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Le langage inclusif pour les nul·les

Femmes artistes, artistes femmes : les mots épicènes, faux amis du langage inclusif ?

Un des 3 grands freins à la pratique d’un langage inclusif est son absence dans le contenu audio-visuel que nous consommons, et par extension le monde du divertissement et de la culture (éditionsériescinéma…). Je suis convaincue qu’il est crucial d’être exposé·e à un parler inclusif dans les séries ou les films et de voir des titres de livres ou de podcasts écrits en inclusif non seulement pour rendre visibles les femmes dans le monde par le langage mais aussi pour créer des effets de mimétisme et banaliser le langage inclusif qui pour de nombreuses personnes est assimilé à une pratique trop militante et donc clivante (pour le coup, le frein majeur à sa pratique).

Récemment, j’ai porté mon attention sur un type de manifestations culturelles particulièrement signifiantes, les expositions dans les musées et les galeries, et tout particulièrement la manière dont ont été nommées certaines d’entre elles.

Les expositions, opportunités en or pour rendre visibles les femmes

« Faut-il (encore) des expositions 100% « artistes femmes » ? » Telle est la question que 3 journalistes (femmes) du Quotidien de l’art posait en juin 2021, alors que Paris accueillait les expositions « Peintres femmes 1780-1830, naissance d’un combat » au Musée du Luxembourg, « Elles font l’abstraction » au Centre Pompidou ou encore « Be AWARE. A History of Women Artists » à la BNF.

Et puis pourquoi scinder les histoires, parler d’« artistes femmes » – a-t-on jamais parlé « d’artistes hommes » ? – quand beaucoup de ces artistes se positionnent au-delà des questions de genre ? Ces expositions collectives d’« artistes femmes » sont paradoxales : « Très souvent, on les expose pour dire qu’avant tout elles sont des artistes, observe Justine Bohbote. On veut effacer le genre alors même qu’il est le critère de sélection de l’exposition. » (…) «« Artistes femmes », c’est un pis-aller du langage correspondant à ce moment de relecture », nuance Christine Macel, commissaire de la remarquable exposition « Elles font l’abstraction ». Pour elle, il n’y a d’autre choix que de « révéler le processus d’invisibilisation des femmes en raison de la domination masculine ». Et de mettre au défi les visiteurs (sic) de reconnaître à l’entrée les portraits des quelque 110 femmes présentées. La conservatrice a su éviter l’écueil du féminin et de l’essentialisme tout en se gardant du catalogage. « Aligner des noms de femmes, ce n’est pas efficace, elles disparaissent à nouveau si on ne les identifie pas clairement, si on ne leur donne pas une place dans un récit, si on ne met pas en évidence les tournants qui ont marqué cette histoire », poursuit-elle.

« Faut-il (encore) des expositions 100% « artistes femmes » ? », Le Quotidien de l’art

Comme Titiou Lecoq l’explique dans Les Grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, le problème n’est pas tant qu’il n’y avait pas de femmes artistes (ou cheffes ou autrices ou chevaleresses) mais qu’elles ont été effacées des livres d’histoire. Les expositions, et notamment celles organisées par les institutions mastodontes du monde de l’art, comme Le Centre Pompidou en France, sont des catalyseurs d’histoire qui permettent de rendre visibles des femmes du passé et du présent en leur donnant, comme le dit Christine Marcel citée ci-dessus, « une place dans un récit ». A titre personnel, l’exposition sur Elisabeth Vigée Le Brun au Grand Palais en 2015 a été un moment de révélation non seulement sur cette artiste mais de manière générale sur la place des femmes dans le monde de la peinture de l’époque. L’importante médiatisation de cette exposition et donc de celle à qui elle était consacrée à travers des livres, magazines, documentaires, podcasts… a eu un effet durable sur la connaissance de cette artiste : un avant/après qui est visible dans les recherches faites sur Internet. Google Trends montre que plusieurs années après l’exposition le volume de recherches en ligne sur Elisabeth Vigée Le Brun se maintient à un niveau supérieur à celui d’avant l’exposition. L’effet de la visibilisation est pérenne.

Mais comment rendre visibles les femmes dans le monde de l’art quand le mot « artiste » lui-même est en français moderne un mot épicène, c’est-à-dire qu’il « peut être employé au masculin et au féminin sans variation de forme » comme libraire ou élève qui désignent n’importe qui quel que soit son genre ?
Je trouve cette question intéressante car, à travers quelques exemples récents, elle permet plus largement de poser la question des stratégies que l’on peut mettre en oeuvre pour s’assurer non seulement de décrire correctement le contenu de l’exposition mais aussi de rendre visibles les femmes dès son titre (et donc son affiche), des éléments visibles dans l’espace public par tout le monde, que l’on aille ou pas voir l’expo en question. Elle pose ainsi une alternative cruciale et déterminante en matière de langage inclusif : neutraliser par des formulations non genrées ou visibiliser par un féminin explicite ?

Femmes artistes ou artistes femmes ?

L’option la plus évidente est celle d’ajouter le mot femme au mot épicène comme « Peintres femmes » ou « Femmes photographes de guerre ».

Trois choses à noter ici : l’ordre de mention n’est pas le même dans ces deux exemples, le mot « femmes » étant placé tantôt avant tantôt après le mot « peintres » ou « photographes ». En théorie, l’ordre de mention a son importance car des études de psycholinguistique ont montré qu’on a tendance à dire en premier le mot qu’on considère le plus important. Je ne vais pas tirer de conclusion sur l’intention des curateurs et curatrices de ces expositions-là car d’autres critères rentrent aussi en considération dans le choix d’un titre, néanmoins, on pourrait discuter de ce que la position du mot « femmes » apporte comme sens supplémentaire : veut-on mettre l’accent sur le genre (femme) ou la fonction (peintre, photographe) ? Parler d’artiste femme ou de femme artiste introduit-il une nuance où la fonction prédomine (une artiste avant tout qui est aussi une femme par ailleurs) ou bien le genre (une femme avant tout qui est aussi une artiste par ailleurs) ? Cela semble être un détail mais dans un monde qui a tendance à essentialiser les compétences (il y aurait par exemple un leadership féminin comme une cuisine féminine), savoir si féminin décrit le genre d’une artiste ou son style prend toute son importance.

Les mots épicènes, faux amis du langage inclusif ?

Deuxième chose à noter : ces exemples sont de parfaites illustrations que les mots épicènes, notamment utilisés de manière englobante au pluriel, sont censés désigner des groupes mixtes comprenant hommes et femmes mais qu’en réalité ils ne rendent pas visibles tout le monde. Leur interprétation est par ailleurs victime de nos biais et stéréotypes de genre. En bref, dire « les artistes » ne convoquent pas nécessairement l’image de femmes.

Très concrètement, si on enlevait le mot « femmes » de ces affiches, et surtout de la seconde qui évoque un champ d’action particulièrement assimilé aux hommes (la photographie sur un terrain de guerre), il y a fort à parier qu’une personne interrogée au hasard dans la rue n’aurait pas envisagé la possibilité que des photographies prises par des femmes y soient exposées.
C’est ce qu’a par ailleurs démontré un sondage de 2021 mené dans le cadre d’une étude conjointe de Mots-Clés avec Google : on a demandé à 3 groupes de nommer des personnes célèbres dans différentes fonctions et on a noté combien de femmes et d’hommes étaient spontanément cités en fonction de la formulation de la question :

une formulation genrée au masculin générique : « citez deux écrivains célèbres »
une formulation épicène : « citez deux personnes célèbres pour leurs écrits »
une formulation inclusive par énumération : « citez deux écrivains ou écrivaines célèbres ».

Systématiquement, la formulation genrée au masculin dit générique a suscité deux à trois fois moins de noms de femmes que les deux autres formulations, et la formulation épicène a suscité en général moins de noms de femmes que la formulation inclusive (avec énumération).

