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Le langage inclusif pour les nul·les

Faut-il inventer de nouveaux mots plus inclusifs ?

Comme le dit fréquemment Eliane Viennot, le français n’a pas besoin d’être féminisé pour être moins sexiste (notamment sur les noms de métiers) et la langue est très bien équipée pour former à partir d’une même racine des mots masculins et féminins. Ce sont les gens qui doivent faire un usage moins sexiste de la langue. Cependant, si l’objectif d’un langage inclusif est de faire en sorte que toutes les personnes soient représentées dans le discours oral ou écrit, alors comment faire pour inclure les personnes qui se définissent comme non-binaires ?

La non-binarité est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner la catégorisation des personnes, dites non-binaires ou genderqueer, dont l’identité de genre ne s’inscrit pas dans la norme binaire, c’est-à-dire qui ne se ressentent ni homme, ni femme, mais entre les deux, un mélange des deux, ou aucun des deux.

Wikipédia

Le défi du français, une langue grammaticalement genrée

Toutes les langues ne traitent pas les genres de la même manière. Certaines sont agenres (comme le finnois, le turc, le chinois) et seuls les noms et adjectifs spécifient le genre des personnes ; d’autres sont naturellement genrées (comme l’anglais) et le genre s’exprime essentiellement par les pronoms ; d’autres enfin (comme le français, l’allemand, l’espagnol) sont grammaticalement genrées et le genre est omniprésent comme catégorie grammaticale.

Le français est donc une langue où le genre grammatical est particulièrement important. Or, si aujourd’hui les deux genres exclusivement utilisés sont le masculin et le féminin, le genre neutre qui a existé dans une version très ancienne du français a quant à lui disparu (ou quasiment).

Quel que soit le choix que l’on fait pour écrire de manière plus inclusive et les principes que l’on suit, s’en tenir aux deux genres de la langue française exclut donc nécessairement les 6% de personnes qui ne se définissent pas de façon binaire (13% chez les 18-30 ans, sources YouGov et Opinionway pour 20 minutes, 2018).

Il est intéressant de noter que même des langues où le genre est moins fort mais tout de même présent comme l’anglais ont normalisé des usages neutres pour les pronoms personnels : en anglais, they et en suédois hen (le suédois a même un genre commun, qui désigne le masculin et le féminin pour les personnes, n’est-ce pas génial). Mais pourquoi ne le ferions-nous pas en français ?

Inventer des mots nouveaux, le propre d’une langue vivante

Le saviez-vous ? Il existe en France depuis des décennies une Commission d’enrichissement de la langue française chargée de doter la langue des mots nécessaires à nommer les nouvelles réalités dans les domaines scientifiques et techniques et qui a inventé près de 8500 mots. A chaque édition, les dictionnaires s’enrichissent de nouveaux mots qui font l’objet d’articles vantant la vitalité du français, comme celui-ci dans Le Monde où Bernard Cerquiglini (auteur du très instructif Le Ministre est enceinte sur la féminisation des noms de métiers et fonctions) apporte la définition suivante :

« Qu’est-ce qu’un mot nouveau ? C’est un mot dont on pense qu’il va vivre, qui n’est pas un effet de mode, qui est dans l’usage oral et écrit »

Bernard Cerquiglini

Inventer de nouveaux mots est donc une pratique courante : qu’est-ce qui nous empêcherait d‘inventer des mots neutres qui seraient donc, eux, totalement inclusifs ?

C’est une des pistes que suggèrent les travaux de certain·es linguistes comme Alpheratz, découvert·e dans le podcast Mécréantes, et qui explique très bien pourquoi on aurait intérêt à s’outiller d’un genre neutre.

Le genre neutre en grammaire française permet de s’exprimer dans une langue non sexiste, et d’éviter de reproduire une vision androcentrique, binaire et discriminante du monde. Cette discrimination faisant partie de notre éducation dès l’enfance, nous ne la remettons pas en cause, jusqu’au jour où nous nous retrouvons en situation d’échec aux prises avec notre langue, que l’on découvre incapable de nommer et communiquer une pensée qui ne soit pas sexiste. C’est alors que nous réfléchissons sur les mots, et à de meilleurs moyens de nous dire et de dire le monde.

