest Management Skill, que nous passons 45 % de notre temps à écouter, 30 % à parler, 16 % à lire et 9 % à écrire.
Évidemment, depuis, la téléphonie mobile, Internet et les réseaux sociaux ont très certainement fait croître considérablement la part de l’écrit, mais la vidéo, la visio ou les notes vocales peuvent certainement maintenir l’écart.
Et puis on peut en faire l’expérience assez facilement soi-même : on parle en général bien plus qu’on écrit.
Ce qui m’intéresse ici est de démontrer que si on cantonne sa pratique du langage inclusif à l’écrit, on limite aussi son impact, peut-être à 9% de sa communication, si on reste sur le chiffre de Judi Brownell.
On sait que les femmes se sentent moins concernées par les publicités qui s’adressent à elles en utilisant le genre grammatical masculin (How masculine generics in language affect the mental representation of men and women, Dagmar Stahlberg, Sabine Sczesny et Sabine Braun, 2001) : pourquoi se priver de faire en sorte que les femmes de notre audience se sentent concernées par ce que nous disons ?
On sait que des femmes disent ne pas se sentir exclues quand on dit « bonjour à tous » : mais il y a une différence entre ne pas se sentir exclue et se sentir incluse.
L’impact d’une prise de parole publique tient pour beaucoup à la capacité de l’oratrice ou l’orateur à créer une connexion avec son auditoire (tout son auditoire) : le langage inclusif (et non pas l’écriture inclusive, précisément pour cette raison) est un levier efficace et gratuit d’engagement de l’audience.
Le langage inclusif au service de la précision du discours
Un autre facteur qui renforce, d’après moi, la qualité d’une intervention orale, est la précision du discours. C’est vrai aussi à l’écrit bien sûr, mais dans le contexte d’une master class, d’une conférence, d’une présentation, les imprécisions, les termes génériques, le manque de clarté contribuent à me faire décrocher et ne renvoient pas une image d’expertise de la personne que j’écoute.
Or, le langage inclusif est un outil au service de la précision, notamment quand il s’agit de représenter justement la réalité d’une situation.
Prenons deux exemples :
- Si je partage les résultats d’une étude et que je dis « Plus de 9 Français sur 10 considèrent que les hommes ont un rôle à jouer dans la prévention et la lutte contre le sexisme. », de qui je parle ? Des hommes en France ? De la population française dans son ensemble ? L’enseignement de l’étude n’est pas du tout le même en fonction de la réponse (cas réel issu, malheureusement, du communiqué de presse du dernier rapport sur l’état du sexisme en France du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes).
- Si je mentionne les « organisateurs » de la manifestation du 8 mars, alors que ce sont des femmes en écrasante majorité qui la portent, est-ce que je reflète la réalité ? (autre cas réel, vu dans la presse)
Bref, le langage inclusif n’est pas simplement un acte de justice sociale, c’est aussi (et surtout ?) une manière de pratiquer la langue française qui lève les ambiguïtés inhérentes au masculin dit générique.
Comment se faire comprendre sans ambiguïté et rendre son discours limpide sans lui ?
Mimétisme : le double effet Kiss Cool de l’oralité inclusive
Enfin, il y a une chose que j’ai observée à de nombreuses reprises depuis que je pratique, à l’écrit comme à l’oral, un langage inclusif : mon entourage m’imite.
Je l’ai documenté dès mes premiers mois de pratique et c’est encore plus flagrant avec mes enfants avec qui je parle en inclusif 100% du temps depuis des années : parlez en inclusif et vous verrez qu’autour de vous, les gens vont commencer à vous imiter.
Quand dans une réunion, je répète 5 fois en 1 heure (de manière un peu provocatrice, parfois) qu’on s’intéresse dans une étude aux « consommateurs et consommatrices », certaines personnes vont commencer par le dire elles-mêmes car j’aurais fait exister cette possibilité et cette vision de la cible (si ce n’est du monde) dans mon discours oral.
Quand on quitte une scène pour passer la parole en disant « bonne journée à toutes et à tous », on multiplie grandement les chances que la personne qui nous succède commence par « bonjour à toutes et à tous ».
Pratiquer le langage inclusif à l’oral en tant que locutrice ou locuteur (la personne qui parle), c’est donc aussi une manière de propager sa pratique autour de soi, pour ses auditeurs ou auditrices (qui écoutent).
C’est d’ailleurs pourquoi je pense qu’il est critique que les contenus culturels (ciné, séries, radio, podcast…) qu’on écoute soient dits en inclusif : nous exposer à cette pratique en audio l’intègre dans notre quotidien et la rend plus naturelle.
C’est le sens du témoignage de cette personne, qui a partagé avec moi son expérience de la pratique du langage inclusif :
« Certains automatismes comme « Hey guys » (« Salut les gars », ndlr) restent en tête malgré une volonté d’être inclusif. Cela est probablement causé par un manque de langage inclusif dans le contenu audio-visuel que je consomme. »
En résumé, même si la pratique du langage inclusif à l’oral peut donc légitimement paraître plus complexe à mettre en oeuvre, force est de constater que c’est un effort qui en vaut clairement la peine. Non seulement pour soi dans son apprentissage, mais aussi à travers l’impact qu’on a sur les autres.
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