C’est le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes et on sait qu’on va voir de nombreuses entreprises mettre avec fierté en avant leurs engagements pour l’égalité professionnelle. Certaines seront authentiques, d’autres moins. Certaines seront ambitieuses et mettront des millions sur la table. D’autres auront des actions symboliques pour ne pas dire anecdotiques. Sans parler de celles qui pratiquent le marketing fainéant (sexualiser le corps des femmes pour vendre, au hasard, du carrelage) et le féminisme washing (prétendre être une entreprise qui promeut l’égalité mais exploiter des femmes pour fabriquer ses produits, par exemple) qui vivent leur heure de gloire tous les ans à cette même période ou se font rappeler à l’ordre sur les réseaux sociaux (coucou la Journée de la femme).
Pourtant, il y a une chose extrêmement simple et accessible que toutes les entreprises pourraient faire et qui contribueraient concrètement (et gratuitement) à renforcer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : écrire leurs offres d’emploi de manière inclusive.
Offre d’emploi : et si on faisait un première impression inclusive ?
Quand Maud Grenier, experte RH et CEO de PeoplePro, m’a contactée pour parler langage inclusif et recrutement, j’ai tout de suite accepté. Pourquoi ? D’abord parce que les offres d’emploi sont un terrain de jeu hyper complet et concret pour mettre en pratique la boîte à outils du langage inclusif, mais aussi parce qu’au-delà du texte, les offres d’emploi sont souvent la première étape par laquelle des candidat·es vont découvrir une entreprise. Et cette première impression est, comme toujours, cruciale.
J’avais déjà partagé sur Instagram quelques exemples d’utilisation de l’écriture inclusive dans les offres d’emploi de la RATP mais aussi de la SNCF dont la Présidente du réseau Mixité, Anne-Sophie Nomblot, avait d’ailleurs expliqué la démarche au salon VivaTech en 2021. L’objectif est simple : recruter plus de femmes.
10 choses à retenir
1. La diversité et la mixité en entreprise ne sont pas qu’une question morale mais aussi une question d’efficacité économique : McKinsey démontre depuis 2015 dans ses études l’impact positif sur les organisations d’une vraie diversité parmi les équipes et la direction ainsi que les meilleurs résultats financiers des entreprises où des femmes font partie de l’équipe dirigeante.
2. Il est important de changer de paradigme de recrutement et de privilégier le culture add au culture fit, c’est-à-dire de recruter des personnes qui pourront apporter une perspective différente à l’entreprise en ajoutant (add en anglais) à la diversité des profiles plutôt qu’en se conformant (fit en anglais) à l’homogénéité des personnes (comme expliqué par Adam Grant dans cette conférence donnée à Stanford)
3. Le langage inclusif est une boîte à outils et il existe de nombreuses méthodes pour écrire un texte de manière inclusive (le point médian étant une de ces méthodes mais dont on peut très bien se passer). Cela dit toutes ces méthodes ne se valent pas : certaines sont plus ou moins discrètes et donc plus ou moins efficaces pour rendre les femmes visibles.
4. Rendre une offre d’emploi inclusive ne se résume pas à écrire H/F dans le titre et on peut opter pour des stratégies de féminisation plus visible (ou féminisation ostentatoire) pour contrecarrer les stéréotypes de genre liés aux métiers (notamment dans le cas des fonctions en anglais ou des mots épicènes). Par ailleurs, le texte de l’annonce est un espace dans lequel l’entreprise qui recrute peut mettre en avant ses engagements concrets en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion comme autant de signaux explicites pour rendre l’entreprise accueillante pour toutes et tous.
5. Le principal frein à la pratique du langage inclusif est la peur : il est très important de faire preuve de bienveillance envers soi-même et de commencer quelque part. Peu importe qu’une offre ne soit pas 100% écrite de manière inclusive ou si la stratégie employée n’est pas la plus efficace pour visibiliser les femmes (voir point 3), l’important est de se lancer.
6. L’argument selon lequel l’écriture inclusive rendrait la lecture difficile pour les personnes dyslexiques est infondé car il se concentre uniquement sur le point médian (dont on peut toujours se passer) et qu’on manque par ailleurs d’études scientifiques mesurant l’impact de ce point pour les dyslexiques. En revanche, il est crucial de pratiquer un langage clair et accessible dans les offres d’emploi, en évitant autant que possible le jargon ou les termes trop techniques qui peuvent décourager les candidatures.
7. Même s’il est vrai que la langue française est mal équipée pour désigner la pluralité des identités de genre (au-delà de la binarité femme-homme), certaines des méthodes du langage inclusif sont plus inclusives que d’autres (épicènes, englobants) et les entreprises engagées sur les questions LGBTQIA+ peuvent le rendre explicite dans le paragraphe de l’offre décrivant leurs engagements, ce qui est un signal fort envoyé aux personnes concernées.
8. Utiliser le langage inclusif dans les offres d’emploi peut avoir un impact positif pour les femmes mais aussi pour les hommes, de la même manière que les petites filles comme les petits garçons se projettent plus dans des métiers quand ils sont décrits de manière inclusive, ce qui suggère des environnements de travail plus ouverts (même si une récente étude a montré que les hommes ont en revanche tendance à se désintéresser des milieux professionnels qui se féminisent largement).
9. Il est temps de sortir de ce que la linguiste Julie Neveux appelle la « mythologie esthétisante du français » et s’intéresser au contexte historique du développement des normes de la langue : le français n’a pas toujours été aussi sexiste et a été masculinisé pour remettre les femmes « à leur place d’inférieure » dans la langue (comme l’a démontré Eliane Viennot) ; le français n’a pas toujours été aussi complexe et la question de l’orthographe ou du respect des règles de grammaire est aussi une manière de distinguer les gens éduqués des autres (comme l’ont montré Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans leur génialissime Ted Talk La faute de l’orthographe). Avoir un recrutement inclusif c’est aussi retenir son jugement sur ce qui serait le « bon usage » du français et s’interroger sur la place que doit avoir (ou pas) l’orthographe dans les critères de sélection.
10. Pour rendre une offre inclusive, on peut aussi réduire le nombre de critère de sélection et prioriser leur ordre de manière à encourager les candidatures de toutes les personnes qui ont le potentiel même si elles n’ont pas forcément toute l’expérience. D’ailleurs, l’idée selon laquelle les femmes postuleraient seulement quand elles remplissent 90% des critères là où les hommes se contenteraient de moins est en réalité une légende urbaine, comme l’explique Marie Donzel dans cet article. Limiter les critères à ce qui est essentiel est donc une bonne manière de maximiser ses chances d’avoir des candidatures diverses.
Je vous invite à regarder le replay du Live LinkedIn : Langage inclusif ou comment trouver les bons mots pour recruter ? où nous avons également analysé 3 offres d’emploi pour donner des exemples concrets d’améliorations inclusives.