Alpheratz se définit comme écrivan et cherchaire, termes neutres créés à partir de la même racine (radical) que écrivain et chercheuse complétée d’un suffixe neutre en -an (comme dans vegan) ou -aire (comme dans libraire ou bibliothécaire). Alpheratz propose aussi l’utilisation du néopronom neutre al et ses dérivés (plus de détails ici).
Ce pronom nouveau est une alternative à d’autres néopronoms inclusifs comme iel ou iels apparus il a quelques années pour parler des personnes non-binaires mais qui reste une fusion du masculin et du féminin, donc une sorte de perpétuation de la binarité. On répertorie aussi ael, olu, ul, ol et leurs variantes.
Une autre piste consiste à ajouter un x, lettre représentant la non-binarité, à des mots existants comme dans touxtes (pour tous, toutes et les personnes non-binaires) ou dans certaines formes de graphies incluant le point médian comme agriculteur·rice·x.

Des formes multiples pour un objectif commun


Pour se rendre compte de la variété des possibilités offertes, il suffit de faire un tour sur enclusif.fr, le premier dictionnaire collaboratif pour écriture inclusive.
Pour chaque entrée, le dictionnaire suggère différentes possibilités, y compris une version non-binaire.

Si la construction et l’usage de nouveaux mots, notamment pour parler différemment des assignations de genre, a commencé dans les milieux militants, elle se répand progressivement et c’est l’usage qui finira (pour un temps) par ancrer certains de ces mots dans le français. Dans tous les cas, je trouve sain, enthousiasmant et nécessaire que le processus de déconstruction de la langue française comme vecteur de maintien des stéréotypes de genres (entre autres) s’accompagne d’un processus de construction. Et c’est d’ailleurs pourquoi j’aime tant le mot reworlding.

Nées dans une époque tout infusée de déconstruction philosophique et de bouleversement civilisationnel avec le passage au numérique, les jeunes générations inaugurent à présent une ère de construction

Alpheratz

Comment intégrer ces mots à sa pratique du langage inclusif ?

Maintenant, il tient à chaque individu de faire des choix de vocabulaire (les mots), de graphie (la manière dont on écrit ces mots) et de syntaxe (la manière dont on organise et accorde les mots dans une phrase) en fonction de ses objectifs et de son contexte.

Je ne peux que partager ce qui guide à ce jour ma pratique, et ce sans jugement, car je rappelle qu’un principe essentiel pour moi est de faire de son mieux, d’avoir conscience qu’on va faire des erreurs (et je pense qu’il y en a certainement dans cet article) et d’être prêt·e à les reconnaître et évoluer.

Comme un de mes principaux objectifs est d’encourager la pratique d’un langage inclusif dans le monde professionnel, je fais le choix tout d’abord des pratiques qui entraînent le moins de résistance (l’énumération binaire, les formulations épicènes, le point médian dans un usage raisonné…comme je l’explique ici). Je n’utilise que très peu les mots nouveaux cités ici que je réserve à des conversations que je peux avoir avec des personnes déjà convaincues, voire militantes.

Une autre raison est mon interrogation autour de l’accessibilité et la lisibilité des mots (que je développe dans Les textes écrits de manière inclusive sont-ils vraiment illisibles ?) et comme, dans une perspective d’éducation, je souhaite être comprise par le plus grand nombre j’attends que les usages imposent certains de ces termes et j’évite les formulations à la graphie complexifiée comme agriculteur·rice·x·s.
J’ai conscience que c’est paradoxale car je suis moi aussi vectrice d’usage, et je revendique le pouvoir des mots sans donc le mettre à profit de l’inclusion complète des personnes non-binaires. Et cette position évoluera certainement.
Mais pour l’instant, c’est là qu’en est mon parcours de déconstruction.

Si je suis donc convaincue que le français a besoin d’un vocabulaire complètement dégenré pour être totalement inclusif, je suis aussi consciente du contexte actuel et de la grande résistance qu’on connaît surtout en France autour du langage inclusif. Je choisis donc en fonction des contextes, des personnes à qui je m’adresse, et des mes objectifs (éduquer, provoquer ou expliciter mon engagement militant) les formes de langage qui me semblent les plus appropriées.

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Les textes écrits de manière inclusive sont-ils illisibles ?

C’est un des arguments les plus souvent mis en avant pour disqualifier l’usage d’un langage inclusif : il conduirait à écrire des textes illisibles. Mais ça veut dire quoi au juste, un texte illisible ? Illisible par qui ? Et le langage inclusif l’est-il tant que ça ?

Celles et ceux qui veulent rendre l’écriture inclusive hors-la-loi.

L’écriture inclusive (qui est, encore une fois, un volet seulement du langage inclusif) a commencé à sérieusement faire débat en 2017 quand Hatier a mis sur le marché un manuel scolaire avec quelques points médians. Avant cela, on a débattu grandement de la féminisation des noms de métiers, et après cela, on a restreint l’intégralité du débat à l’utilisation de signes comme le point médian (ou point milieu) et les différentes tentatives de rendre des mots plus inclusifs en modifiant leur graphie (la façon dont ils sont écrits).