Ce que cela signifie, c’est que si l’on veut que les gens pensent à des femmes face au titre d’une expo, d’un film ou d’une série, il faut mettre de manière visible le mot femme ou le nom de la fonction au féminin et non pas les noyer dans un masculin dit générique. Et quand le terme épicène désigne une profession majoritairement perçue comme masculine (comme philosophe ou artiste, même si c’est de moins en moins le cas), il sera d’autant plus difficile de faire émerger l’image de femmes dans les représentations sans mention explicite du féminin.

D’ailleurs, le principe de visibiliser les personnes par l’explicitation du mot qui les représente, quitte à frôler la redondance, peut aussi s’appliquer à d’autres dimensions de l’identité que le genre. C’est par exemple le cas dans l’exposition « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » au Mémorial de la Shoah.

On aurait pu imaginer que le mot « homosexuel » et donc l’homosexualité qui comprend le lesbianisme aurait suffit à décrire les personnes dont on parle. Mais de même que les femmes ont été invisibilisées dans l’histoire du monde, les lesbiennes l’ont aussi été dans l’histoire LGBTQIA+. Expliciter leur présence dans l’exposition dès son titre, c’est déjà participer à les rendre visibles, et s’assurer qu’on va aussi s’attacher à décrire leur destin spécifique.
Si l’exposition avait été intitulée au masculin générique « Homosexuels dans l’Europe Nazie » ou en mode épicène « Personnes homosexuelles dans l’Europe Nazie » (formulation peu naturelle de toute façon), avec une image représentant par ailleurs un homme, on aurait pu s’imaginer très légitimement que l’expo ne concernait que les hommes gays, ce qui n’était pas le cas. Au-delà de rendre les lesbiennes invisibles, ce titre aurait même été imprécis car il n’aurait pas décrit la réalité de l’exposition. Il ne s’agit même plus de visibiliser les lesbiennes mais de choisir un titre dont le sens est pertinent.

Féminiser les noms de métiers, la base

Je vous avoue que quand j’ai vu l’affiche de l’exposition au Musée du Luxembourg, « Peintres femmes, 1780-1830 Naissance d’un combat », j’ai été fâchée. N’aurait-il pas été génial d’appeler cette expo simplement « Peintresses », mot communément employé jusqu’au 17e siècle au moins et le début de la masculinisation de la langue française, tout comme chevaleresse au Moyen-Âge ?

Employer le féminin des noms de métiers, c’est une des trois conventions de base du langage inclusif : j’ai déjà expliqué pourquoi je préfère dire autrice, mairesse et entrepreneuse plutôt qu’auteure, maire et entrepreneure afin de rendre visibles et audibles le féminin des noms de métiers. Le Musée du Luxembourg avait ici une excellente opportunité non seulement de faire preuve de précision historique en employant le mot « peintresse » présent dans la langue française de l’époque couverte par l’exposition, mais aurait pu s’éviter le double « peintres femmes » et participer à réhabiliter un mot attesté, précis et qui a le mérite de distinguer clairement un peintre d’une peintre(sse) sans le risque d’essentialiser. D’autant que le mot « peintresse » est tout à fait compréhensible comme un féminin et aurait même pu piquer la curiosité de celles et ceux qui auraient été surpris par ce terme.

Neutraliser ou visibiliser : le verdict

Remettons les choses en perspectives : la base du langage inclusif est de ne pas tout dire au masculin dit générique car notre cerveau voit des hommes quand on lu parle au masculin, même s’il a appris à l’école que le masculin peut représenter tout le monde. Ce n’est pas moi qui le dit mais 40 ans d’expérimentations scientifiques.
Toutes les méthodes qui permettent d’éviter le masculin générique sont donc recevables, qu’il s’agisse de termes épicènes comme « cinéaste » plutôt que « réalisateur », de termes englobants comme « le corps enseignant » plutôt que « les professeurs », ou d’énumération (aussi appelée double flexion ou doublets) comme « curateur et curatrices » plutôt que simplement « curateurs ».
Aussi, dans un texte ou un discours, et pour assurer la fluidité du style, on va alterner entre ces différentes options. Le principal défi de celles et ceux qui veulent écrire en inclusif est de ne pas « traduire » un texte au masculin en mettant des doublets partout, ce qui alourdit le texte et apporte de l’eau au moulin des personnes opposées au langage inclusif parce que ça serait « moche ».

Mais il faut avoir conscience que toutes ces options n’ont pas la même efficacité si notre objectif est de rendre visibles les femmes dans l’espace public et médiatique.
Les termes épicènes et englobants qui neutralisent dans une formulation non genrée cachent les femmes dans un ensemble là où, notamment dans les métiers où elles sont particulièrement sous-représentées, on voudrait rendre visible leur présence. Par exemple, je vais préférer dire « les développeurs et développeuses » à n’importe quelle autre formulation inclusive car je veux dire le mot « développeuse » pour les faire exister, alors qu’elles ne représentent en France que 15% des ingénieur·es informatiques.
Dans les cas où le mot qui convient est épicène, comme artiste ou photographe, l’explicitation du féminin est indispensable : en ajoutant le mot femme, donc, ou en jouant sur les déterminants pour faire exister le féminin (avec « un ou une » ou un·e à l’écrit).
D’ailleurs « artiste » est un mot très large, et il comporte beaucoup de nuances qui peuvent être féminisées : plasticienne, performeuse, scrulptrice, dessinatrice, illustratice et même peintresse.
Quand le féminin peut se distinguer du masculin, je préfèrerai cette option car le féminin explicite sera toujours pour moi le meilleure gage de la visibilisation des femmes.

Quand j’ai vu l’affiche de l’exposition Pionnières, j’étais donc ravie à l’idée d’aller la visiter (qui aurait d’ailleurs pensé à l’appeler « Femmes pionniers » ?). Jusqu’à ce que je m’interroge à nouveau : montrer un sein était-il indispensable ? Peut-être fallait-il rendre l’exposition plus… sexy ? Mais c’est un autre débat.

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3 freins à la pratique du langage inclusif

En 2021, j’ai formé au langage inclusif environ 300 personnes dans mon entreprise (qui en compte environ un millier dans ses bureaux parisiens), et c’est un accomplissement dont je suis très fière. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de partager le contenu de cette formation (dans une version condensée et bien moins interactive) lors d’une journée spéciale organisée par les Ateliers numériques de Google que vous pouvez revoir sur YouTube.

Cependant, même si le taux de satisfaction de la formation était très élevé (avec une note de 4,7/5), j’ai observé dans mes interactions avec les personnes formées que finalement peu d’entre elles avaient développé une pratique systématique du langage inclusif et que l’écrasante majorité ne le pratiquait que très peu voire pas du tout. Il faut noter l’exception du service marketing de mon entreprise qui s’est emparé du sujet comme d’un objectif d’équipe et dont je détaille les actions dans l’article Le marketing inclusif passe aussi par le langage sur Thinkwithgoogle.fr.

Il semblait donc que j’étais confrontée à un paradoxe : alors que les feedbacks de cette formation montraient que les personnes ressortaient convaincues de la nécessité d’un langage plus inclusif, cette conviction ne se transformait pas (ou peu) en pratique.
Deux questions se posaient alors à moi : comment objectiver cette intuition pour s’assurer que ces observations représentaient la réalité ? Et si c’était bien le cas, comment mieux accompagner le passage de la conviction à la pratique ?

90% des personnes formées ont une pratique au moins occasionnelle du langage inclusif

A la fin de 2021, j’ai donc proposé à toutes les personnes formées de répondre à un rapide questionnaire et de participer à une session d’échanges et de retours d’expérience.

10% des personnes formées environ ont répondu au questionnaire : près de 90% des répondant·es déclarent avoir une pratique au moins occasionnelle d’une forme ou une autre de langage inclusif. Cela peut être simplement dire « bonjour à toutes et à tous » ou féminiser les noms des métiers. Je trouve ce chiffre très élevé et il me réjouit, mais je veux le prendre avec précaution car il est fort probable qu’il y a un biais positif du fait que les personnes qui ont pris le temps de répondre sont très certainement les personnes les plus intéressées (voire impliquées) sur la question du langage inclusif.

