Demain aura lieu le premier tour des élections présidentielles. Cette semaine, j’ai donc reçu la propagande électorale, c’est-à-dire l’ensemble des tracts des candidat•es à l’élection qui présentent leurs professions de foi et les principales propositions de leurs programmes.
J’ai analysé ces tracts par le prisme du langage inclusif pour mesurer comment les candidates et les candidats se sont emparés (ou pas) de cet outil pour représenter à la fois les électeurs et les électrices dans la formulation de leurs propositions.
La méthodologie
J’ai attribué à chaque tract un score sur 6 points : – 1 point pour le langage employé dans le slogan, qui est vraiment la vitrine du tract – 3 points pour le texte de l’adresse et de la profession de foi : comment le ou la candidat·e s’adressent à l’électorat (« Françaises, Français » en inclusif ou « Chers compatriotes » au masculin générique par exemple) et les mots employés dans la « lettre » qui introduit en général les propositions – 3 points pour le texte des propositions elles-mêmes
J’ai pénalisé les occurrences du masculin générique, particulièrement dans les noms de métiers très présents dans les propositions, ou l’utilisation du mot Homme dans un sens englobant ; et j’ai valorisé les formulations inclusives, notamment l’énumération (« celles et ceux », « toutes et tous ») et la préférence du mot humain.
Je me suis ici uniquement attachée aux mots employés, et pas au contenu des propositions elles-mêmes : je ne cherche pas à mesurer l’importance des sujets de diversité, d’équité et d’inclusion dans les programmes mais seulement à mesurer l’utilisation d’un langage inclusif.
Le classement
Le trio de tête : Poutou en tête (qui utilise énormément les points médians), puis Roussel et Jadot. Les 3 font des efforts visibles d’inclusion par le langage.
Le groupe des ratages : Mélenchon, Lassalle, Hidalgo, Arthaud. Un « Madame, Monsieur » par ici, un « celles et ceux » par là mais en gros du masculin générique partout. Surprise pour Hidalgo, mairesse de Paris, ville dont la communication est en général très inclusive avec l’utilisation quasi systématique de points médians. Et étonnement devant le tract de Lassalle qui conjugue 4 points médians, signe en général d’une conviction forte pour le langage inclusif, et l’utilisation quasi exclusive du masculin générique et de l’expression « Droits de l’Homme » à laquelle on préfère en inclusif « droits humains ».
Le groupe des je m’en foutistes : Pécresse, Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan. Ici, uniquement du masculin générique ou presque.
Et le dernier du classement : Macron. Ce qui le distingue du précédent groupe et pénalise son score est son slogan « Nous tous ». Avec Nathalie Arthaud et « le camp des travailleurs », c’est le seul à avoir un slogan au langage non inclusif.
Pourquoi c’est important ?
Je me suis lancée dans cet exercice parce que le langage formate nos représentations du monde. 40 ans d’études de psycholinguistique le montrent : quand on parle d’un métier au masculin, les femmes se sentent moins concernées. Quand des candidat•es formulent toutes leurs propositions au masculin ou ne s’adressent qu’aux électeurs en écrivant « Chers compatriotes », les femmes ne sont ni représentées ni mêmes adressées. Rendre visibles les femmes par le langage, c’est aussi les faire exister dans l’espace public, médiatique et politique.
Il n’y a pas de grosses surprises dans ce classement où l’on observe en gros que plus on se déplace vers la droite moins le langage inclusif est utilisé : à l’exception de Nathalie Arthaud, Anne Hidalgo et Emmanuel Macron, le placement sur le spectre politique est quasi respecté. Cependant, dans quasiment tous les programmes, il est fait mention de propositions pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes : cela montre qu’il y a encore beaucoup de travail d’éducation à faire pour que la classe politique dans son ensemble se range du côté des arguments scientifiques qui démontrent que le langage inclusif est un outil efficace en faveur de l’égalité (et évidemment pas le seul à mettre en oeuvre). Et il a un bénéfice qui devrait plaire à tous les candidats et les candidates : il est gratuit.
On m’avait recommandé il y a déjà plusieurs mois de lire Invisible Women(Femmes invisibles) de Caroline Criado Perez, un livre qui démontre « comment l’absence de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes ». Aussi, quand je suis tombée dessus dans sa traduction française dans ma librairie de quartier, je l’ai acheté avec plaisir et enthousiasme.
J’ai une connaissance de l’anglais qui me permet de le lire sans difficulté (sauf pour les textes les plus scientifiques) et j’ai tendance à privilégier les ouvrages dans leur langue originale, mais parfois par flemme ou par opportunité, comme ici, je les lis en français. Et dans ce cas précis, ça a gâché tout mon plaisir. Et je dirais même que ça m’a mise en colère.
Un livre important et riche sur l’invisibilisation des femmes dans les données
Que les choses soient très claires : le contenu de Femmes invisibles est non seulement intéressant mais très riche et essentiel. Je recommande vivement sa lecture car l’autrice y démontre avec un nombre impressionnant de preuves ancrées dans la donnée à quel point nous vivons dans un monde pensé par et pour les hommes : des horaires de déneigement en Suède qui pénalisent plus les femmes que les hommes qui se trouvent sur les trottoirs avec leur poussette à la mauvaise heure, aux essais cliniques où l’on ne prend pas la peine d’inclure des femmes pour tester l’efficacité des médicaments menant à une bien moindre prise en charge de nos maladies, les exemples pleuvent. C’est étourdissant et accablant mais nécessaire. Le point principal de l’autrice n’est pas tellement de blâmer la malveillance ou les mauvaises intentions des services de déneigement ou des compagnies pharmaceutiques mais de démontrer que les données utilisées pour prendre des décisions concernant la production de biens, l’organisation de services ou des choix de planification politique (pour le logement par exemple) devraient toujours être collectées et analysées avecun prisme genré, c’est-à-dire en étant capable de distinguer les données pour les femmes et les hommes. Saviez-vous par exemple que les femmes ont 47% de risques en plus que les hommes d’être gravement blessées ou de mourir dans un accident de voiture car les crash-test réalisés pour mesurer l’efficacité des systèmes de sécurité dans l’automobile sont quasiment tous réalisés avec des mannequins (crash test dummies) à la corpulence d’un « homme moyen » ?
Quand le langage inclusif est vanté mais pas utilisé
Le fond du livre est donc essentiel mais sa forme laisse très clairement à désirer dans sa traduction française (je ne peux évidemment pas me prononcer pour les nombreuses traductions dans d’autres langues). Pourquoi ? Dès l’introduction du livre, intitulée Le masculin par défaut, l’autrice évoque sur plusieurs pages la question du langage et affirme l’impact des mots sur les stéréotypes de genre. Elle explique le concept du masculin générique (utiliser le masculin pour parler de groupes mixtes) et ses effets néfastes dans les langues grammaticalement genrées (comme le français) mais pas que.
