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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis (presque) pas : bonjour à tous !

Il me semblait évident qu’un des premiers articles de re·wor·l·ding devait être consacré à “bonjour à tous”.
Rentrer dans une salle de classe et saluer ses élèves ou ses camarades, rentrer dans une salle de réunion et saluer ses collaborateurs et collaboratrices, monter sur une scène et saluer son audience : ces moments que l’on vit régulièrement sont autant d’opportunités malheureusement souvent manquées de pratiquer un langage inclusif.

Est-ce que vous vous adressez si souvent que ça à des assemblées exclusivement masculines ?


Ce tous marque bien en langue française que l’on s’adresse à des hommes exclusivement, alors pourquoi continuer à l’employer quand on s’adresse à des assemblées mixtes en genre ?
Vous me rétorquerez que dans ce cas, le masculin (grammatical) prend la forme d’un neutre qui représente tout le monde, en vertu de cette règle bien répandue du masculin qui l’emporte sur le féminin, que l’on apprend dès notre plus jeune âge sur les bancs de l’école.

Sauf que moi je vous répondrai 3 choses :

D’ABORD, si cette règle s’est imposée, ça a été par volonté de modeler la langue française à l’image de ceux (et non pas de celles) qui souhaitaient la masculiniser, à l’encontre même des usages de l’époque et pour imposer la prétendue supériorité masculine («Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle», Beauzée, Grammaire générale… 1767). Je vous renvoie encore une fois à Eliane Viennot pour une perspective historique sur cette entreprise de masculinisation du français.

ENSUITE, le corps professoral commencent à se mobiliser pour refuser d’enseigner cette règle en employant cette formulation et 314 enseignant·es ont lancé en 2017 un appel en ce sens.

La répétition de cette formule (le masculin l’emporte sur le féminin, ndlr) aux enfants, dans les lieux mêmes qui dispensent le savoir et symbolisent l’émancipation par la connaissance, induit des représentations mentales qui conduisent femmes et hommes à accepter la domination d’un sexe sur l’autre, de même que toutes les formes de minorisation sociale et politique des femmes.

Appel des 314

Je vous invite à regarder cette vidéo récemment ressortie par l’INA montrant une institutrice enseignant cette fameuse règle à ses élèves, et disant très clairement : “ça veut dire qu’il n’y a pas de petites filles, tout est devenu garçon, le masculin l’a emporté sur le féminin”.

ENFIN, l’emploi systématisé de “tous” pour s’adresser à des groupes mixtes en vertu de ce principe du masculin qui l’emporterait sur le féminin contribue à invisibiliser les femmes. D’ailleurs, cela ne viendrait pas à l’idée de rentrer dans une salle où se trouvent des hommes et des femmes et de dire : Bonjour Messieurs.

Une autre règle qu’on pourrait appliquer ici serait celle de la majorité : on choisirait le genre grammaticale en fonction de la composition majoritaire du groupe. Dans ce cas, on pourrait dire “Bonjour à toutes” si on s’adresse par exemple à un groupe d’enseignant·es ou infirmier·es où les femmes sont généralement majoritaires
Cependant sa mise en pratique n’est pas aisée (on ne peut pas toujours compter avec précision) et encore une fois, dans une perspective d’inclusion, chacun·e doit se sentir représenté·e, et même s’il n’y a qu’une femme ou qu’un homme, on doit aussi s’adresser à elle ou à lui quand on salue.

Voilà pourquoi je ne dis pas bonjour à tous (sauf si je m’adresse à un groupe exclusivement masculin) mais que je préfère un simple bonjour ou bien bonjour à toutes et à tous !

Je précise qu’il existe aussi des pistes de réflexions sur l’invention de mots inclusifs comme toustes ou touxtes (où le x inclus les personnes non-binaires) dont l’usage reste pour le moment marginal. Nous reviendrons sur la question du besoin de l’invention de nouveaux mots inclusifs, mais par souci d’accessibilité, je préfère pour ma part ne pas l’employer pour le moment au profit de l’énumération tous et toutes (dans l’ordre alphabétique, recommandé par les conventions que je préconise) ou toutes et tous (si l’envie m’en prend, je ne suis pas non plus une machine).