En revanche, j’ai retiré de l’analyse combinée des données quantitatives du questionnaire et des données qualitatives de la session d’échanges des enseignements autrement plus pertinents et actionnables.

Frein #1 : la systématisation

« Je le fais de temps en temps mais j’ai du mal à le faire tout le temps » démontre à quel point il est difficile de déconstruire des automatismes ancrés depuis notre enfance et que la pratique du langage inclusif implique une grande conscience de soi (et de ce qu’on dit) pour sortir du mode « pilote automatique » dans lequel on est quand on s’exprime. Cela implique de réfléchir à quelque chose à quoi on a perdu l’habitude de réfléchir.

« Certains automatismes comme « hey guys » restent en tête malgré une volonté d’être inclusif. Cela est probablement causé par un manque de langage inclusif dans le contenu audio-visuel que je consomme. »

Je trouve très pertinent ce constat qu’il existe un lien entre notre manière de nous exprimer et les styles d’expressions auxquels nous sommes exposé·es en lien avec le langage inclusif. Et c’est pourquoi il est fondamentale pour moi d’influencer autant que possible les entités créatrices de discours public, visible, comme les marques (qui font de la publicité), les médias (qui manient un langage à forte valeur prescriptive) et le monde du divertissement au sens large (édition, séries, cinéma…).

Frein #2 : la spontanéité

« C’est plus facile à l’écrit qu’à l’oral » est le deuxième constat qui a émergé. Pour les personnes qui ont la conscience des automatismes décrits ci-dessous vient la question de la compétence.

« J’ai le sentiment de plafonner aux applications « faciles » du quotidien, j’aimerais bien réussir à aller plus loin en repensant parfois complètement la façon de formuler des phrases pour qu’elles soient par nature inclusive (plutôt que de doubler à chaque fois un mot par exemple). »

Ce qui est en jeu ici est à la croisée de la connaissance des 3 grandes conventions du langage inclusif (en tout cas celles que je pratique) et du sentiment que s’exprimer de manière inclusive prend plus de temps et demande un effort, parfois considérable. Je ne peux pas nier que cet effort existe et qu’il prend du temps, temps dont on ne dispose pas toujours quand on est sous la pression d’une deadline ou qu’on répond rapidement sur un chat. Cela dit, il y a une manière simple de réduire le sentiment d’effort : l’entraînement. Et même s’il peut paraître évident que pour parler de manière inclusive comme pour apprendre une langue étrangère on doit s’entraîner, encore faut-il identifier quelles sont les formes et modalités d’entraînement qui sont adaptées à chaque individu, en fonction de son contexte, de son temps disponible, de son objectif. En mode stage intensif à la Wall Street English et/ou en mode gamification comme le propose l’application DuoLingo ?

Frein #3 : une forme d’insécurité linguistique

« Personne d’autre ne l’utilise dans mon entourage » est le troisième mais certainement le plus fort des 3 freins identifiés, qui rentre en résonance avec de nombreux témoignages : pratiquer un langage inclusif crée la peur du jugement et de l’isolement.

« J’appartiens à une minorité ethnique très stigmatisée dans les médias en ce moment et je fais très attention à ça et donc pour l’instant je n’utilise pas le langage inclusif dans mes écrits. Je commence juste à utiliser « bonjour à toutes et à tous » à l’oral. »

Le langage inclusif est perçu, je cite, comme un « acte militant » qu’on ne peut employer que quand on s’adresse à une « audience éduquée » sous peine de passer pour celle ou celui qui « donne des leçons », voire d’être accusé « d’hypocrisie » si on est un homme.
L’isolement est donc craint pour soi en tant que locuteur ou locutrice mais aussi pour les personnes à qui on s’adresse en créant un écart entre les sachant·es et les autres, les militant·es et les autres. Cette forme de mise à l’écart peut se rapprocher du phénomène d’othering où l’on met l’accent sur ce qui nous sépare plutôt que ce qui nous rapproche (par opposition au concept de bridging).
On a aussi peur de devoir se justifier, de rentrer dans un débat dont on craint de ne pas maîtriser tous les arguments et de ressortir ridiculisé·e parce qu’on n’a pas réussi à répondre à toutes les objections (dont vous pouvez retrouver quelques exemples et 10 punchlines pour y répondre ici).
La mention de l’origine ethnique ou du genre masculin du locuteur montre aussi la dimension intersectionnelle de la difficulté à pratiquer le langage inclusif.

Finalement, ce qui se joue ici peut tout à fait s’apparenter à une forme d‘insécurité linguistique.

L’insécurité linguistique peut être définie brièvement comme l’inconfort ressenti par une personne au cours d’un échange verbal, le plus souvent en situation de communication formelle, c’est-à-dire assujettie à une norme linguistique précise, correspondant à l’usage dominant. Cette notion commence à entrer dans l’usage commun car elle peut toucher tout un chacun se trouvant dans une situation de communication formelle où il est appelé à surveiller sa manière de parler.

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Je vois un parallèle évident avec l’idée de surveiller sa manière de parler, d’avoir peur du jugement des autres si on ne s’exprime de la manière majoritaire, ainsi que dans l’inconfort lié au sentiment de ne pas maîtriser les conventions du langage inclusif et de « faire n’importe quoi ».

Comment sortir de cette insécurité linguistique ? Des pistes ont été évoquées par les répondant·es : s’appuyer sur sa position de leader dans une organisation ou un groupe pour inspirer l’expression générale ; créer, surtout dans le monde de l’entreprise, un cadre rassurant et protecteur pour les personnes qui veulent s’exprimer de manière inclusive (comme c’est le cas dans mon entreprise avec les guidelines des équipes marketing) ; surtout renforcer sa confiance en soi pour gérer l’inconfort et faire preuve de bienveillance envers soi-même et les autres pour minimiser le sentiment de mise à l’écart (othering) et créer des liens (bridging).

Comprendre ces freins permet maintenant de s’attarder à la deuxième question sur laquelle je réfléchis actuellement : comment mieux accompagner le passage de la conviction à la pratique ?
Une de mes pistes de réflexion est de m’inspirer des outils du coaching, une pratique bienveillante et sans jugement qui vise à rendre autonomes les individus à la poursuite d’un objectif (ici, ancrer la pratique du langage inclusif) en identifiant freins mais surtout ressources par le questionnement ouvert et la prise de conscience. Tout un programme, non ?

Nous verrons où me mèneront ces explorations mais je retiens en tout cas que ne pas pratiquer le langage inclusif, même quand on est convaincu·e de son utilité, va bien plus loin que de simplement « ne pas connaître les règles à appliquer » : c’est une parcours de déconstruction et reconstruction qui demande engagement, confiance et entraînement.

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10 livres sur le langage inclusif et précis

Aujourd’hui, je vous propose une rétrospective de 10 livres que j’ai lus et aimés en 2021 sur le thème du langage inclusif et précis.

« Le langage inclusif : Pourquoi, comment ? » d’Eliane Viennot, avec une postface de Raphaël Haddad et Chloé Sebagh, Editions Ixe, 140 pages, 15 euros

« En finir avec l’homme, chronique d’une imposture » d’Eliane Viennot, Editions Ixe, 114 pages, 6,50 euros

« Le cerveau pense-t-il au masculin : cerveau, langage et représentations sexistes » de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel, Le Robert, 172 pages, 18 euros

« Qui veut la peau du français ? » de Christophe Benzitoun, Le Robert, 282 pages, 22 euros

« Le français est à nous : petit manuel d’émancipation linguistique » de Maria Candea et Laélia Veron, La Découverte Poche, 224 pages, 10,50 euros

« La Ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des noms » de Bernard Cerquiglini, Points, 232 pages, 7,10 euros

« Genre, langue et politique : le langage non sexiste en débats », Cahiers du Genre aux éditions l’Harmattan, 294 pages, 24,50 euros

« Dictionnaire critique du sexisme linguistique », ouvrage collectif, Editions Somme Toute, 260 pages, 22 euros

« Manifeste pour un vin inclusif », de Sandrine Goeyvaerts, Editions Nouriturfu, 90 pages, 10 euros

« Sur les bouts de la langue : Traduire en féministe/s », de Noémie Grunenwald, Editions de la Contre Allée, 186 pages, 19 euros

Bonne lecture !