Toutes ces querelles au sujet de simples mots ont-elles réellement le moindre effet sur le monde réel ? On peut soutenir que oui. En 2012, une analyse du Forum économique mondial a montré que les pays où l’on parle des langues flexionnelles (comme le français, l’italien ou l’allemand, ndlr), qui ont des idées bien arrêtées quant au masculin et au féminin présents dans pratiquement chaque énoncé, sont les plus inéquitables sur le plan du genre. Mais voici une bizarrerie intéressante : les pays dans lesquels on parle des langues sans genre (comme le hongrois et le finlandais) ne sont pas les plus équitables. En fait, cet honneur revient à un troisième groupe de pays, ceux où l’on parle des « langues avec genre naturel », comme l’anglais. Ces langues permettent de marquer le genre (female teacher, male nurse), mais, la plupart du temps, le genre n’est pas inscrit dans les mots eux-mêmes. Les auteurs (sic) de cette étude suggèrent que s’il n’y aucune possibilité de marquer le genre, on ne peut pas « corriger » les préjugés cachés dans une langue en accentuant la « présence des femmes dans le monde ». En bref, puisque l’homme va de soi, cela fait une grande différence quand, littéralement, on ne peut pas du tout exprimer le féminin.
L’autrice a écrit cet ouvrage en anglais, donc dans une des ces langues « avec genre naturel » mais avec la conscience et la volonté de visibiliser les femmes dans le choix de ses mots. Elle donne des arguments en faveur du langage inclusif dont elle défend très clairement les principes. Il n’y a pas de doute possible. Pourtant, la traduction française de cet ouvrage n’est pas faite de manière inclusive. Et c’est très problématique.
La lecture de Femmes invisibles a donc été un aller-retour plutôt douloureux entre l’énervement suscité par le fond du livre qui a de quoi scandaliser et l’énervement provoqué par sa mauvaise traduction.
– une utilisation quasi systématique du masculin générique : on ne parle que d’auteurs, de chercheurs, d’inventeurs, de développeurs, d’électeurs pour désigner des groupes pourtant mixtes – des noms de métier dont le féminin est maltraité et incohérent au fil du livre : des « législateurs de sexe féminin » au lieu des « législatrices », « les entrepreneurs de sexe féminin » au lieu des entrepreneuses (ou à la rigueur des « entrepreneures », allez), en gros des traductions littérales de « female entrepreneur » qui ne font pas confiance au féminin du mot en français pour traduire le fait qu’on parle de femmes ou n’assument pas le pléonasme pour accentuer le propos qu’on aurait pu imaginer avec « des femmes entrepreneuses » par exemple. – le mot Homme utilisé de manière englobante : un des derniers chapitres s’intitule « les droits des femmes sont des droits de l’Homme » avec une majuscule dont on sait qu’elle ne change rien au problème d’utiliser « homme » pour parler de l’humanité. Allez, on dira que c’est peut-être dans ce cas une référence ironique.
On en arrive d’ailleurs à des aberrations qui dépassent la traduction inclusive pour basculer dans le non-sens : comme des « participants de sexe féminins » au lieu de « participantes » ou des phrases où on parle explicitement d’une population féminine exclusivement et qui sont tout de même au masculin, comme cette perle :
Les Etats-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé des pays développés, mais ce problème est particulièrement aigu pour les Afro-Américains. L’OMS estime que, chez les Afro-Américains, le taux de mortalité des femmes enceintes et des mères qui viennent d’accoucher correspond à celui des femmes de pays à revenu bien plus faible, comme le Mexique ou l’Ouzbékistan.
Je ne pense pas qu’ici « le masculin l’emporte sur le féminin » car le traducteur (et sa correctrice) aurait voulu inclure les hommes trans afro-américains qui auraient donné naissance. Non, c’est simplement un bon vieux masculin générique complètement absurde dans contexte.
L’ouvrage est paru aux Éditions First contre qui je n’ai absolument rien et qui publient par ailleurs des ouvrages positionnés comme féministes. Je suis en revanche très déçue qu’à aucun moment, de la traduction à la correction, personne n’ait réalisé l’incohérence entre le texte original et sa version traduite, problématique du point de vue de la langue et du sens mais surtout en contradiction pure et simple avec les convictions de l’autrice. Ou alors cela a été vu et ignoré, et là c’est un problème autrement plus grave.
Traduire en féministe/s, c’est possible
Heureusement, cette lecture douloureuse a été compensée par une découverte enthousiasmante, Sur les bouts de la langue de Noémie Grunenwald aux éditions de La Contre allée. Dans cet ouvrage, l’autrice, traductrice et militante, partage sa perpective sur ce qu’est une traduction en féministe/s.
Traduire en féministe/s, c’est se décentrer soi-même pour construire la solidarité. Traduire en féministe/s, c’est tortiller la langue, l’étirer et l’affiner pour en faire le meilleur usage possible : lui permettre de dire vraiment ce qu’on veut exprimer en évitant les filtres limités et dégradants de l’androlecte1.
Première traductrice (de l’anglais au français) de nombreux textes féministes qu’elle a souhaité diffuser auprès de publics francophones, elle partage notamment quelques exemples de cas complexes de traduction, soit pour des néologismes, c’est-à-dire des mots nouveaux ou qui n’ont pas de traduction évidente (comme whiteness chez bell hooks aujourd’hui largement traduit en blanchité), soit pour des nuances qui ne sont pas toujours aisées à transcrire (comme la distinction entre womanhood, femininity et femaleness), soit parce qu’il n’est pas toujours évident d’être certain·e de l’intention d’un auteur ou d’une autrice derrière un masculin anglais censément neutre.
Je pense à Vanina Mozziconacci et sa traduction d’un article de Berenice Fisher. Dans le texte, l’autrice employait le terme « thinkers » et la traductrice disait ne pas avoir voulu traduire dans un masculin dit « générique » par « penseurs ». Après discussion avec les éditrices du texte, la traductrice a contacté l’autrice qui a reconnu ne pas s’être posé la question du genre de « thinkers » lors de l’écriture. La question de la traductrice a mené l’autrice à faire un choix a posteriori sur son texte, et Mozziconacci a finalement traduit par « penseur•e•s ». La traduction participe à la construction du sens formulé jusque dans le texte source, et la lecture féministe de la traductrice apporte une importante valeur ajoutée au texte.
Si Noémie Grunenwald préfère parler d’écriture dégenrée, démasculinisée ou féminisée plutôt que d’écriture inclusive, elle n’en utilise pas moins toute la palette des outils existants, de l’énumération (les lectrices et lecteurs), à l’accord de proximité en passant par le point médian, les néologismes, et j’en passe.
Ce qui est particulièrement intéressant dans sa démarche est la notion d’expérimentation. Là où à titre personnel je suis convaincue qu’une des clés pour diffuser plus largement le langage inclusif et ancrer sa pratique chez les individus et dans les organisations (comme les entreprises) est d’unifier certaines de ses pratiques, Noémie Grunenwald alterne volontiers entre plusieurs techniques.
La vérité, c’est que je m’amuse. Je tente des choses, au risque souvent de me planter et de faire des choix plus ou moins cohérents ou contradictoires. Je trouve l’expérimentation plus intéressante que la normalisation, et j’ai peur qu’une mise en règle précipitée nuise à l’incroyable créativité des mouvements de libération en général – féministes et lesbiens en particulier.