Récemment, des actions en justice ont été intentées par diverses personnalités politiques pour rendre hors-la-loi l’écriture inclusive, comme celle de Patrick Reboul mécontent du nouveau règlement intérieur de la ville de Périgueux, ou de François Jolivet, député qui a déposé une proposition de loi pour l’interdire dans les documents administratifs.
Je vous recommande cette vidéo de Linguisticae avec la juriste AngleDroit pour tout comprendre de cette proposition.

Cette semaine encore un groupe de député·es a déposé une nouvelle proposition de loi visant même à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive, allant jusqu’à instaurer des amendes de 5000 euros aux enseignant·es qui la pratiqueraient. Parmi les arguments mis en avant, la dimension excluante de l’écriture inclusive qui serait donc illisible (je vous recommande par ailleurs la lecture de la proposition qui est un excellent condensé de tous les arguments classiques contre l’écriture inclusive).

Je trouve particulièrement intéressant de s’attarder sur cette question car derrière des approximations qui témoignent de la méconnaissance encore très répandue dans le monde politique autour de la question du langage inclusif, elle met en lumière un vrai enjeu : celui de l’accessibilité de l’écriture inclusive.

Et si on retirait un instant le point médian de la discussion ?

Comme le précise Marie-Loison Leruste, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Sorbonne Paris Nord :

Le problème ne porte pas sur l’écriture inclusive, mais plutôt sur l’égalité femmes-hommes.

Marie-Loison Leruste, Article du Nouvel Observateur, 19 février 2021

L’objectif est d’avoir une meilleure représentation des femmes et des hommes dans les textes administratifs, les formulaires, les lois, et donc in fine dans la société car le langage forge nos représentations (et au passage on exclut déjà de ce débat les personnes non-binaires qui ne se reconnaissent ni dans un genre ni dans l’autre).

Pour remplir cet objectif on a différentes possibilités, et on recommande 3 principes simples :
1. utiliser la version féminine des noms de métiers quand on parle des femmes
2. Utiliser les déclinaisons féminines et masculines, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, le recours aux termes épicènes ou l’usage raisonné du point médian.
3. ne pas dire Les hommes ou l’Homme pour parler de l’Humanité, ni La Femme pour parler des femmes de manière générique.

Aujourd’hui, c’est le point 2 qui cristallise les crispations car la modification de la graphie des mots par des signes de ponctuation (point médian, final, italique, majuscule…) est considérée comme illisible.
A juste titre, on rappelle que “nul n’est censé ignorer la loi” (repris ici dans sa version non inclusive originelle) et que pour cela, la loi doit être écrite d’une manière qui soit compréhensible par tous et toutes.
Mais le langage inclusif entrave-t-il vraiment ce principe ?

Tout d’abord, il faut rappeler un élément fondamental : rien ne contraint à avoir recours au point médian pour écrire un texte de manière inclusive.
Le point médian est simplement une manière de créer une abréviation pour éviter d’écrire deux mots : “chirurgien·ne” à la place de “chirurgien et chirurgienne”. On peut donc à l’inverse choisir de développer l’énumération plutôt que de l’abréger.
Et on peut également avoir recours à des mots épicènes (non marqués en genre) : comme le personnel soignant, la clientèle, les Internautes…

Réduire le langage inclusif à l’écriture inclusive, et l’écriture inclusive au point médian, et ensuite vouloir l’interdire d’un bloc, c’est un peu comme refuser d’entrer dans un restaurant sous prétexte qu’il y a un plat qu’on n’aime pas à la carte.

Et si on arrêtait de confondre accessibilité et lisibilité

Imaginons que l’on choisisse d’utiliser le point médian dans un texte administratif : cela le rend-il moins lisible ?

La question se pose tout à fait légitimement pour les personnes dyslexiques par exemple ou celles et ceux qui ont des difficultés de lecture, comme les 7% de personnes illettrées de la population Française.
On ne parle plus seulement de lisibilité (la facilité de compréhension d’un texte) mais aussi d’accessibilité (la possibilité même donnée à chacun·e de comprendre ce texte). C’est donc un enjeu fondamental d’équité entre les usager·es d’un service public et il semblerait complètement paradoxal de promouvoir une forme d’écriture qui exclurait une partie des personnes.