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10 punchlines pour tenter de survivre aux débats de fin d’année sur l’écriture inclusive

Je le dis et le répète souvent : en plus des 3 conventions simples à suivre pour pratiquer un langage inclusif, la quatrième règle que je m’applique est de faire preuve de bienveillance envers moi-même (je ne suis pas une machine et je vais parfois utiliser un masculin générique, ce n’est pas grave) et envers les autres (il y a un gros travail d’éducation à faire sur ce sujet et on ne peut pas attendre de tout le monde une pratique systématique et immédiate du langage inclusif).

Néanmoins, ma bienveillance a aussi ses limites, notamment dans des contextes où je me trouve avec des personnes qui ne sont pas ouvertes au dialogue authentique voire pratiquent une crasse mauvaise foi.

Aussi, à l’approche de la fin d’année où de nombreuses personnes vont se retrouver dans des fêtes de famille ou avec des connaissances plus ou moins choisies, j’ai décidé de recenser 10 idées-reçues ou arguments fréquemment opposés au langage inclusif (et surtout à l’écriture inclusive) et de proposer 10 punchlines pour les parer.

Evidemment, on n’a pas à engager dans des débats si on n’en a pas envie et il est important de préserver sa santé mentale aussi parfois on préférera botter en touche ou simplement faire comme si on n’avait rien entendu, et c’est ok. Dans les autres cas, j’espère que ces quelques contre-arguments vous seront utiles.



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Dire le féminin ou le masculin en premier ? Comprendre l’ordre de mention [vidéo]

Une des 3 conventions pour parler un langage inclusif est, lorsque l’on parle d’un groupe de personnes mixte en genres, de ne pas employer le masculin générique, comme quand on dit « les collaborateurs » pour parler des hommes et des femmes qui travaillent dans une entreprise.

On peut le faire par l’utilisation de termes épicènes (l’équipe, le corps enseignant) qui englobe toutes les personnes sans marquer le genre ; par l’usage raisonné du point médian (étudiant·es) sur lequel nous reviendrons : par la technique d’énumération aussi appelée double flexion (« Françaises, Français ! »).

Dans ce dernier cas, une question se pose : dans quel ordre dire le masculin et le féminin ? C’est c’est ordre qu’on appelle ordre de mention.

Explication en vidéo et en 2 minutes :

1. L’ordre alphabétique, la version sans connotation

C’est l’option recommandée par exemple par la professeuse émérite de littérature et autrice de « Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! » Eliane Viennot.
Sans connotation, il permet d’éviter les accusations de goujaterie ou de galanterie. Dans la réalité et vu la manière dont on forme les mots masculins et féminins en français, on dira souvent, si on opte pour cette option, le masculin en premier, comme dans « les collaborateurs et les collaboratrices », « les sportifs et les sportives », « l’étudiant et l’étudiante » (mais « les étudiantes et les étudiants »).

2. Le féminin en premier, la version politique

C’est l’option défendu par Pascal Gygax, psycholinguiste et co-auteur de « Le cerveau pense-t-il au masculin ? ».
Pour lui, l’ordre de mention a une signification symbolique et on aura toujours tendance à dire en premier le nom ou la fonction de la personne qui est la plus importante. Cette première place de mention est aussi une première place d’importance. Aussi, il recommande de systématiquement mettre le féminin en premier, comme un juste rééquilibrage après des siècles de patriarcat qui ont relégué les femmes au second rang.

3. Bonus : la spontanéité

A titre personnel, je préfère l’option 2 mais je reconnais que je ne suis pas une machine, et notamment à l’oral, prise dans le flux d’une conversation ou le stress d’une présentation, je ne prends pas toujours le temps d’y réfléchir. Dire le masculin et le féminin, peu importe l’ordre, est déjà un progrès par rapport au masculin générique. Soyons bienveillants avec nous-mêmes et faisons de notre mieux pour respecter déjà cette convention. La parfaite maîtrise de l’ordre de mention est un super bonus, mais pas un indispensable.

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Est-ce que ce monde est sérieux ? Le langage inclusif pour les nul·les

[vidéo] Démystifier le langage inclusif : 1h pour comprendre et se faire un avis

Le jeudi 20 mai 2021, les Ateliers Numériques de Google France ont organisé une journée spéciale dédiée au langage inclusif, en collaboration avec Women@Google, le groupe des Googlers (les employé·es de Google) qui s’engagent en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Cette journée en ligne s’est articulée autour de 3 évènements : une table ronde et deux ateliers pratiques.

J’ai eu le grand plaisir d’animer la table ronde intitulée Démystifier le langage inclusif : 1h pour comprendre et se faire un avis dont vous pouvez regarder le replay en intégralité sur la chaîne YouTube des Ateliers Numériques Google :

https://www.youtube.com/watch?v=a6hlniVlArM


J’étais entourée d’invité·es et expert·es de choc :
Emilia Capitaine, cheffe de projets chez Mots-Clés, agence de communication et d’influence qui oeuvre pour la formation à l’écriture inclusive des institutions.
Pascal Gygax, psycholinguiste expérimental et psychologue cognitif, co-auteur de « Le Cerveau pense-t-il au masculin ? » qui retrace 40 ans de recherche scientifique sur l’impact de l’emploi du masculin générique sur nos représentations des femmes et des hommes.
Vinciane Mouronvalle Chareille, fondatrice de l’agence UniQ en son genre qui accompagne des entreprises et des individus pour mettre en oeuvre l’égalité des personnes notamment grâce à la pratique du langage ouvert.


Pendant cette table ronde, nous avons échangé sur la définition et les objectifs du langage inclusif (12:02), les résultats des études de psycholinguistique qui montrent la difficulté rencontrée par notre cerveau à imaginer le masculin comme vraiment générique (19:40), l’impact sur les jeunes enfants de tout dire au masculin notamment dans la projection dans les métiers (27:01), les 3 conventions recommandées pour s’exprimer de manière inclusive (30:04), la spécificité française de l’intensité du débat sur l’écriture inclusive et la question de l’accessibilité notamment pour les personnes dyslexiques (43:23), le point médian comme un des outils dont on peut tout à fait se passer (49:20), pourquoi se former (52:20), l’impact pour les entreprises et les institutions qui pratiquent le langage inclusif (56:30), des références pour aller plus loin (1:01:6)

Pédagogie, bienveillance et précision résument bien l’esprit de cette table ronde à revoir en replay sur la chaîne des Ateliers numériques Google.

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J’ai testé 3 mois de langage inclusif : les résultats

L’heure du premier bilan a sonné : voilà environ 3 mois que je pratique le langage inclusif au quotidien, dans le cadre professionnel et personnel. Qu’est-ce que ça a changé pour moi ? Est-ce que j’ai pu mesurer un impact ? J’arrête ou je continue ? Réponses.

Le cadre de l’expérimentation

En réalité, cela fait bien plus longtemps que je m’exprime de manière inclusive mais je retiens cette échéance de 3 mois car elle correspond au moment où j’ai ancré dans ma pratique les 3 règles simples du langage inclusif. Auparavant, j’improvisais un peu, utilisant le point final ou médian sans trop faire attention, dans des formulations que je ne recommande plus aujourd’hui (comme consommateur·ice), bref le cadre de ma pratique était assez peu rigoureux.

Je fais en sorte de m’exprimer de manière inclusive le plus souvent possible, avec mes collègues, mes ami·es, ma famille, et notamment les membres de mon foyer qui comporte 3 enfants. Je parle inclusif et j’écris inclusif, notamment au travail où je produis quantités d’emails et de présentations sous formes de slides (ou diapositives). Je commente à l’oral ces mêmes présentations dans des rendez-vous client·es en petit comité ou dans de grandes assemblées. Bref, j’ai beaucoup d’opportunités de m’exprimer, et je dois certainement être au-dessus des 15 000 mots qu’on dit en moyenne chaque jour. A minima, j’ai donc prononcé plus de 1 350 000 mots en 3 mois, une base statistique assez forte pour tirer des premières conclusions.