Lire Sur les bouts de la langue a aussi beaucoup résonner par rapport à une autre expression que j’affectionne : le langage précis qui pour moi est le corollaire du langage inclusif et que je défends à parts égales dans mon manifeste. Le langage inclusif a pour objectif de faire en sorte que chaque individu soit représenté et visible dans la langue, indépendamment de son genre. La langage précis, c’est s’assurer que les mots que l’on emploie disent vraiment ce que l’on veut dire, c’est-à-dire signifient ce qu’on a l’intention qu’ils signifient. Évidemment, chaque mot employé est interprêté par la personne qui nous lit ou nous écoute et nous n’avons que très peu de contrôle sur cette interprétation ; en revanche, on a la possibilité, et je dirais même la responsabilité, en tant que locuteur ou locutrice (en tant que personne qui parle ou qui écrit) de choisir des mots dont on est soi-même sûr·e de bien comprendre la signification ou la charge symbolique. Quand je dis que je n’emploie pas le mot hystérique ou très peu les mots féminin ou normal, c’est parce que je ne veux pas offrir aux personnes qui m’écoutent ou me lisent la possibilité d’y voir un sens que je ne veux pas y mettre. C’est cela pour moi le processus de déconstruction appliqué au langage. Et c’est, je pense, ce dont parle Noémie Grunenwald quand elle traduit de manière à ce que le texte « dise vraiment ce qu’on veut exprimer ».
Je ne crois pas que dans sa traduction française Femmes invisibles dise vraiment ce que l’autrice veut exprimer. Et c’est très dommage car la traduction, surtout de textes engagés comme celui de Caroline Criado Perez, est une responsabilité. Alors vivement une nouvelle traduction plus respectueuse de l’œuvre originale (et aussi où les nombreuses études citées sont correctement référencées au fil du texte pour qu’on puisse les retrouver facilement dans la longue bibliographie). Et à vous qui lisez en anglais, pour votre plaisir ou votre travail, et qui peut-être traduisez dans vos entreprises des textes, mêmes commerciaux, gardez en tête l’exemple cité plus haut des « thinkers » et demandez-vous, la prochaine fois que vous serez confronté·e à un consumer, user ou autre painter, quelle stratégie vous aurez envie d’utiliser : le masculin générique qui invisibilise les femmes (les consommateurs), un mot englobant qui neutralise les genres (les gens qui consomment) ou l’énumération qui rend visibles les femmes (les consommatrices et les consommateurs, dans l’ordre de mention que vous préférez) ? Bien penser à cette traduction, c’est votre pouvoir autant que votre responsabilité, comme dirait Spiderman.
1 L’androlecte ou le langage de l’homme, que Michèle Causse définit comme l’expression d’une conscience-expérience sexuée au masculin, imposée aux deux sexes et fondée sur l’assimilation/exclusion d’un sujet sexué au féminin.
Cet été, j’avais emporté dans ma valise quelques kilos de livres féministes, les 5 derniers numéros de Society que je n’avais toujours pas lus et mon Kindle (on ne sait jamais). J’ai du lire 20 pages de fin juillet à début septembre. La faute à une série que j’ai bingewatchée tout l’été et qui, si elle m’a détourné de mes lectures, m’a fait un bien fou. Car elle m’a prouvé quel’humour inclusif, ça existe. Et maintenant je voudrais que tout le monde la regarde.
Brooklyn Nine-Nine (ou B99 pour les intimes) est une série comique américaine créée en 2013 par Dan Goor et Michael Schur qui compte 8 saisons (les 7 premières sont disponibles sur Netflix, la dernière vient d’être diffusée aux US, disponible sur Canal+). C’est une workplace comedy (comédie centrée sur un lieu de travail), où l’on suit les aventures de détectives de la police de New-York (NYPD), et plus particulièrement le 99eprecinct à Brooklyn.
Une sitcom américaine qui se passe dans un commissariat ? On aurait pu courir à la catastrophe. Pourtant Brooklyn Nine-Nine est une oeuvre de génie, surtout quand on la regarde par le prisme de la diversitéet de l’inclusivité. Et c’est en plus un monument d’humour, primé dès sa première saison par un Golden Globe dans la catégorie meilleure série comique.
L’humour inclusif, marque de fabrique de Brooklyn Nine-Nine
La bande-annonce de la première saison plante les personnages principaux et montre la première force de B99, son casting à la diversité peu commune à la télévision, et qui a d’emblée positionné la série comme légitime dans le spectre des séries engagées. Je vous recommande l’article “Brooklyn Nine-Nine”: Sitcom Diversity Done Right qui montre bien comment la série aborde la question des identités de manière fine, sans tomber dans les stéréotypes, notamment avec Raymond Holt, capitaine noir ouvertement gay, Rosa Diaz et Amy Santiago, des détectives latinas qui sont tout sauf des personnages secondaires, ou Terry Jeffords, un lieutenant noir aussi musclé que compétent.
Les blagues faites à ces personnages ne s’appuient pas sur des caractéristiques qu’ils ou elles ne peuvent pas changer (comme leur origine ethnique ou leur orientation sexuelle), mais sur des traits de personnalités qui les définissent. Une série télé qui aurait voulu faire passer au chausse-pied la diversité de son casting sans avoir des personnages authentiques aurait fait de l’orientation sexuelle ou de l’origine la punchline de toutes les blagues (…). Dans B99, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle sont juste une des facettes des personnages. L’humour vient essentiellement des traits distinctifs de leurs personnalités*.
Dans Brooklyn Nine-Nine, vous ne trouverez donc (quasiment) pas de blagues racistes, sexistes, homophobes, transphobes ou bien elles viendront de personnages détestés (comme le Vautour) et seront systématiquement traitées avec mépris.
Jake Peralta, un allié (presque) exemplaire
Le personnage de Jake Peralta, incarné par Andy Samberg, est une figure d’allié comme on en voit peu souvent comme je n’en ai jamais vu dans une série ou un film. C’est un homme blanc hétérosexuel dans une position de pouvoir (il est détective de police) qui aurait bien pu être le lourd de service inconscient de ses privilèges. Mais il n’en est rien. Jake s’éduque en regardant des documentaires sur le féminisme quand il n’arrive pas à dormir ; (s’)interroge pour savoir si son tee-shirt ne serait pas raciste ; refuse d’utiliser des expressions sexistes comme « boys will be boys » (les garçons seront toujours des garçons) ou « man up » (sois un homme) ; ne se tait pas quand il entend un·e collègue faire une blague inappropriée ; laisse s’exprimer des femmes qui échanges sur les violences sexuelles en réalisant qu’il ferait mieux d’écouter plutôt que de participer. Jake est un allié presque exemplaire dans le sens où il reste, comme chacun·e d’entre nous, en (dé)construction : on le voit poursuivre son éducation au cours des 8 saisons ou vivre des moments de réalisation notamment autour de son privilège d’homme dans les épisodes qui traitent du harcèlement. Mais sa posture d’apprentissage, son travail actif de conscientisation, et son engagement dans l’action sont, eux, exemplaires.
La virilité laisse la place aux émotions exprimées
Un commissariat de police aurait pu être le théâtre de confrontations « viriles » surfant sur le stéréotype de l’homme, et encore plus du policier, montrant des qualités de courage, de force, d’énergie, de combativité, de puissance, et j’en passe. Là non plus, il n’en est rien. Par exemple, Charles Boyle, le meilleur ami de Jake, exprime au quotidien ses émotions (notamment en disant sans retenue « I love you » à son entourage) ; et non seulement il les exprime, mais en plus elles sont accueillies sans moquerie, notamment par Jake, qui salue plus d’une fois la capacité de Charles à « be in touch with (his) feelings » (être connecté à ses émotions). Tout le monde reconnaît que c’est un atout pour Charles, pas un défaut à corriger pour correspondre aux canons de la virilité.