La réalité c’est que pour le moment les données manquent pour mesurer l’impact de l’écriture inclusive sur la lisibilité et les associations représentant les personnes dyslexiques ne s’accordent pas encore. En août 2020, la FFDys (Fédérarion Française des dys) a émis un avis reconnaissant l’importance de pratiquer un langage inclusif et recommandant de privilégier les principes 1 et 3 évoqués ci-dessus, en décalant l’enseignement du 2e principe jusqu’à ce que les élèves ne soient plus des lecteurs et lectrices précaires. Il est aussi important de garder en tête qu’il y a une grande variété de dyslexies, et il est difficile de généraliser une règle qui s’appliquerait parfaitement à tout le monde.

Je précise aussi que des solutions techniques se développent rapidement pour offrir à toutes les personnes en difficulté de lecture des outils comme des lecteurs d’écrans (qui lisent le contenu d’une page web pour les personnes aveugles par exemple) et qui peuvent tout à fait être programmés pour comprendre les points médians. En 2018 s’est tenu un Hackaton Ecriture Inclusive et de nombreuses pistes intéressantes ont émergé pour rendre l’écriture inclusive aussi accessible que possible grâce aux outils numériques.

Enfin, si l’accessibilité des textes de loi est devenue un objectif reconnu par Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 décembre 1999, on y a ajouté un objectif d’intelligibilité : assurer la lisibilité et écrire les dispositions de loi de manière suffisamment précise et sans formules équivoques (qui ne sont pas claires). Or je trouve qu’il y a une contradiction ici : les lois et les textes administratifs sont difficiles à comprendre pour la plupart des citoyen·nes qui n’ont pas de formation juridique. Ecrire ces mêmes textes de manière inclusive (ce qui pourrait tout à fait se faire sans le point médian, vous l’aurez compris), peut éventuellement les rendre plus longs, mais pas plus difficiles à comprendre. Si l’objectif défendu est vraiment celui de l’accessibilité, le vrai travail pour rendre ces textes accessibles et intelligibles serait de simplifier leur rédaction par des phrases plus courtes et un vocabulaire moins technique. Le problème ici, ce n’est pas l’écriture inclusive.

Et si on se mettait plutôt d’accord sur des conventions communes ?

Ce que je trouve frappant dans les réactions autour de l’écriture inclusive, c’est la posture quasi systématique de ses détracteurs et détractrices à vouloir l’interdire et même maintenant la pénaliser. En dehors du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (qui a publié des recommandations en la matière), la sphère politique (et plus particulièrement La République en Marche, Les Républicains et le Rassemblement national qui ont été les partis porteurs des propositions ou actions citées plus hauts) est sans cesse dans l’opposition mais jamais dans la proposition constructive.
On pourrait très bien commencer par s’accorder sur des conventions communes (avec ou sans point médian), allouer des budgets de recherche pour mesurer l’impact du langage inclusif notamment sur l’apprentissage de la langue et en particulier pour les personnes qui ont des difficultés de lecture, proposer de mener des tests dans certaines écoles ou administrations, impliquer les citoyen·nes dans des consultations publiques.
La littérature scientifique prouve déjà l’impact positif d’un langage inclusif sur la diminution des stéréotypes de genre ; passons à l’étape suivante pour définir comment la mettre en oeuvre.

L’argument de la lisibilité est donc pour moi un des seuls arguments légitimes à l’encontre de l’écriture inclusive car en réalité c’est la question de l’accessibilité qui est posée, et l’écriture inclusive ne peut pas conduire à une pratique qui exclut. Mais cet argument mérite encore d’être étoffé par des preuves scientifiques qui manquent et je trouve dommage que ce soit l’arbre qu’on utilise pour cacher la forêt des multiples possibilités qu’il existe de pratiquer un langage inclusif de manière lisible et accessible. Et c’est ce qu’on fait quand on réduit l’intégralité du débat autour du langage inclusif à la présence de points médians dans des textes.

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Le ROI du langage inclusif

Derrière ce titre un peu piège à clics, mon objectif est de prouver qu’on a beaucoup plus d’avantages à encourager la pratique du langage inclusif en entreprise qu’à ne pas le faire. J’emploie à dessein le terme de ROI, ou retour sur investissement, car je suis convaincue que ce mouvement vers un langage plus inclusif doit être lancé par tout le personnel de l’entreprise, mais que parmi les équipes de direction qui définissent les orientations stratégiques, la rentabilité, traduite par le ROI, reste un facteur déterminant de décision.
Si demain vous voulez donc convaincre votre chef·fe que le langage inclusif ce n’est pas seulement important mais aussi rentable, voici quelques arguments.