1. C’est facile et ça améliore mon style

Première chose : ce n’est pas du tout difficile. Evidemment, je sais que j’ai un engagement supérieur à la moyenne dans le fait d’avoir une pratique rigoureuse, mais j’ai vraiment le sentiment que j’ai très rapidement acquis les automatismes qui me font adopter de manière spontanée la double flexion (énumération « auteur et autrice », par exemple) et bannir de mon vocabulaire les formulations comme « bonjour à tous ».

Si pendant les premières semaines, je me suis rendue compte que je cherchais parfois pendant plusieurs secondes comment remplacer une formulation par une autre pour alléger une phrase que je trouvais trop lourde (à force d’énumérer des masculins et des féminins par exemple), ces temps ne dépassaient jamais 30 secondes et ont fini par naturellement se réduire au fur et à mesure que je me suis habituée non pas à rendre inclusif des textes qui ne l’étaient pas (comme une traduction), mais à écrire avec une intention d’inclusivité (comme une rédaction).
Par exemple, quand je parle de tendances de consommation, je dis souvent consommateurs et consommatrices. J’ai fini par remplacer ces énumérations longues par d’autres formulations plus simples mais aussi souvent plus impactantes, plus punchy.
Au lieu de dire « Les consommateurs et consommatrices de Produit Machin sont aussi très intéressé·es par le Produit Truc », j’utilise le verbe à l’infinitif, des formules passives ou le pronom impersonnel « on ».
« Consommer le Produit Machin va souvent de pair avec consommer le Produit Truc »
« On a plus tendance à consommer le Produit Truc si on consomme le Produit Machin »
« Le Produit Truc est plus consommé par celles et ceux qui consomment le Produit Machin »

Cette gymnastique d’expression montre aussi qu’il n’y a jamais une seule manière de rendre un texte inclusif, ce qui est aussi un très bon booster de créativité. Ça force à sortir un peu de ces formulations toutes faites, à les diversifier, et en cela je trouve que ça améliore finalement la qualité des contenus. Au lieu d’alourdir mon expression le langage inclusif l’allège en me forçant à réfléchir à mes choix lexicaux et syntaxiques.

Enfin, je réalise que j’ai finalement assez peu recours au point médian : dans cet article de plus de 1500 mots, je ne l’ai par exemple utilisé que 4 fois (en excluant la mention du nom re·wor·l·ding). C’est peu.

2. Ça exacerbe mon regard critique

Effet que je ne qualifierais pas de pervers mais parfois fatigant : impossible de ne pas remarquer quand une autre personne s’exprime de manière non inclusive. Chaque « bonjour à tous » est comme une piqûre qui me tend une petite fraction de seconde. Evidemment, je ne suis pas la police du langage, donc je m’abstiens de « corriger » ces personnes ou de systématiquement faire un commentaire, même bienveillant, sinon je passerais mon temps à le faire. C’est une bon exercice de pratique du détachement, au fond.

En revanche, me promener dans la rue ou surfer sur Internet et être exposée à de la publicité est une source maintenant infinie de repérage de langage non inclusif. J’ai commencé à capturer ces publicités et à interpeler sur les réseaux sociaux les marques et entreprises qui pourraient faire plus d’efforts. Je ne dis pas que cela va transformer radicalement la communication publicitaire, mais c’est une forme d’activisme concrète qui est à la portée de tout le monde. Je suggère des formulations inclusives (#réécritureinclusive) notamment dans cette story à la une sur le compte Instagram de re·wor·l·ding, ce qui me fait aussi un bon exercice pratique, comme un entraînement.

3. Ça crée des effets de mimétisme

Au-delà des effets que cette pratique a sur moi, l’impact le plus évident que j’ai observé est le mimétisme de mon entourage professionnel et personnel.

Comme je systématise le fait de bien marquer le féminin en plus du masculin, certaines personnes ont commencé à m’imiter. A l’écrit, j’ai vu fleurir des points médians (ou des tentatives de ponctuation inclusive) dans les emails ou les messages de mes collègues. A l’oral, j’ai remarqué qu’une personne avec qui j’échangeais au sein d’un groupe a, au fur et à mesure de la conversation, délaissé le masculin (pensé comme générique) au profit de l’énumération. En fonction des contextes et des personnes, je me permets parfois de faire remarquer qu’on parle aussi des consommatrices, des auditrices ou des lectrices, et ça a souvent l’effet de rallier la personne avec qui je parle à l’inclusif, au moins le temps de notre échange.

Mais le phénomène de mimétisme le plus flagrant s’est produit sur mon fils cadet qui a presque 5 ans (en moyenne section de maternelle). Evidemment, nous parlons beaucoup d’égalité femmes-hommes à la maison, d’autant plus que j’ai 3 garçons. Ils ont déjà entendu maintes fois parler de patriarcat, de sexisme et les histoires que nous lisons (que je ne choisis pas toujours) sont souvent le support d’exercices de déconstruction (les princesses mariées par leur père, it’s not ok). La semaine dernière, mon conjoint lisait justement l’histoire du soir qui commençait par « Chers lecteurs », et mon fils de l’interrompre et de dire « et chères lectrices » ! 3 jours plus tard, discussion TopChef où je parle des candidats, et lui de me reprendre et ajouter « et des candidates ». Evidemment je fonds d’amour dans ces moments, mais surtout je réalise à quel point parler aux enfants de manière inclusive (déjà sur un plan égalité femmes-hommes) contribue à créer ces automatismes de représentations dans leurs jeunes cerveaux. Et c’est tellement encourageant !

4. Ça passe inaperçu

Les Académiciens ont hurlé au « péril mortel » quand est arrivée dans le débat public l’écriture inclusive, comme le rappelle cet extrait de leur déclaration :

Devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

Le site de l’Académie Française

Alors évidemment, ce n’est pas à moi toute seule que je risque de tuer la langue française, mais je constate simplement que la pratique d’un langage inclusif n’a conduit à strictement aucune marque d’incompréhension, de rejet ou de résistance. Et si de tels jugements ont été pensés par mon entourage, personne n’a jugé bon de m’en faire le commentaire, de me demander des explications ou de suggérer de faire différemment.

Certes, je travaille dans un environnement très bienveillant et j’éduque beaucoup au langage inclusif autour de moi. Je ne prétends pas que mon expérience est représentative.
Mais il y a aussi une autre explication : les gens ne s’en rendent tout simplement pas compte. Parce que dans les formes que je pratique, il n’y a pas de mots nouveaux (pour le moment), que mon usage du point médian est raisonné, et qu’en réalité il n’y a rien de choquant à parler des hommes et des femmes quand on s’exprime.
Vous me direz qu’alors, si les gens ne le remarquent même pas, ça ne sert peut-être à rien. Mais aujourd’hui, la grande majorité des discours continue à se faire au masculin dit générique et cela laisse des traces sur les représentations que l’on se fait de la place des hommes et des femmes dans la société, comme le montre les arguments scientifiques de la psycholinguistique.

Le bilan de ces 3 premiers mois est donc très concluant : même s’il n’engage que moi et mon expérience, dans un contexte donné, je pense qu’il peut inciter celles et ceux qui seraient réticents à franchir le pas. Car l’impact sur soi-même comme sur les autres est concret. Pas toujours mesurable, et parfois juste anecdotique, mais bien présent.
Les clés du succès ? S’appuyer sur les 3 règles du langage inclusif pour passer de l’improvisation à une pratique stable ; faire preuve de bienveillance envers soi-même et ne pas se mettre une pression folle, on fait de son mieux ; faire preuve de bienveillance avec les autres et ne pas leur mettre une pression folle, on espère que le temps viendra pour ces personnes un jour (et on y travaille).