L’amitié entre Charles et Jake est donc dépourvue des qualités prétendument viriles souvent dépeintes dans les amitiés hétérosexuelles, et ça sonne tout à fait juste. Lorsque Jake sera en couple (no spoiler, je ne vous dit pas avec qui) il exprimera aussi ses émotions auprès de ses partenaires sans que cela ne devienne par ailleurs « le noeud du problème ». C’est spontané pour Jake, c’est valorisé et valorisant, et surtout efficace car cela lui permettra de vivre dans une relation stable, mature et engagée. Le capitaine Raymond Holt, qui est très fier d’être le premier capitaine de police noir ouvertement gay de la NYPD, est très intéressant du point de vue de l’expression des émotions car il ne tombe dans aucun cliché : ni dans le personnage gay « drama queen » (expression que je déteste par ailleurs) ni dans le personnage à l’homosexualité réprimée. S’il a des difficultés à exprimer des émotions avec son visage, il le fait très bien avec des mots, et c’est un des ressorts comiques les plus puissants de la série.
La vraie vie, les vrais problèmes
Si Brooklyn Nine-Nine est une série comique, elle aborde néanmoins des vrais enjeux de société : le racisme dans la police et en dehors, l’homophobie (à travers un personnage qui fera son coming out bisexuel), les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement, l'(in)égalité dans le couple hétérosexuel, la difficulté à concilier vie de famille et vie professionnelle. Et elle montre aussi des relations saines et équilibrées : la tension dramatique ne vient pas toujours de là où on l’attend, on n’y montre jamais de relations toxiques entre les personnages principaux qui s’entraident plutôt et se tirent vers le haut, les couples ne sont pas systématiquement dysfonctionnels. Ce juste équilibre entre feel good et real life en fait une série vraiment réjouissante à regarder, surtout pour les personnes engagées qui seront comme moi positivement étonnées par la justesse de ton de chaque épisode.
La série Brooklyn Nine-Nine est-elle parfaite ? Non, bien sûr. Par exemple, on peut regretter la grossophobie dont font parfois preuve les personnages à l’égard du duo de policiers Hitchcock & Scully, meilleurs amis qui passent beaucoup de temps à manger, peu à enquêter. Cela s’atténue avec les saisons et Scully explicite finalement le body shaming (moqueries liées à son physique) dont il est victime. Certaines remarques peuvent aussi être considérées comme psychophobes et l’utilisation fréquente du mot crazy (fou/folle) n’est pas toujours heureux. Mais il y a aussi des grands moments comme lorsque Jake, en plein interrogatoire d’un médecin toxicomane, rappelle en aparté que l’addiction est une maladie qui justifie notre empathie. Enfin, peu ou pas de visibilité pour les personnes en situation de handicap ou les personnes trans (même si leurs droits sont évoqués).
Pas parfaite donc, mais tellement au-dessus du lot dans le paysage audiovisuel contemporain, Brooklyn Nine-Nine est pour moi un ovni de diversité et d’inclusion précieux qui ne me laisse qu’un seul regret : elle ne compte que 8 saisons.
* Traduction maison, voici la phrase originale : The jokes directed at these characters’ expense are not based on things they cannot change (like their race/ethnicity or sexuality), but by the personality they exhibit through their aforementioned quirks. A TV show that wanted to forcefully shoehorn diversity without having real, relatable characters like these would have had the Captain’s sexuality and race (or Amy and Rosa’s ethnicity) as the punchline for their jokes. The unchangeable essence of their character played for laughs. In Brooklyn Nine-Nine, their race and sexuality are just one of the facets that make up their character. The comedy comes mostly through the characters’ distinctive mannerisms.
Je viens de découvrir un livre qui est apparemment un classique de la sociologie politique : Deux siècles de rhétorique réactionnaire de Albert O. Hirschman. C’est un ouvrage paru en 1991 dans lequel l’auteur, économiste et sociologue, s’appuie sur trois moments-clés dans l’acquisition des droits civils (les droits de l’homme au 18e, que je préfère évidemment appeler les droits humains aujourd’hui), politiques (le suffrage universel au 19e qui, rappelons-le, était universel mais sans les femmes ou presque) et économiques et sociaux (l’état-providence du 20e siècle) pour démontrer comment les positions des réactionnaires, des « contre-offensives idéologiques d’une force extraordinaire », s’articulent autour de 3 types d’arguments immuables qu’il appelle la « rhétorique réactionnaire ».
J’ai lu ce livre et j’ai été frappée par le parfait calque avec les arguments des opposant·es au langage inclusif, et surtout ce à quoi le débat public et médiatique le réduit aujourd’hui, c’est-à-dire l’écriture inclusive et encore plus spécifiquement le point médian. D’ailleurs, j’ai appris plus tard (merci Wikipédia) que « les chercheuses féministes font souvent appel à la description de la rhétorique réactionnaire proposée par Albert Hischman pour rendre compte des formes prises par des discours sexistes » et je me suis donc dis que je ne m’étais pas complètement trompée.
Les 3 types d’arguments mis en avant sont la thèse de l’effet pervers, la thèse de l’inanité, la thèse de la mise en péril (perversity, futility, jeopardy dans la version originale).
L’effet pervers ou quand l’écriture inclusive deviendrait excluante
La thèse de l’effet pervers consiste à dire que “toute action qui vise directement à améliorer un aspect quelconque de l’ordre politique, social ou économique ne sert qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger”.
Dans le cadre de l’écriture inclusive, cet argument avance par exemple que c’est en réalité une pratique excluante, car elle introduit des difficultés supplémentaires pour certaines catégories de personnes, comme les dyslexiques, les personnes en difficulté de lecture (illettrées) ou les étranger·es qui cherchent à apprendre le français. L’effet pervers de cette tentative d’inclusion est donc de compromettre l’accessibilité de la langue française.
Je rappelle que cet argument est très discutable notamment car il se focalise uniquement sur le point médian dont on peut tout à fait se passer quand on écrit de manière inclusive, comme je l’expliquais déjà dans l’article Les textes écrits de manière inclusive sont-ils vraiment illisibles ? ou comme le démontrent parfaitement Eliane Viennot et Raphaël Haddad dans cette tribune du Monde.
D’autre part, cet argument est assez hypocrite : je vous recommande la lecture de Qui veut la peau du français ? de Christophe Benzitoun qui montre très bien comment la complexité du français a été historiquement renforcée par les institutions créatrices de normes (comme les livres de grammaire ou l’Académie Française) rendant son apprentissage toujours plus difficile. En gros, on n’a pas attendu le point médian pour rendre le français difficile à enseigner et apprendre, et on peut même dire que le français a sciemment été complexifié comme le rappellent avec humour Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans leur conférence Ted La faute de l’orthographe en citant le premier dictionnaire de l’Académie Française :
« L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes »
Premier dictionnaire de l’Académie Française, 1694
La thèse de la perversité est aussi parfois invoquée par celles et ceux qui pointent du doigt le langage inclusif comme un instrument de division entre les hommes et les femmes (dans une perspective d’ailleurs très binaire) car “on ferait mieux de se concentrer sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous distingue”. Je ne crois pas à titre personnel que rendre visible la moitié de l’humanité dans notre langage soit un facteur de division.