Les coûts du langage inclusif


La sensibilisation puis la formation des équipes (à tous les niveaux de l’entreprise)
Je me suis formée en 2h auprès de l’agence Mots-Clés sur la pratique de l’écriture inclusive pour 90 euros (format standard, il existe certainement d’autres formules). Je pense que le panel des formations disponibles doit continuer à s’étendre, et les entreprises vont avoir des besoins variées, allant de la sensibilisation de toutes les équipes, à la formation plus poussée de certains services ou personnes référent·es en interne (parlons-en ensemble si vous avez envie de lancer ces formations dans vos entreprises).
Les entreprises (en tout cas celles d’une certaine taille) ont de toute façon des budgets de formation à provisionner. Si vous avez déjà suivi une formation payée par votre entreprise qui ne servait à rien, vous savez qu’il y a sans doute là de l’argent à mieux investir.


Le temps des collaborateurs et collaboratrices
Le temps c’est de l’argent comme dit l’adage, aussi, on ne peut pas simplement faire comme si cela ne prenait pas du temps. Temps de se former, donc, mais aussi potentiellement temps des personnes qui en entreprise pourraient composer des comités de relecture inclusive, comme je le propose ici, c’est-à-dire des référent·es en langage inclusif ayant pour mission de relire les documents produits pour l’interne et pour l’externe afin de s’assurer d’éviter les formulations et les illustrations sexistes mais aussi de manière plus large homophobes, racistes, validistes…

La rédaction d’une charte du langage inclusif spécifique à l’entreprise (facultatif).
Cela peut être un bon moyen de transformer plus en profondeur l’entreprise, en ralliant tout le personnel autour de pratiques communément définies dans une charte, au même titre que le règlement intérieur ou la convention collective. Cette rédaction pourrait nécessiter l’accompagnement par des expert·es.
Cependant, les principes du langage inclusif sont en réalité assez simples, et même si une charte peut accélérer son adoption, elle n’est pas indispensable, aussi je ne la compte pas comme un coût forcé.

Je ne vois honnêtement pas d’autres coûts : pas besoin de logiciel, pas besoin d’embaucher des profils particuliers, pas besoin d’envoyer ses équipes se former très loin.

Les bénéfices du langage inclusif

L’impact sur la réduction des inégalités de genre
Vous allez me dire que ça, c’est très difficile à quantifier, et c’est vrai. Mais derrière cette idée, je veux surtout adresser une critique souvent faite au langage inclusif (et une des seules à mon sens qui mérite qu’on la discute, au même titre que la lisibilité et l’accessibilité de ce langage) : ça ne servirait à rien, et surtout pas à lutter contre le sexisme.
C’est un sujet très complexe et si vous avez un peu de temps, je vous recommande vraiment la lecture de cet article de Bunkerd, Ecriture inclusive : parlons faits et science, qui reprend les arguments et contre-arguments d’un point de vue scientifique et avec minutie.

En substance, les argument scientifiques, y compris des études et expérimentations comparant les niveaux de sexisme dans les différents pays en fonction de la langue parlée (toutes les langues ne traitent pas le masculin et féminin de la même manière, certaines ont un neutre…), montrent bien que oui, le langage contribue à forger nos représentations.

La médiatisation du débat sur l’écriture inclusive a été minée de caricatures et la science en a été la grande absente (…). Pourtant, la littérature scientifique apporte des éléments pertinents : oui, un langage inclusif a un impact et peut permettre notamment de réduire le rôle des stéréotypes de genre dans les aspirations professionnelles des un·e·s et des autres ; non, le masculin n’est pas si neutre dans sa pratique.

Article sur Bunkerd


Mon exemple préféré est l’étude qui a montré que parler constamment au masculin des noms de métiers, notamment quand on présente à des étudiantes des descriptifs de ces mêmes métiers, les fait moins se projeter dans ce métier que des formulations inclusives. En gros, à force de ne parler que de concepteurs-rédacteurs, les jeunes femmes ne se voient pas devenir conceptrices-rédactrices.

Evidemment, ce n’est pas uniquement en promouvant un langage inclusif que l’on mettra fin au sexisme, car le sexisme est l’un des éléments d’un système complexe, le patriarcat, qui lui-même est composé de nombreuses couches. Mais le langage est partout, tout le temps, alors l’ignorer ne peut que conduire à ralentir la chute du système de domination masculine.

Rendre concrets les engagement de l’entreprise en faveur de la diversité et de l’inclusion
On dit : actions speak louder than words (tiens, est-ce que j’aime bien cette expression finalement ?) et en matière d’engagement RSE des entreprises, c’est encore plus vrai. Créer un environnement de travail inclusif fait de plus en plus souvent partie des engagements des entreprises qui veulent promouvoir la diversité par leur recrutement et s’assurer la rétention de leur personnel par la mise en avant de valeurs inclusives.
Quoi de plus concret, immédiatement visible, facile à mettre en oeuvre, que la promotion d’un langage inclusif dans l’entreprise ?
Proposer des formations spécifiques, s’assurer que la communication de l’entreprise soit inclusive, que les dirigeant·es s’engagent sur ce sujet et en parlent, quoi de mieux pour rejaillir positivement sur la marque employeur ?