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Le langage inclusif pour les nul·les

Faut-il inventer de nouveaux mots plus inclusifs ?

Comme le dit fréquemment Eliane Viennot, le français n’a pas besoin d’être féminisé pour être moins sexiste (notamment sur les noms de métiers) et la langue est très bien équipée pour former à partir d’une même racine des mots masculins et féminins. Ce sont les gens qui doivent faire un usage moins sexiste de la langue. Cependant, si l’objectif d’un langage inclusif est de faire en sorte que toutes les personnes soient représentées dans le discours oral ou écrit, alors comment faire pour inclure les personnes qui se définissent comme non-binaires ?

La non-binarité est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner la catégorisation des personnes, dites non-binaires ou genderqueer, dont l’identité de genre ne s’inscrit pas dans la norme binaire, c’est-à-dire qui ne se ressentent ni homme, ni femme, mais entre les deux, un mélange des deux, ou aucun des deux.

Wikipédia

Le défi du français, une langue grammaticalement genrée

Toutes les langues ne traitent pas les genres de la même manière. Certaines sont agenres (comme le finnois, le turc, le chinois) et seuls les noms et adjectifs spécifient le genre des personnes ; d’autres sont naturellement genrées (comme l’anglais) et le genre s’exprime essentiellement par les pronoms ; d’autres enfin (comme le français, l’allemand, l’espagnol) sont grammaticalement genrées et le genre est omniprésent comme catégorie grammaticale.

Le français est donc une langue où le genre grammatical est particulièrement important. Or, si aujourd’hui les deux genres exclusivement utilisés sont le masculin et le féminin, le genre neutre qui a existé dans une version très ancienne du français a quant à lui disparu (ou quasiment).

Quel que soit le choix que l’on fait pour écrire de manière plus inclusive et les principes que l’on suit, s’en tenir aux deux genres de la langue française exclut donc nécessairement les 6% de personnes qui ne se définissent pas de façon binaire (13% chez les 18-30 ans, sources YouGov et Opinionway pour 20 minutes, 2018).

Il est intéressant de noter que même des langues où le genre est moins fort mais tout de même présent comme l’anglais ont normalisé des usages neutres pour les pronoms personnels : en anglais, they et en suédois hen (le suédois a même un genre commun, qui désigne le masculin et le féminin pour les personnes, n’est-ce pas génial). Mais pourquoi ne le ferions-nous pas en français ?

Inventer des mots nouveaux, le propre d’une langue vivante

Le saviez-vous ? Il existe en France depuis des décennies une Commission d’enrichissement de la langue française chargée de doter la langue des mots nécessaires à nommer les nouvelles réalités dans les domaines scientifiques et techniques et qui a inventé près de 8500 mots. A chaque édition, les dictionnaires s’enrichissent de nouveaux mots qui font l’objet d’articles vantant la vitalité du français, comme celui-ci dans Le Monde où Bernard Cerquiglini (auteur du très instructif Le Ministre est enceinte sur la féminisation des noms de métiers et fonctions) apporte la définition suivante :

« Qu’est-ce qu’un mot nouveau ? C’est un mot dont on pense qu’il va vivre, qui n’est pas un effet de mode, qui est dans l’usage oral et écrit »

Bernard Cerquiglini

Inventer de nouveaux mots est donc une pratique courante : qu’est-ce qui nous empêcherait d‘inventer des mots neutres qui seraient donc, eux, totalement inclusifs ?

C’est une des pistes que suggèrent les travaux de certain·es linguistes comme Alpheratz, découvert·e dans le podcast Mécréantes, et qui explique très bien pourquoi on aurait intérêt à s’outiller d’un genre neutre.

Le genre neutre en grammaire française permet de s’exprimer dans une langue non sexiste, et d’éviter de reproduire une vision androcentrique, binaire et discriminante du monde. Cette discrimination faisant partie de notre éducation dès l’enfance, nous ne la remettons pas en cause, jusqu’au jour où nous nous retrouvons en situation d’échec aux prises avec notre langue, que l’on découvre incapable de nommer et communiquer une pensée qui ne soit pas sexiste. C’est alors que nous réfléchissons sur les mots, et à de meilleurs moyens de nous dire et de dire le monde.

Alpheratz se définit comme écrivan et cherchaire, termes neutres créés à partir de la même racine (radical) que écrivain et chercheuse complétée d’un suffixe neutre en -an (comme dans vegan) ou -aire (comme dans libraire ou bibliothécaire). Alpheratz propose aussi l’utilisation du néopronom neutre al et ses dérivés (plus de détails ici).
Ce pronom nouveau est une alternative à d’autres néopronoms inclusifs comme iel ou iels apparus il a quelques années pour parler des personnes non-binaires mais qui reste une fusion du masculin et du féminin, donc une sorte de perpétuation de la binarité. On répertorie aussi ael, olu, ul, ol et leurs variantes.
Une autre piste consiste à ajouter un x, lettre représentant la non-binarité, à des mots existants comme dans touxtes (pour tous, toutes et les personnes non-binaires) ou dans certaines formes de graphies incluant le point médian comme agriculteur·rice·x.

Des formes multiples pour un objectif commun


Pour se rendre compte de la variété des possibilités offertes, il suffit de faire un tour sur enclusif.fr, le premier dictionnaire collaboratif pour écriture inclusive.
Pour chaque entrée, le dictionnaire suggère différentes possibilités, y compris une version non-binaire.

Si la construction et l’usage de nouveaux mots, notamment pour parler différemment des assignations de genre, a commencé dans les milieux militants, elle se répand progressivement et c’est l’usage qui finira (pour un temps) par ancrer certains de ces mots dans le français. Dans tous les cas, je trouve sain, enthousiasmant et nécessaire que le processus de déconstruction de la langue française comme vecteur de maintien des stéréotypes de genres (entre autres) s’accompagne d’un processus de construction. Et c’est d’ailleurs pourquoi j’aime tant le mot reworlding.

Nées dans une époque tout infusée de déconstruction philosophique et de bouleversement civilisationnel avec le passage au numérique, les jeunes générations inaugurent à présent une ère de construction

Alpheratz

Comment intégrer ces mots à sa pratique du langage inclusif ?

Maintenant, il tient à chaque individu de faire des choix de vocabulaire (les mots), de graphie (la manière dont on écrit ces mots) et de syntaxe (la manière dont on organise et accorde les mots dans une phrase) en fonction de ses objectifs et de son contexte.

Je ne peux que partager ce qui guide à ce jour ma pratique, et ce sans jugement, car je rappelle qu’un principe essentiel pour moi est de faire de son mieux, d’avoir conscience qu’on va faire des erreurs (et je pense qu’il y en a certainement dans cet article) et d’être prêt·e à les reconnaître et évoluer.

Comme un de mes principaux objectifs est d’encourager la pratique d’un langage inclusif dans le monde professionnel, je fais le choix tout d’abord des pratiques qui entraînent le moins de résistance (l’énumération binaire, les formulations épicènes, le point médian dans un usage raisonné…comme je l’explique ici). Je n’utilise que très peu les mots nouveaux cités ici que je réserve à des conversations que je peux avoir avec des personnes déjà convaincues, voire militantes.

Une autre raison est mon interrogation autour de l’accessibilité et la lisibilité des mots (que je développe dans Les textes écrits de manière inclusive sont-ils vraiment illisibles ?) et comme, dans une perspective d’éducation, je souhaite être comprise par le plus grand nombre j’attends que les usages imposent certains de ces termes et j’évite les formulations à la graphie complexifiée comme agriculteur·rice·x·s.
J’ai conscience que c’est paradoxale car je suis moi aussi vectrice d’usage, et je revendique le pouvoir des mots sans donc le mettre à profit de l’inclusion complète des personnes non-binaires. Et cette position évoluera certainement.
Mais pour l’instant, c’est là qu’en est mon parcours de déconstruction.