L’inanité ou la bataille prétendument inutile des féministes
La thèse de l’inanité avance que “toute tentative de transformation de l’ordre social est vaine, que quoi qu’on entreprenne, ça ne changera rien”. En gros, le langage inclusif, ça ne sert à rien, et surtout pas à changer quoi que ce soit aux inégalités entre les genres. Ou dans une de ses variations : les féministes devraient avoir mieux à faire que de nous enquiquiner avec ce délire inutile.
Ce type d’argumentation choisit d’ignorer 40 ans d’études de psycholinguistique qui ont toutes montré que les mots qu’on emploie ont un impact sur la manière dont on voit le monde, et que le masculin générique (le fait de dire les Français au masculin pour parler de toutes les personnes qui sont françaises) n’est en réalité pas interprété spontanément par notre cerveau comme mixte ou neutre. Le cerveau pense-t-il au masculin ? de Pascal Gygax, Ute Gabriel et Sandrine Zufferey revient sur un ensemble d’expériences qui vont toutes en ce sens. Et très concrètement, on a observé par exemple que les offres d’emploi rédigées au masculin attirent moins de candidatures de femmes que celles rédigées de manière inclusive (en disant le masculin et le féminin). Quand la SNCF choisit d’écrire toutes ses offres d’emploi de manière inclusive pour encourager la présence de femmes dans des métiers où elles sont sous-représentées comme conductrice de train, c’est bien la preuve que ça ne « sert pas à rien ».
Autre variation autour de la thèse de l’inanité : il y a bien des langues où le masculin et le féminin ne sont pas (si) marqués, et le sexisme n’y est pas moins fort, preuve que ça ne sert à rien. CQFD. Aucun·e partisan·e du langage inclusif n’a jamais prétendu que c’était l’instrument ultime, unique et définitif pour mettre fin au patriarcat qui est un système composé de multiples couches. Le langage est une de ses couches, et une couche que je dirais même fondamentale, sur laquelle nous pouvons toutes et tous agir simplement, par le choix des mots que nous employons au quotidien. Mais c’est un effort parmi d’autres : il y a une différence entre ne servir à rien, et ne pas réussir à tout.
Le mise en péril ou le langage inclusif contre la Nation française
La thèse de la mise en périldit que “le coût de la réforme envisagée est trop élevée, en ce sens qu’elle risque de porter atteinte à de précieux avantages ou droits précédemment acquis”.
Quand l’Académie française parle dans cette déclaration de “péril mortel” pour parler de l’écriture inclusive, on est en plein dans cette thèse au sens premier. Extrait :
Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.
Quand la querelle de la féminisationdes noms de métiersa éclaté en France en 1984 avec la création d’une « Commission de féminisation des noms de métier et de fonction » présidée par Benoîte Groult a été mise à jour la volonté de perpétuer un système dans lequel les fonctions et métiers prestigieux étaient toujours au masculin. Oserais-je dire que ce sont les hommes de pouvoir qui refusaient de voir s’émousser le privilège de leur métier en féminisant leur nom ? Oui.
Quand certains éditorialistes dénoncent l’écriture inclusive comme étant un danger pour la nation, comparant le point médian aux éoliennes qui détruisent les paysages, c’est en invoquant la théorie de la langue comme ciment de la nation : tout changement dans la langue devient alors une mise en péril de cette même nation. C’est oublier qu’une nation, comme une langue, c’est vivant, et que donc ça évolue.
Le bingo des arguments contre l’écriture inclusive
Avec ces 3 thèses, on a quasiment fait le tour des arguments contre le langage inclusif et vous êtes paré·es pour jouer au bingo ; il manquerait l’argument esthétique (c’est moche) qui est en réalité une question d’usage et d’habitude. Personnellement, je trouve très laid le mot logiciel, mais quand c’est le mot qui définit ce que je cherche à décrire, et bien je l’emploie, tout comme autrice est le nom d’une femme qui écrit, entrepreneuse celui d’une femme qui entreprend ou professeuse celui d’une femme qui enseigne.
Hirschman conclut son livre par une très honnête volte-face où il explique comme les progressistes aussi ont développé une manière de répondre à la rhétorique réactionnaire par une série d’arguments tout aussi systématisés :
– le péril imminent , celui qui guette la société s’il n’y a pas de changement ; cette thèse vient en réponse à celle de l’effet pervers – les lois de l’Histoire ; on ne peut aller contre le Progrès ; cette thèse prétend contrer celle de l’inanité – la synergie : la nouvelle réforme et la précédente entreraient en synergie et se renforceraient naturellement (Pottier) ; cette thèse s’oppose à celle de la mise en péril des acquis sociaux
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Aussi, je dis et j’assume être dans le camp des progressistes et annoncer que la société s’enfoncera dans toujours plus d’inégalités au point de son péril imminent si l’on continue à employer un langage masculinisé qui ne rend pas visibles les femmes. Mais je crois aussi à la force de la pensée et de l’action féministe qui sont le sens d’une Histoire qu’on ne peut arrêter. Et qui verra bientôt s’imposer une forme de langage inclusif qui sera une synergie de certains de nos usages passés et de nouveaux usages qui conquerront le coeur, la plume et le clavier du monde entier. Rien que ça.
Alors est-il réactionnaire d’être opposé·e à l’écriture inclusive ? Pour plus de précision, il faut revenir à la définition de réaction :
Une réaction désigne la politique prônant et mettant en œuvre un retour à une situation passée réelle ou fantasmée, en révoquant une série de changements sociaux, moraux, économiques et politiques. Un partisan de la réaction est nommé « réactionnaire ». Le terme s’oppose à progressiste, ce dernier employant de façon raccourcie le mot « réac », pour désigner péjorativement toute personne identifiée comme réactionnaire qui s’oppose aux idéaux qui se veulent progressistes. Le réactionnaire se différencie également du conservateur (sic) qui souhaite la conservation des structures du modèle politique actuel.
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Je dirais donc qu’en fonction de son positionnement politique, une personne qui s’oppose au langage inclusif peut être réactionnaire (et veut revenir au passé) ou conservatrice (et veut rester au présent). Elle n’est en tout cas, à mon sens, jamais progressiste. Et si je voulais corser même un peu la chose je dirais que moi, qui prône à la suite d’Eliane Viennot une démasculinisation du français, je souhaite en réalité en retour à une norme passée, celle où on disait autrice, poétesse, peintresse et où le « masculin ne l’emportait pas sur le féminin » (en tout cas dans la langue) : et si c’était moi, la vraie réac ?
Le jeudi 20 mai 2021, les Ateliers Numériques de Google France ont organisé une journée spéciale dédiée au langage inclusif, en collaboration avec Women@Google, le groupe des Googlers (les employé·es de Google) qui s’engagent en faveur de l’égalité femmes-hommes.
Cette journée en ligne s’est articulée autour de 3 évènements : une table ronde et deux ateliers pratiques.
J’étais entourée d’invité·es et expert·es de choc : – Emilia Capitaine, cheffe de projets chez Mots-Clés, agence de communication et d’influence qui oeuvre pour la formation à l’écriture inclusive des institutions. – Pascal Gygax, psycholinguiste expérimental et psychologue cognitif, co-auteur de « Le Cerveau pense-t-il au masculin ? » qui retrace 40 ans de recherche scientifique sur l’impact de l’emploi du masculin générique sur nos représentations des femmes et des hommes. – Vinciane Mouronvalle Chareille, fondatrice de l’agence UniQ en son genre qui accompagne des entreprises et des individus pour mettre en oeuvre l’égalité des personnes notamment grâce à la pratique du langage ouvert.