Au final, perte ou profit ?

Evidemment, je vais avoir du mal à conclure cette argumentation avec une formule mathématique, à l’image des bilans comptables. Mais je suis à peu près sûre que c’est peu couteux à mettre en oeuvre et que ça peut potentiellement rapporter gros.
Et je peux partager ma conviction : alors qu’on écrit dans le cadre professionnel des tonnes d’emails, de présentations et documents en tous genres, de messages de chat, le monde de l’entreprise est un terrain d’opportunités (que l’on soit salarié·e, dirigeant·e, indépendant·e, chef·fe d’entreprise…). On y a finalement le pouvoir de contribuer à une représentation plus juste du monde en choisissant et diffusant les mots justes, par la pratique d’une solution simple et peu coûteuse à mettre en oeuvre, le langage inclusif.





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3 trucs pour rendre vos présentations inclusives

Cela fait de nombreuses années qu’une bonne partie de mon travail consiste à créer du contenu sous la forme de présentations. Des slides, quoi (ou diapositives en français).

Je comprends que l’idée de pratiquer un langage inclusif, notamment dans le milieu professionnel, puisse être vue comme une contrainte supplémentaire, en plus du temps passé à écrire, mettre en page ou faire valider le contenu.

Cela dit, on peut résumer en 3 trucs simples et accessibles la pratique d’un langage inclusif dans vos rendez-vous professionnels.

1. Partir du bon pied avec un salut inclusif

J’ai détaillé ici les raisons pour lesquelles je ne dis (presque) plus “bonjour à tous” lors de rendez-vous. Je vous encourage à faire de même, et à privilégier les formulations inclusives comme un simple bonjour ou bonjour à tous et à toutes.
Un automatisme très facilement adopté, je vous promets.

2. S’abstenir de parler systématiquement des consommateurs, des utilisateurs, des clients, des collaborateurs…


C’est le fondement même de la pratique d’un langage inclusif : s’assurer une juste représentation des genres dans la langue pour éviter, entre autres, de rendre invisibles les femmes.
Il est très tentant de céder à la facilité de se référer à toutes les personnes qui consomment comme des consommateurs, ou à la clientèle comme aux clients. C’est habituel et c’est plus court que l’énumération “consommateurs et consommatrices”, ce qui est dans certains cas un vrai enjeu (comme quand le nombre de caractères est limité par l’espace disponible ou par Twitter).
Mais je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu des présentations où l’on parlait des consommateurs d’un produit clairement markété pour des femmes (comme des shampooings, dont on pourrait d’ailleurs aussi discuter du positionnement “pour les femmes”), ce qui est tout aussi absurde.
Aussi, pour moi le principal point de vigilance quand on rédige des présentations est de s’assurer qu’on n’utilise pas le masculin pour parler d’un groupe mixte, et donc qu’on ne parle pas des utilisateurs d’un produit quand il y a à la fois des hommes et des femmes (ce qui est quasiment toujours le cas).

Je vous renvoie aux 3 règles très simples du langage inclusif pour en savoir plus la mise en pratique de cette recommandation mais en gros, choisissez l’énumération dès que possible (utilisateurs et utilisatrices). Le point médian peut être utilisé quand les versions masculines et féminines sont proches (avocat·e qui se lit à l’oral en avocat et avocate), mais rien n’oblige à son usage.
Une autre très bonne piste consiste à utiliser des mots alternatifs non marqués en genre : la clientèle (pour les client·es), les Internautes (pour les utilisateurs et utilisatrices d’Internet), les équipes (pour collaborateurs et collaboratrices)…

3. Utiliser des images d’illustration inclusives

Les images sont aussi très importantes : j’ai déjà bondi de ma chaise en voyant une image représentant une session de brainstorm où on ne voyait que des hommes (blancs de surcroît). Ce n’est pas à dire que ce genre de situations n’existent pas dans la vraie vie, mais les images que l’on choisit dans ces centaines de slides qu’on produit contribuent à renforcer des stéréotypes. On retrouve d’ailleurs ces stéréotypes dans les banques d’images gratuites quand on recherche par exemple une image pour illustrer un discours : ici, la recherche speech sur Unsplash renvoie quasi exclusivement des images d’hommes qui font des discours. De même, choisir systématiquement l’image d’une mère quand on parle de parents (pour vendre des couches) ou celle d’un homme en costume quand on parle de dirigeant·es (pour parler de leadership) renforcent les stéréotypes sur la place des femmes : auprès des enfants mais pas dirigeante. Choisir systématiquement des personnes blanches pour illustrer ces mêmes fonctions est tout aussi dommageable car cela invisibilise les personnes racisées (et il en va de même pour les autres formes de discriminations basées sur une différence visible, comme le validisme).