Si je suis donc convaincue que le français a besoin d’un vocabulaire complètement dégenré pour être totalement inclusif, je suis aussi consciente du contexte actuel et de la grande résistance qu’on connaît surtout en France autour du langage inclusif. Je choisis donc en fonction des contextes, des personnes à qui je m’adresse, et des mes objectifs (éduquer, provoquer ou expliciter mon engagement militant) les formes de langage qui me semblent les plus appropriées.

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Les textes écrits de manière inclusive sont-ils illisibles ?

C’est un des arguments les plus souvent mis en avant pour disqualifier l’usage d’un langage inclusif : il conduirait à écrire des textes illisibles. Mais ça veut dire quoi au juste, un texte illisible ? Illisible par qui ? Et le langage inclusif l’est-il tant que ça ?

Celles et ceux qui veulent rendre l’écriture inclusive hors-la-loi.

L’écriture inclusive (qui est, encore une fois, un volet seulement du langage inclusif) a commencé à sérieusement faire débat en 2017 quand Hatier a mis sur le marché un manuel scolaire avec quelques points médians. Avant cela, on a débattu grandement de la féminisation des noms de métiers, et après cela, on a restreint l’intégralité du débat à l’utilisation de signes comme le point médian (ou point milieu) et les différentes tentatives de rendre des mots plus inclusifs en modifiant leur graphie (la façon dont ils sont écrits).

Récemment, des actions en justice ont été intentées par diverses personnalités politiques pour rendre hors-la-loi l’écriture inclusive, comme celle de Patrick Reboul mécontent du nouveau règlement intérieur de la ville de Périgueux, ou de François Jolivet, député qui a déposé une proposition de loi pour l’interdire dans les documents administratifs.
Je vous recommande cette vidéo de Linguisticae avec la juriste AngleDroit pour tout comprendre de cette proposition.

Cette semaine encore un groupe de député·es a déposé une nouvelle proposition de loi visant même à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive, allant jusqu’à instaurer des amendes de 5000 euros aux enseignant·es qui la pratiqueraient. Parmi les arguments mis en avant, la dimension excluante de l’écriture inclusive qui serait donc illisible (je vous recommande par ailleurs la lecture de la proposition qui est un excellent condensé de tous les arguments classiques contre l’écriture inclusive).

Je trouve particulièrement intéressant de s’attarder sur cette question car derrière des approximations qui témoignent de la méconnaissance encore très répandue dans le monde politique autour de la question du langage inclusif, elle met en lumière un vrai enjeu : celui de l’accessibilité de l’écriture inclusive.

Et si on retirait un instant le point médian de la discussion ?

Comme le précise Marie-Loison Leruste, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Sorbonne Paris Nord :

Le problème ne porte pas sur l’écriture inclusive, mais plutôt sur l’égalité femmes-hommes.

Marie-Loison Leruste, Article du Nouvel Observateur, 19 février 2021

L’objectif est d’avoir une meilleure représentation des femmes et des hommes dans les textes administratifs, les formulaires, les lois, et donc in fine dans la société car le langage forge nos représentations (et au passage on exclut déjà de ce débat les personnes non-binaires qui ne se reconnaissent ni dans un genre ni dans l’autre).

Pour remplir cet objectif on a différentes possibilités, et on recommande 3 principes simples :
1. utiliser la version féminine des noms de métiers quand on parle des femmes
2. Utiliser les déclinaisons féminines et masculines, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, le recours aux termes épicènes ou l’usage raisonné du point médian.
3. ne pas dire Les hommes ou l’Homme pour parler de l’Humanité, ni La Femme pour parler des femmes de manière générique.

Aujourd’hui, c’est le point 2 qui cristallise les crispations car la modification de la graphie des mots par des signes de ponctuation (point médian, final, italique, majuscule…) est considérée comme illisible.
A juste titre, on rappelle que « nul n’est censé ignorer la loi » (repris ici dans sa version non inclusive originelle) et que pour cela, la loi doit être écrite d’une manière qui soit compréhensible par tous et toutes.
Mais le langage inclusif entrave-t-il vraiment ce principe ?

Tout d’abord, il faut rappeler un élément fondamental : rien ne contraint à avoir recours au point médian pour écrire un texte de manière inclusive.
Le point médian est simplement une manière de créer une abréviation pour éviter d’écrire deux mots : « chirurgien·ne » à la place de « chirurgien et chirurgienne ». On peut donc à l’inverse choisir de développer l’énumération plutôt que de l’abréger.
Et on peut également avoir recours à des mots épicènes (non marqués en genre) : comme le personnel soignant, la clientèle, les Internautes…

Réduire le langage inclusif à l’écriture inclusive, et l’écriture inclusive au point médian, et ensuite vouloir l’interdire d’un bloc, c’est un peu comme refuser d’entrer dans un restaurant sous prétexte qu’il y a un plat qu’on n’aime pas à la carte.

Et si on arrêtait de confondre accessibilité et lisibilité

Imaginons que l’on choisisse d’utiliser le point médian dans un texte administratif : cela le rend-il moins lisible ?

La question se pose tout à fait légitimement pour les personnes dyslexiques par exemple ou celles et ceux qui ont des difficultés de lecture, comme les 7% de personnes illettrées de la population Française.
On ne parle plus seulement de lisibilité (la facilité de compréhension d’un texte) mais aussi d’accessibilité (la possibilité même donnée à chacun·e de comprendre ce texte). C’est donc un enjeu fondamental d’équité entre les usager·es d’un service public et il semblerait complètement paradoxal de promouvoir une forme d’écriture qui exclurait une partie des personnes.

La réalité c’est que pour le moment les données manquent pour mesurer l’impact de l’écriture inclusive sur la lisibilité et les associations représentant les personnes dyslexiques ne s’accordent pas encore. En août 2020, la FFDys (Fédérarion Française des dys) a émis un avis reconnaissant l’importance de pratiquer un langage inclusif et recommandant de privilégier les principes 1 et 3 évoqués ci-dessus, en décalant l’enseignement du 2e principe jusqu’à ce que les élèves ne soient plus des lecteurs et lectrices précaires. Il est aussi important de garder en tête qu’il y a une grande variété de dyslexies, et il est difficile de généraliser une règle qui s’appliquerait parfaitement à tout le monde.

Je précise aussi que des solutions techniques se développent rapidement pour offrir à toutes les personnes en difficulté de lecture des outils comme des lecteurs d’écrans (qui lisent le contenu d’une page web pour les personnes aveugles par exemple) et qui peuvent tout à fait être programmés pour comprendre les points médians. En 2018 s’est tenu un Hackaton Ecriture Inclusive et de nombreuses pistes intéressantes ont émergé pour rendre l’écriture inclusive aussi accessible que possible grâce aux outils numériques.

Enfin, si l’accessibilité des textes de loi est devenue un objectif reconnu par Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 décembre 1999, on y a ajouté un objectif d’intelligibilité : assurer la lisibilité et écrire les dispositions de loi de manière suffisamment précise et sans formules équivoques (qui ne sont pas claires). Or je trouve qu’il y a une contradiction ici : les lois et les textes administratifs sont difficiles à comprendre pour la plupart des citoyen·nes qui n’ont pas de formation juridique. Ecrire ces mêmes textes de manière inclusive (ce qui pourrait tout à fait se faire sans le point médian, vous l’aurez compris), peut éventuellement les rendre plus longs, mais pas plus difficiles à comprendre. Si l’objectif défendu est vraiment celui de l’accessibilité, le vrai travail pour rendre ces textes accessibles et intelligibles serait de simplifier leur rédaction par des phrases plus courtes et un vocabulaire moins technique. Le problème ici, ce n’est pas l’écriture inclusive.

Et si on se mettait plutôt d’accord sur des conventions communes ?