Pendant cette table ronde, nous avons échangé sur la définition et les objectifs du langage inclusif (12:02), les résultats des études de psycholinguistique qui montrent la difficulté rencontrée par notre cerveau à imaginer le masculin comme vraiment générique (19:40), l’impact sur les jeunes enfants de tout dire au masculin notamment dans la projection dans les métiers (27:01), les 3 conventions recommandées pour s’exprimer de manière inclusive (30:04), la spécificité française de l’intensité du débat sur l’écriture inclusive et la question de l’accessibilité notamment pour les personnes dyslexiques (43:23), le point médian comme un des outils dont on peut tout à fait se passer (49:20), pourquoi se former (52:20), l’impact pour les entreprises et les institutions qui pratiquent le langage inclusif (56:30), des références pour aller plus loin (1:01:6)
Pédagogie, bienveillance et précision résument bien l’esprit de cette table ronde à revoir en replay sur la chaîne des Ateliers numériques Google.
L’écriture inclusive* divise : l’idée de faire évoluer la langue française pour représenter plus justement les hommes et les femmes dans nos discours se heurte à des levées de boucliers aussi bien dans les rangs de la classe politique que dans les milieux académiques. Ces dernières semaines se sont encore multipliées les tribunes des opposant·es comme des partisan·es de l’écriture inclusive, et je reste frappée par l’absence de bienveillance et de mesure qu’on peut souvent y lire, principalement du côté des détracteurs et détractrices.
L’impossible bienveillance du débat sur l’écriture inclusive
On pourrait faire un bingo des arguments qu’on oppose à l’écriture inclusive (tiens, d’ailleurs je vais le faire). Dans l’ordre décroissant de conviction (selon moi), on lit (liste non exhaustive) : c’est moche ; c’est une lubie de féministes qui feraient mieux de s’attaquer aux vrais problèmes de la société ; c’est compliqué, on n’y comprend rien avec ces points médians ; c’est illisible et imprononçable ; ça ne sert à rien et surtout pas à réduire les inégalités entre femmes et hommes, d’ailleurs dans les pays où la langue n’est pas si genrée, le sexisme existe aussi, ha ; c’est excluant (notamment pour les personnes dyslexiques)
Parmi ces arguments, certains sont tout à fait légitimes, notamment ceux liés à l’accessibilité, et rassembler les preuves scientifiques, recueillir la parole des concerné·es, organiser des consultations publiques, mener des tests sont autant de pistes à creuser pour nourrir un débat sain. Mais aujourd’hui, le débat médiatique autour de l’écriture inclusive ne l’est pas. Le niveau de violence verbale, de cynisme et de mauvaise foi atteints dans certains articles et tribunes ne cesse jamais de me surprendre, et c’est ce sur quoi j’aimerais vous encourager à réfléchir.
Aujourd’hui, je veux donc rendre hommage à la créativité sans limite (coucou TopChef) des éditorialistes qui arrivent à renouveler l’argumentaire anti-écriture inclusive pour protéger la langue française de celles (et ceux mais surtout celles évidemment) qui veulent sa mort au nom d’une idéologie “inclusiviste”, comme la nommait le linguiste Franck Neveu dans un entretien croisé avec Julie Neveux (qui y est, elle, favorable) paru dans Le Figaro le 30 mars.
Vous me rétorquerez que le ton sarcastique que je prends n’est pas très compatible avec la bienveillance que je prône, et vous aurez raison. Je ne suis pas à l’abri d’une contradiction, j’avoue.
Eoliennes et magie, entre vindicte nationaliste et dénigrement par le ridicule
Comme toujours, c’est avec un peu de fébrilité que je clique sur les articles qui traitent d’écriture inclusive, car en fonction de mon humeur, je peux exploser de rire ou de colère face au mieux à l’imprécision, au pire à l’obsolescence de certains arguments sempiternellement ressassés. Dans le cas de cette tribune, je suis passée du rire aux larmes.
Certes, je pouvais m’attendre à ne pas être d’accord avec Robert Redeker, philosophe polémique connu notamment pour ses propos sur l’Islam. Mais je ne pouvais pas m’attendre à tomber en sidération devant la gravité de ses propos et la décorrélation totale entre les enjeux de l’écriture inclusive (dont on pourrait discuter des formes, je le reconnais volontiers) et ses répercussions annoncées.
Quelques exemples :
“Après l’écriture inclusive, l’on ne pourra plus être français de la même façon qu’avant son despotisme.”
Je comprends, d’ailleurs comme le rappelait Eliane Viennot dans une autre tribune du Monde le 2 avril, la carte d’identité française est déjà inclusive (on y lit né(e) le) et interdire l’écriture inclusive dans les documents administratifs reviendrait à refaire les cartes d’identité des 67 millions de Françaises et Français. Un choc d’identité, c’est sûr.
“L’écriture inclusive est un séparatisme: il s’agit pour elle de séparer la langue française d’avec ce que fut la France jusqu’ici.”
L’utilisation de terme séparatisme me semble un peu poussée, mais s’il s’agit de se séparer de la France patriarcale “d’avant”, I’m in.
“L’écriture inclusive est, d’un point de vue civilisationnel, exactement la même chose que la destruction des paysages, cet autre héritage des siècles: les éoliennes rendent le paysage invisible, effaçant le passé de la nation. L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage.”
Là, je n’ai plus de mots, inclusifs ou non. Cette comparaison avec les éoliennes me laisserait presque pantoise si elle ne soulevait pas un petit paradoxe. Est-ce que la France tombe en déliquescence en tant que nation depuis l’apparition des éoliennes ? Ne devrait-on pas parler d’une autre forme, bien plus ancienne, de destruction des paysages par la déforestation ou l’urbanisation ? Ou alors dans ce cas, c’est la civilisation qui progresse et dans l’autre c’est la nation qui meurt de s’invisibiliser. D’ailleurs, c’est drôle de parler d’invisibilisation de la nation, car ce terme fait aussi partie du vocabulaire des pro-écriture inclusive : visibiliser les femmes invisibles dans le langage.
Si je trouve cette tribune d’une très grande violence, et qu’en toute honnêteté sa lecture me fait peur et me met en colère, il existe des stratégies plus douces mais tout aussi peu bienveillantes pour dénigrer l’écriture inclusive, comme la ridiculisation (que j’explorais déjà dans la déconstruction de la blague d’Isabelle Huppert lors des César 2021). Cette fois, c’est Bernard Cerquiglini (par ailleurs auteur de Le Ministre est enceinte, un retour sur l’histoire de la querelle de la féminisation des noms de métiers dont j’ai beaucoup apprécié la lecture) qui s’en empare dans sa tribune parue dans le Monde le 19 avril intitulée : « L’écriture “inclusive”, empreinte d’une louable intention, est une fâcheuse erreur ».