Des solutions existent : les emojis inclusifs sont disponibles de manière native dans nos outils, PowerPeople propose de construire des avatars divers, des banques d’images inclusives se multiplient, et The Gender Spectrum collection offre une galerie de 180 images pour aller au-delà du genre et représenter aussi les personnes non-binaires.

Et si demain on créait des comités de relecture inclusive en entreprise ?

J’ai récemment découvert la création d’une nouvelle fonction au sein des rédactions de média, celle de gender editor, Mediapart lançant la vague française de cette tendance déjà internationale, comme expliqué dans cet article de CheekMagazine, en nommant Lénaïg Bredoux à ce poste. Au sein d’une rédaction, ce rôle consiste à assurer une juste représentation et un juste traitement des questions liées au genre, par exemple que les titres des articles parlant des violences sexistes et sexuelles ne minimisent pas ces actes avec des formulations de type : “une femme se fait violer par un amant éconduit” qui contribue à la culture du viol (une femme ne se fait jamais violer, elle est violée et parler d’amant éconduit instille l’idée que l’auteur du viol avait une raison de violer, comme si être éconduit était une circonstance atténuante).
Ce prisme pour le moment essentiellement femmes/hommes et cet ancrage journalistique pourrait très bien s’élargir et on pourrait imaginer, notamment en entreprise, avoir des référent·es formé·es aux questions de langage inclusif et qui, à l’image des secrétaires (femme ou homme) de rédaction apporteraient une relecture inclusive des contenus produits dans le monde professionnel.
S’il paraît difficile de mettre cela en place dans tous les services d’une entreprise (ou quand on travaille seul·e), deux pistes sont selon moi à privilégier :

– systématiser la relecture par une personne tierce au moins des présentations & textes les plus importants, en demandant à cette personne de rechercher activement les mots ou expressions sexistes, mais aussi racistes, validistes, homophobes… C’est difficile sans formation et pas forcément exhaustif mais c’est un début.

– systématiser dans les services producteurs de contenus externes (notamment les équipes marketing et communication au sens large) la formation d’au moins une personne référente chargée de cette relecture.
Je sais que cela existe déjà dans certaines entreprises (même si on trouve encore peu d’informations sur ce sujet).

Ces comités de relecture inclusive seraient un vrai signal aussi en interne de la prise au sérieux de la question du langage inclusif, et plus généralement de la juste représentation des personnes dans leur diversité.

En attendant l’arrivée de ces comités, les 3 conseils simples partagés ici devraient vous permettre de repérer une grande partie des expressions non inclusives de vos présentations. Et on se rappelle que l’objectif est de lancer un mouvement vers le langage inclusif en sachant bien qu’on va se tromper et forcément oublier des choses. Progress, not perfection.






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Les 3 règles très simples du langage inclusif

Depuis trois ans environ, j’agis au sein de mon entreprise en faveur de la diversité et de l’inclusion. Mais ce n’est que dans les derniers mois que je me suis particulièrement intéressée à la question de l’écriture inclusive, puis du langage inclusif. La bonne nouvelle, c’est que si vous êtes arrivé·e jusqu’ici, vous n’allez plus tâtonner longtemps, car la pratique est en réalité très simple.

Des conventions qui s’établissent

Ce qu’il est fondamental d’avoir à l’esprit quand on parle d’écriture inclusive, c’est que nous sommes à un moment où les conventions se stabilisent mais qu’il n’existe pas encore une règle communément admise par tous et toutes pour son usage. L’Académie Française a préféré être en opposition totale à l’écriture inclusive pendant des années plutôt que de proposer une convention qui normaliserait un usage partagé.
Si bien qu’aujourd’hui, les pratiques varient beaucoup : recours au point final (avocat.e), médian (avocat·e), parenthèses (avocat(e) ), majuscule (avocatE), même italique (avocate)… et les débats autour de l’écriture inclusive (dont certains très légitimes comme sa lisibilité par les personnes dyslexiques par exemple) sont souvent frustrants, car personne ne parle pas de la même chose.