Ce que je trouve frappant dans les réactions autour de l’écriture inclusive, c’est la posture quasi systématique de ses détracteurs et détractrices à vouloir l’interdire et même maintenant la pénaliser. En dehors du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (qui a publié des recommandations en la matière), la sphère politique (et plus particulièrement La République en Marche, Les Républicains et le Rassemblement national qui ont été les partis porteurs des propositions ou actions citées plus hauts) est sans cesse dans l’opposition mais jamais dans la proposition constructive.
On pourrait très bien commencer par s’accorder sur des conventions communes (avec ou sans point médian), allouer des budgets de recherche pour mesurer l’impact du langage inclusif notamment sur l’apprentissage de la langue et en particulier pour les personnes qui ont des difficultés de lecture, proposer de mener des tests dans certaines écoles ou administrations, impliquer les citoyen·nes dans des consultations publiques.
La littérature scientifique prouve déjà l’impact positif d’un langage inclusif sur la diminution des stéréotypes de genre ; passons à l’étape suivante pour définir comment la mettre en oeuvre.

L’argument de la lisibilité est donc pour moi un des seuls arguments légitimes à l’encontre de l’écriture inclusive car en réalité c’est la question de l’accessibilité qui est posée, et l’écriture inclusive ne peut pas conduire à une pratique qui exclut. Mais cet argument mérite encore d’être étoffé par des preuves scientifiques qui manquent et je trouve dommage que ce soit l’arbre qu’on utilise pour cacher la forêt des multiples possibilités qu’il existe de pratiquer un langage inclusif de manière lisible et accessible. Et c’est ce qu’on fait quand on réduit l’intégralité du débat autour du langage inclusif à la présence de points médians dans des textes.

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Le ROI du langage inclusif

Derrière ce titre un peu piège à clics, mon objectif est de prouver qu’on a beaucoup plus d’avantages à encourager la pratique du langage inclusif en entreprise qu’à ne pas le faire. J’emploie à dessein le terme de ROI, ou retour sur investissement, car je suis convaincue que ce mouvement vers un langage plus inclusif doit être lancé par tout le personnel de l’entreprise, mais que parmi les équipes de direction qui définissent les orientations stratégiques, la rentabilité, traduite par le ROI, reste un facteur déterminant de décision.
Si demain vous voulez donc convaincre votre chef·fe que le langage inclusif ce n’est pas seulement important mais aussi rentable, voici quelques arguments.

Les coûts du langage inclusif


La sensibilisation puis la formation des équipes (à tous les niveaux de l’entreprise)
Je me suis formée en 2h auprès de l’agence Mots-Clés sur la pratique de l’écriture inclusive pour 90 euros (format standard, il existe certainement d’autres formules). Je pense que le panel des formations disponibles doit continuer à s’étendre, et les entreprises vont avoir des besoins variées, allant de la sensibilisation de toutes les équipes, à la formation plus poussée de certains services ou personnes référent·es en interne (parlons-en ensemble si vous avez envie de lancer ces formations dans vos entreprises).
Les entreprises (en tout cas celles d’une certaine taille) ont de toute façon des budgets de formation à provisionner. Si vous avez déjà suivi une formation payée par votre entreprise qui ne servait à rien, vous savez qu’il y a sans doute là de l’argent à mieux investir.


Le temps des collaborateurs et collaboratrices
Le temps c’est de l’argent comme dit l’adage, aussi, on ne peut pas simplement faire comme si cela ne prenait pas du temps. Temps de se former, donc, mais aussi potentiellement temps des personnes qui en entreprise pourraient composer des comités de relecture inclusive, comme je le propose ici, c’est-à-dire des référent·es en langage inclusif ayant pour mission de relire les documents produits pour l’interne et pour l’externe afin de s’assurer d’éviter les formulations et les illustrations sexistes mais aussi de manière plus large homophobes, racistes, validistes…

La rédaction d’une charte du langage inclusif spécifique à l’entreprise (facultatif).
Cela peut être un bon moyen de transformer plus en profondeur l’entreprise, en ralliant tout le personnel autour de pratiques communément définies dans une charte, au même titre que le règlement intérieur ou la convention collective. Cette rédaction pourrait nécessiter l’accompagnement par des expert·es.
Cependant, les principes du langage inclusif sont en réalité assez simples, et même si une charte peut accélérer son adoption, elle n’est pas indispensable, aussi je ne la compte pas comme un coût forcé.

Je ne vois honnêtement pas d’autres coûts : pas besoin de logiciel, pas besoin d’embaucher des profils particuliers, pas besoin d’envoyer ses équipes se former très loin.

Les bénéfices du langage inclusif

L’impact sur la réduction des inégalités de genre
Vous allez me dire que ça, c’est très difficile à quantifier, et c’est vrai. Mais derrière cette idée, je veux surtout adresser une critique souvent faite au langage inclusif (et une des seules à mon sens qui mérite qu’on la discute, au même titre que la lisibilité et l’accessibilité de ce langage) : ça ne servirait à rien, et surtout pas à lutter contre le sexisme.
C’est un sujet très complexe et si vous avez un peu de temps, je vous recommande vraiment la lecture de cet article de Bunkerd, Ecriture inclusive : parlons faits et science, qui reprend les arguments et contre-arguments d’un point de vue scientifique et avec minutie.

En substance, les argument scientifiques, y compris des études et expérimentations comparant les niveaux de sexisme dans les différents pays en fonction de la langue parlée (toutes les langues ne traitent pas le masculin et féminin de la même manière, certaines ont un neutre…), montrent bien que oui, le langage contribue à forger nos représentations.

La médiatisation du débat sur l’écriture inclusive a été minée de caricatures et la science en a été la grande absente (…). Pourtant, la littérature scientifique apporte des éléments pertinents : oui, un langage inclusif a un impact et peut permettre notamment de réduire le rôle des stéréotypes de genre dans les aspirations professionnelles des un·e·s et des autres ; non, le masculin n’est pas si neutre dans sa pratique.

Article sur Bunkerd


Mon exemple préféré est l’étude qui a montré que parler constamment au masculin des noms de métiers, notamment quand on présente à des étudiantes des descriptifs de ces mêmes métiers, les fait moins se projeter dans ce métier que des formulations inclusives. En gros, à force de ne parler que de concepteurs-rédacteurs, les jeunes femmes ne se voient pas devenir conceptrices-rédactrices.

Evidemment, ce n’est pas uniquement en promouvant un langage inclusif que l’on mettra fin au sexisme, car le sexisme est l’un des éléments d’un système complexe, le patriarcat, qui lui-même est composé de nombreuses couches. Mais le langage est partout, tout le temps, alors l’ignorer ne peut que conduire à ralentir la chute du système de domination masculine.

Rendre concrets les engagement de l’entreprise en faveur de la diversité et de l’inclusion
On dit : actions speak louder than words (tiens, est-ce que j’aime bien cette expression finalement ?) et en matière d’engagement RSE des entreprises, c’est encore plus vrai. Créer un environnement de travail inclusif fait de plus en plus souvent partie des engagements des entreprises qui veulent promouvoir la diversité par leur recrutement et s’assurer la rétention de leur personnel par la mise en avant de valeurs inclusives.
Quoi de plus concret, immédiatement visible, facile à mettre en oeuvre, que la promotion d’un langage inclusif dans l’entreprise ?
Proposer des formations spécifiques, s’assurer que la communication de l’entreprise soit inclusive, que les dirigeant·es s’engagent sur ce sujet et en parlent, quoi de mieux pour rejaillir positivement sur la marque employeur ?

Au final, perte ou profit ?

Evidemment, je vais avoir du mal à conclure cette argumentation avec une formule mathématique, à l’image des bilans comptables. Mais je suis à peu près sûre que c’est peu couteux à mettre en oeuvre et que ça peut potentiellement rapporter gros.
Et je peux partager ma conviction : alors qu’on écrit dans le cadre professionnel des tonnes d’emails, de présentations et documents en tous genres, de messages de chat, le monde de l’entreprise est un terrain d’opportunités (que l’on soit salarié·e, dirigeant·e, indépendant·e, chef·fe d’entreprise…). On y a finalement le pouvoir de contribuer à une représentation plus juste du monde en choisissant et diffusant les mots justes, par la pratique d’une solution simple et peu coûteuse à mettre en oeuvre, le langage inclusif.