Si le ton est bien moins véhément, et l’argumentation plus linguistique que philosophique, l’auteur réfute l’idée que le masculin employé dans un sens générique (comme quand on dit les Hollandais pour parler des habitant·es de la Hollande) puisse avoir le moindre impact sur les représentations que l’on se fait sur la place des femmes et des hommes, balayant les arguments de la psycholinguistique qui ont démontré que le masculin n’est pas si neutre que ça. Et même si ces arguments pourraient raisonnablement être discutés, l’argument d’autorité est mis en avant (c’est comme ça) et les tentatives de le contester considérées comme de vaines pensées magiques.
La catégorie du masculin en français a donc deux emplois distincts, que tout francophone maîtrise, même inconsciemment : le masculin « genré », d’un côté, le masculin neutralisé (inclusif au pluriel, générique au singulier), de l’autre. (…) Libre à chacun de blâmer cette généricité du masculin, comme on réprouve l’hiver, la loi de la gravité ou les pluriels en -aux (…) L’attention nécessaire portée à l’égale représentation, dans nos énoncés, des hommes et des femmes passe par l’utilisation, libre et réfléchie, des ressources de la langue et non par une ritualisation de formules magiques.
Face à ces tribunes d’opposant·es à l’écriture inclusive qui manient une véhémence grandiloquente (rappelez-vous déjà le « péril mortel » invoqué par l’Académie Française), la démesure (la fin de la nation Française, sérieusement ?) ou le dénigrement par le ridicule (on ne peut rien contre l’hiver, alors on ne peut rien comme le masculin dit générique), celles et ceux qui tentent de la promouvoir optent pour d’autres stratégies : le calme de l’explication (comme Julie Neveu dans l’entretien du Figaro cité plus haut), l’humour pinçant comme Eliane Viennot dans son édito sur les cartes d’identité, ou la bienveillante pédagogie, comme dans la récente tribune que cette dernière a co-signée avec Raphaël Haddad « L’écriture inclusive se retrouve réduite, à tort, au point médian ». Ce déséquilibre est frappant.
Dans la « vraie vie », l’effort de bienveillance est indispensable
Ici, je rapporte des propos tenus dans l’espace médiatique où l’exagération et la démesure sont malheureusement de rigueur pour imposer un agenda, parfois politique. Mais dans la vraie vie, dans le quotidien, en entreprise, avec ses proches, quelle posture adopter ?
Lorsque je forme des collègues sur le langage inclusif, je mets un point d’honneur à le faire avec bienveillance. Mon premier objectif est d’encourager un regard critique sur les mots, non pas de forcer à l’adoption d’une pratique. Quand je parle des 3 principes que je préconise, j’ajoute un quatrième principe de bienveillance envers soi-même : ce n’est pas du jour au lendemain qu’on va réussir à changer toutes ses habitudes linguistiques, et déconstruire des siècles de masculinisation de la langue est en engagement. Faire de son mieux et progresser dans sa pratique en se laissant du temps, c’est déjà très bien. Ce n’est pas grave s’il reste du masculin générique dans un texte, si on oublie de dire « bonjour à toutes et à tous » de temps en temps ou si on emploie un mot imprécis. L’injonction à la perfection, comme les femmes peuvent en témoigner, ne contribue pas au bien-être général.
Mais j’attends aussi de la bienveillance des personnes qui ne sont pas d’accords avec moi : cela passe par exemple par ne pas se moquer de moi quand je fais remarquer que je suis gênée qu’on ait écrit « Les hommes » au lieu de l’humanité dans un texte ou que le 8 mars n’est pas la « Journée de la Femme » mais « La journée internationale pour les droits des femmes ». Combien de fois ai-je entendu : « Oh, mais c’est pas si grave, c’est juste un mot ! » Pour citer France Gall qui interprète Michel Berger : « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup ». Avoir une posture ouverte, curieuse et donc bienveillante est la condition sine qua non d’un débat qui progresse, et a minima de relations amicales et professionnelles qui épanouissent.
On ne peut peut-être pas l’attendre de la part des éditorialistes fâché·es par l’écriture inclusive, mais on peut l’attendre des personnes que l’on côtoie au quotidien.
* Je précise que dans cet article je parle d’écriture plus que de langage inclusif car ces débats en plus d’être violents se focalisent souvent sur un seul élément, un des outils de l’inclusif qui est le point médian, le plus visible, le plus attaqué (et je rappelle qu’on peut très bien écrire de manière inclusive sans l’utiliser).
Avoir une perspective historique et psychologique, comprendre les grandes règles du langage inclusif, et même rigoler un peu, c’est possible avec ces 3 podcasts que je recommande.
Mécréantes : Le masculin l’emporte sur le féminin
Pourquoi j’aime : dans cet épisode du génial podcast Mécréantes on entend Alpheratz, qui se définit comme écrivan et cherchaire en linguistique et étudie le genre neutre en français, une perspective plutôt rare dans le « débat » autour du langage inclusif qui tourne beaucoup autour du féminin et du masculin, en omettant le neutre qui permettrait de représenter aussi les personnes trans et non-binaires.
Parler comme jamais : Ecriture inclusive, pourquoi tant de haine ?
Pourquoi j’aime : c’est par cet épisode que j’ai découvert le super podcast Parler comme jamais produit par Binge Audio qui s’intéresse à de nombreux aspects de la langue française, et ici l’écriture inclusive. Laélia Véron y reçoit la linguiste Julie Abbou et le psycholinguiste Pascal Gygax qui m’a fait repenser la règle d’ordre alphabétique dans la double flexion (énumération de type « auteur et autrice »). Vous saurez pourquoi en écoutant.
Du poil sous les bras : Eliane Viennot experte en langage inclusif
Pourquoi j’aime : parce que je pourrais écouter Eliane Viennot pendant des heures. Non seulement c’est l’experte incontournable en la matière, mais je la trouve en plus tellement drôle. L’écouter exiger le démantèlement de l’Académie Française en pointant leur inutilité et leur incompétence, c’est du petit lait pour mes oreilles.
Beaucoup a déjà été dit et écrit sur la Cérémonie des César 2021. Mon objectif n’est pas d’apporter une énième pierre à l’édifice de celles et ceux qui vilipendent ou saluent les interventions des un·es ou des autres. D’autant que je n’ai, en toute transparence, pas regardé la cérémonie en entier, simplement quelques extraits.
Mon prisme, c’est le langage, et les seuls extraits que j’ai regardé m’ont suffi pour constater qu’il y a encore beaucoup de boulot pour que le monde du cinéma finissent par représenter de manière juste les personnes diverses qui le font au quotidien, même s’il faut aussi saluer les progrès réalisés.
Moi, le moment sur lequel je ne peux pas ne pas revenir, c’est la remise du prix du meilleur espoir féminin par Isabelle Huppert. Elle en fait l’occasion d’une blague sur le langage inclusif qui vaut un exercice de déconstruction tellement elle est emblématique de ce qui ne va pas dans les débats actuels sur ce sujet.
Isabelle Huppert incarne à la perfection deux stratégies typiques des opposant·es au langage inclusif : dénigrement par le ridicule et exagération de la complexité.
Isabelle Huppert est appelée à remettre le prix du meilleur espoir féminin et prend prétexte de cette remise pour s’interroger sur l’expression « meilleur espoir féminin » en feignant de réaliser qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette expression : on parle de femmes, alors on devrait dire une espoir ? Pourtant espoir est un mot masculin… Isabelle a l’air bien embêtée, elle qui pourtant maîtrise si bien la langue française, tout comme la langue allemande apparemment, puisqu’elle finit par convoquer l’article neutre allemand « das » pour remettre : Das meilleur espoir féminin.