Pour me former à la question, j’ai suivi un atelier animé par l’agence Mots-Clés, très active dans le domaine, et qui participe, avec Eliane Viennot (historienne et critique littéraire, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, une référence en la matière) et le Haut Conseil pour l’égalité femmes-hommes (qui a rédigé en 2016 ce rapport Pour une communication publique sans stéréotype de sexe), à une tentative de convergence. Les principes que je pratique et encourage ici sont les principes portés par ces personnes et institutions.

Les 3 principes clés

Utiliser les déclinaisons féminines des noms de métiers et fonctions quand on parle de femmes
On dit bien la ministre, la présidente, une directrice, une autrice et non pas Madame Le Directeur.

Utiliser les déclinaisons féminines et masculines, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, le recours aux termes épicènes ou l’usage raisonné du point médian.
L’énumération : comme Charles De Gaulle qui a inauguré le “Françaises, Français” ou Emmanuel Macron qui a systématisé l’emploi de “Celles et ceux” dans ses discours (au grand regret de certains, et peut-être certaines).
Les termes épicènes ne sont pas marqués en tant que masculin ou féminin, comme artiste, membre ou peintre*. On accorde alors seulement l’article (la peintre, une artiste).
Le point médian est favorisé aux autres formes de ponctuation comme le point final ou la parenthèse car il n’a aucune connotation (on ne met pas les femmes entre parenthèses) et reste neutre. On réserve son usage aux mots dont la forme masculine et féminine sont proches comme étudiant·e ou chirurgien·ne, mais on l’évite quand elles sont trop éloignées comme créateurs et créatrices qu’on préfère à créateur·ices (pour des raisons de lisibilité sur lesquelles on reviendra).

Ne pas dire Les hommes ou l’Homme pour parler de l’Humanité, ni La Femme pour parler des femmes de manière générique.

Quelques conseils pratiques

Insérer le point médian
Sur un Mac : SHIFT + ALT + F 
Sur PC : Alt + 0 1 8 3 : le point médian apparaît en relâchant Alt.
Il existe aussi des extensions pour navigateur qui convertissent automatiquement le point final en médian comme e·i·f (écriture·inclusive·facile).

Eviter les formulations qui rendent la lecture plus difficile comme agriculteur·ices ou iels (pour ils et elles) au profit de l’énumération ou des épicènes (nous reviendrons sur l’invention de ces nouveaux mots inclusifs par essence).

Garder en tête que les formulations écrites s’oralisent facilement :  à l’oral, on lit M. en “Monsieur” et Mme en Madame, on peut donc bien lire l’avocat·e en “l’avocat ou l’avocate”

Préférer les formulations qui permettent une distinction claire du féminin et du masculin (notamment à l’oral) : autrice plutôt qu’auteure, mairesse plutôt que maire.

Ecriture inclusive ou langage inclusif ?

Les débats qui agitent la France (et plus la France que les autres pays d’ailleurs) se cristallisent autour de l’écriture inclusive. Nous reviendrons sur les arguments qui animent ce débat, mais sur re·wor·l·ding je privilégie l’expression langage inclusif.

L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes

Agence Mots-clés


Parler d’écriture inclusive c’est se limiter aux signes qu’on tape sur son clavier, son téléphone, ou qu’on écrit au stylo plume (typiquement le point médian).
Pour moi, parler de langage inclusif (dont l’écriture est un volet, comme l’écrit Eliane Viennot), c’est élargir le champ à tous les mots ou expressions qui en soi portent une dimension sexiste (ou d’une autre forme de discrimination), comme leadership féminin, putaclic ou affaires de bonnes femmes.

Le quatrième principe

Ce n’est pas en un article qu’on peut faire le tour de la question, et il y aura encore beaucoup à dire notamment sur les arguments qui s’affrontent autour du langage inclusif, sur les pratiques plus créatives des militant·es de l’inclusif et sur l’invention de nouveaux mots qu’on pourrait aussi avoir envie d’insuffler au français qui, après tout, est une langue vivante.
Mon objectif ici est de partager du contenu qui soit accessible et pratique. Les 3 règles partagées ici sont simples à retenir et doivent être largement diffusées.

Le quatrième principe du langage inclusif, c’est faire de son mieux, garder en tête qu’il n’y a pas une seule façon de rendre un texte inclusif, qu’on va certainement se tromper (et moi la première). Etre bienveillant·e avec soi-même, écouter les commentaires, reconnaître ses erreurs et progresser, c’est déjà contribuer.

* Les mots peintresse, philosophesse, libraresse (femme libraire) ont également existé et étaient d’usage courant il y a plusieurs siècles. Ils pourraient fort bien être utilisés mais par simplicité et pour éviter les fortes résistances, je les considère ici comme épicènes.