Le dénigrement du langage inclusif par le ridicule est vieux comme le débat sur la question. La lecture de La Ministre est enceinte de Bernard Cerguiglini (écouter un entretien avec son auteur ici) qui revient sur la querelle de la féminisation des noms de métiers est un florilège d’exemples où des hommes (et des femmes), et notamment un bon paquet d’académicien·nes (qui n’apprécieraient pas ce point médian), avaient publié des tribunes ou fait des déclarations ridiculisant complètement ces noms féminins, en inventant même des mots que personne ne demandait à utiliser.
Je n’en citerai que deux exemples.
Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale.
Marc Fumaroli, Académicien, 1998
Dans les vingt ou vingt-cinq dernières années, j’ai vu naître, devançant la commission, un petit nombre de féminins auxquels on ne pensait pas et dont on ne peut plus se passer. Ainsi, l’admirable substantif “conne”
George Dumézil, Académicien, 1984
Présenter les réflexions autour du langage inclusif en les ridiculisant contribue évidemment à transmettre l’idée que ce n’est pas un sujet important et que les personnes qui le défendent perdent leur temps. Puisque ce qui est ridicule, c’est ce qui fait rire par un caractère de laideur, d’absurdité, de bêtise ; ce qui est dérisoire risible, insignifiant, infime (Le Robert). Isabelle Huppert dénigre par cette même méthode celles et ceux qui, comment moi, sont convaincu·es que la langue que nous parlons forge nos représentations (ce qui est par ailleurs prouvé scientifiquement, comme je le rappelle ici).
L’exagération de la complexité est la seconde stratégie mise en oeuvre. Je rappelle que les règles d’un langage inclusif sont en réalité très simples, et que la seule complexité qui peut exister est celle régissant l’écriture inclusive (qui n’est qu’un volet du langage inclusif), et notamment l’utilisation du point médian ou la création de nouveaux mots. Certes il n’y a pas encore de convention commune, mais rien n’oblige celles et ceux qui veulent pratiquer un langage inclusif à recourir au point médian. Par ailleurs, la langue française est très bien équipée pour parler des noms de fonctions, métiers, grades au féminin. Les mots sont formés d’un radical (agricul-) puis d’un suffixe (-teur au masculin, -trice au féminin). Pour l’immense majorité des mots, les deux versions existent ou se construisent sans aucune difficulté. Et pour répondre à Monsieur Fumaroli, qui devrait connaître cette règle, on dit simplement : un recteur, une rectrice. Quant au mot espoir, c’est un mot masculin dont le genre est non motivé (c’est-à-dire qu’il est masculin de manière arbitraire) car il ne désigne pas un être animé et il n’y a aucune raison de vouloir le féminiser. Et comme l’adjectif s’accorde au substantif on dit très simplement : le meilleur espoir féminin.
Une occasion manquée de mettre son pouvoir au service de la justice de genre
Je ne suis pas là pour juger Isabelle Huppert en tant que personne ni sa carrière cinématographique ou ses engagements politiques. Je me désole simplement qu’une femme qui est largement respectée et admirée pour sa carrière, qui incarne aussi une figure intellectuelle (et je parle ici de perception de la majorité des gens qui la voient comme une actrice de films exigeants, plus que comme une Daronne, et je ne cherche pas à discuter si elle l’est ou pas) utilise son pouvoir pour dénigrer un effort vers une société plus juste.
Parce qu’être sur cette scène, avec la caisse de résonance que représente les César, avoir l’opportunité de porter des messages et d’influencer des membres de l’industrie mais aussi l’audience qui regarde la cérémonie, c’est un pouvoir. A minima, on peut choisir de ne pas l’utiliser pour tourner en ridicule un mouvement de lutte contre le sexisme (car c’est ça aussi, entre autres, la pratique d’un langage inclusif). Au mieux, on peut en profiter pour saluer l’accomplissement de ces jeunes femmes nominées et leur envoyer un message positif d’espoir, justement. Isabelle Huppert finit d’ailleurs par leur partager quelques « mots féminins »: confiance, patience, persévérance, insouciance. J’aurais préféré qu’elle s’en tienne à eux.
Et un grand bravo à toutes les nominées : Mélissa Guers dans La fille au bracelet India Hair dans Poisson sexe Julia Piaton dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait Camille Rutherford dans Felicità Fathia Youssouf dans Mignonnes
Si vous vous intéressez au langage inclusif, vous ne pouvez pas ne pas lire, écouter ou regarder Eliane Viennot.
D’après son propre site, professeuse émérite de littérature de la Renaissance, Eliane Viennot est autrice d’un livre, entre autres, qui a fait date dans l’histoire du langage inclusif : Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, où elle montre comment la langue française a été masculinisée par volonté d’imposer le masculin plus noble et d’écarter par le langage les femmes des fonctions les plus prestigieuses, notamment les métiers des lettres. Elle ne mâche pas ses mots quand il s’agit de parler, entre autres, de l’Académie Française qu’elle qualifie volontiers de groupes d’incompétents (aucune femme parmi les académiciens jusqu’en 1980 avec Marguerite Yourcenar) qui n’ont aucune utilité. Je l’adore.
En dehors de cet ouvrage de référence, je vous recommande :
– une vidéo : sur YouTube vous trouverez différentes captation de conférences données par Eliane Viennot, ainsi qu’une courte vidéo de Brut où elle revient sur la disparition des noms de métiers au féminin.
Je recommande très vivement la chaîne YouTube de Linguisticae, qui regorge de vidéos passionnantes (et souvent longues, certes) sur la langue.
La chaîne Linguisticae sert à comprendre d’où viennent les mots, les langues, et comment le langage est fait et évolue. Entre vulgarisation scientifique d’une discipline trop méconnue et cassage d’idées reçues, tout le monde y trouve son compte !
J’adore l’accessibilité de Monté, linguiste qui anime la chaîne, et aussi membre du Vortex d’Arte avec d’autres créateurs et créatrices YouTube.
En toute transparence, j’adore Wedjene. Mais vraiment. Je l’écoute seule chez moi, dans la rue, avec mes enfants. Wejdene est chanteuse et autrice-interprète du tube Anissa et de son célèbre « Tu hors de ma vue » qui a fait couler beaucoup d’encre. Et je suis choquée de la manière dont elle est souvent traitée, du mépris qu’elle suscite, notamment dans les médias, notamment du fait de sa pratique de la langue française, qui serait totalement scandaleuse.
Dans cette vidéo, Linguisticae (qui n’est pas du tout fan, lui) décortique parfaitement les mécanismes par lesquels Wejdene, comme Aya Nakamura ou dans un autre registre Léna Situations, sont renvoyées par leurs détracteurs et détractrices dans les limbes d’une culture dite illégitime, notamment en raison des libertés qu’elles prennent avec la langue française. Leur point commun ? Etre des femmes, jeunes, racisées, issues de classes populaires, qui ont du succès. Une clé de lecture très intéressante qui doit pousser chacun·e à avoir un regard plus critique non pas seulement sur ces chanteuses, autrices, ou YouTubeuses, mais sur les personnes mêmes qui les critiquent et leurs motivations.