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Est-ce que ce monde est sérieux ?

5 signes que le langage inclusif progresse en 2022

Récemment, nous avons connu une nouvelle vague(lette) d’opposition au langage inclusif qui a suscité chez moi un énervement certain. Mais au détour d’un déjeuner avec une traductrice militante du français inclusif et d’une conversation avec le fondateur d’une agence de communication engagée en faveur de l’écriture inclusive, j’ai relativisé. Et j’ai décidé de me concentrer sur le positif : or, des signes de progression du langage inclusif, j’en ai vus au moins 5 ces dernières semaines.

Dans la bouche du Président

Le Président de la République a pris la parole dans une vidéo mise en ligne sur la chaîne YouTube de l’Elysée le 3 octobre intitulée Une méthode nouvelle où il revient sur la mission du Conseil National de la Refondation.
Dans cette vidéo d’un peu plus de 13 minutes, il utilise à de très nombreuses reprises la double flexion, c’est-à-dire un des outils du langage inclusif qui consiste à dire le masculin et le féminin des mots comme dans “infirmiers et infirmières”.

Il l’utilise dès son entrée en matière pour parler à “chacune et chacun d’entre nous” (formulation aussi reprise dans la description de la vidéo) et à “celles et ceux”, formulation dont il a l’habitude et qui lui avait déjà valu lors de son élection en 2017 les foudres de journalistes qui y dénonçaient un “celzécisme” opportuniste (voir l’article de Capital “Parlez-vous le Macron ?”).

Mais Emmanuel Macron ne s’arrête pas là et on note un effort particulier à dire, pour les noms de métiers, le masculin et le féminin : “présidentes et présidents des chambres”, “enseignants et enseignantes”, “pharmaciens et pharmaciennes”, “infirmiers et infirmières”

L’utilisation des doublets n’est pas nouvelle chez Emmanuel Macron et, déjà lors du débat de la présidentielle face à Marine Le Pen, il les a utilisés plus d’une fois. Cela me laisse penser que lui-même comprend bien l’intérêt de dire les deux genres grammaticaux pour mieux représenter femmes et hommes, ou en tout cas pour s’adresser à eux et à elles, sinon il ne s’embarrasserait pas de ces formulations plus longues.
Ce nouveau mandat, qui a vu son précédent ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, farouchement opposé à l’écriture inclusive, remplacé par Pap Ndiaye qui pourrait y être plus favorable, va donc peut-être marquer un contexte politique plus propice au développement du langage inclusif.

D’ailleurs, on notera que vient tout juste d’être remis à jour et publié le Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui contribue à normaliser le langage inclusif comme une pratique souhaitable dans tous les domaines de la sphère publique.

En tout cas, cela me fait dire que si Emmanuel Macron avait lui-même écrit son tract de campagne, il n’aurait peut-être pas fini dernier du classement de la propagande électorale de la présidentielle par le prisme du langage inclusif.

Dans la pub

Ces derniers mois, je n’ai vu que ça (ou presque) : des campagnes publicitaires en affichage avec des points médians dedans.

Campagne publicitaire Klarna, juillet 2022

A tel point que j’en ai écrit un article paru dans l’ADN, Le point médian s’affiche dans la rue : de l’engagement de marque à la distinction publicitaire ?
J’y développe l’idée suivante :

Que ces publicités soient le fruit d’une initiative individuelle passée inaperçue ou le résultat d’une réflexion profonde sur l’impact des mots sur le recrutement, la visibilité et l’inclusion des femmes, le point médian ajoute ici une dimension supplémentaire à ces pubs. Ce signe dont on pourrait se passer (on peut toujours écrire en inclusif même sans point médian) reste le plus polémique et le plus remarquable de l’écriture inclusive. Il est le témoin d’un certain courage en communication par une prise de risque dans l’affichage de valeurs, certes largement consensuelles aujourd’hui (l’égalité de genre), mais sous une forme largement rejetée (le point médian). Et cette prise de risque, qui se montre aujourd’hui dans l’espace public et pas uniquement dans les profondeurs d’une page web ou d’une appli, peut être aussi une manière d’interpeller et de marquer plus efficacement les personnes exposées, qu’elles soient réfractaires ou favorables à l’écriture inclusive, car la rareté du point médian en publicité en fait un outil de distinction et de mémorabilité. Et n’est-ce pas cela le Graal des publicitaires à l’âge de la bataille pour l’attention ?

Le point médian s’affiche dans la rue : de l’engagement de marque à la distinction publicitaire ?

Mais au-delà de la publicité, c’est le nom des marques lui-même qui commence à se penser en inclusif : une nouvelle marque de vêtements de seconde main vient de naître sous le nom de Sapé·e.

Le site de la marque Sapé·e

Dans les médias

De nombreuses rédactions ont déjà adopté le langage inclusif depuis longtemps : Slate, Métro, Madmoizelle, France TV Slash. On voit régulièrement des médias s’ajouter à cette liste et l’assumer ainsi que des médias nouveaux se lancer d’emblée en inclusif, comme la revue féministe La Déferlante qui a même partagé sa propre charte d’écriture inclusive en ligne.

Mais au-delà des rédactions qui l’encouragent, je commence à lire de plus en plus d’articles où les journalistes pratiquent manifestement l’écriture inclusive mais de la manière la plus transparente (et la plus intégrée) qui soit, sans point médian, discrètement, mais sûrement là. Car oui, il faut le rappeler, l’écriture inclusive ne se limitant pas au point médian, on peut très bien écrire en inclusif sans jamais l’utiliser (et donc sans jamais se faire remarquer). C’est d’ailleurs ce que rappelait Mathilde Serrell le 6 octobre dans sa chronique Un Monde Nouveau sur France Inter intitulée : “#MeToo l’écriture inclusive, la fin d’un malentendu” ? Elle y cite par ailleurs l’étude que j’ai co-réalisée pour Google avec Mots-Clés sur la perception du langage inclusif par les internautes et qui le montre bien : les gens n’aiment pas le point médian mais acceptent volontiers les autres techniques du langage inclusif.

Autre exemple : France Football, magazine qui décerne le ballon d’or, vient de lancer un nouveau prix, le Prix Socrates, pour les “joueuses et joueurs engagés”, obligeant même le Figaro (la plateforme des opposant·es au langage inclusif), qui en a repris le communiqué de presse, à jouer de la double flexion.

Autre fait marquant dans l’univers des médias, le magazine Paulette est devenu Paul.e, pour une version non genrée du titre déjà féministe.

Dans les librairies

Je suis heureuse car je ne pense pas que le dernier livre à charge contre l’écriture inclusive sera un succès de librairies : Malaise dans la langue française, ouvrage collectif dirigé par Sami Biasoni, est aujourd’hui 189e meilleure vente sur amazon loin derrière Virginie Despentes, Lola Lafon, Annie Ernaux ou même le Petit Grévisse (Grammaire française). Et alors que, à des fins purement scientifiques, je voulais me le procurer pour en faire la lecture, j’ai réalisé qu’il était en stock seulement dans 18 librairies indépendantes parisiennes d’après le site parislibrairies.fr (au 9 octobre 2022).

Vous trouverez en revanche dans plus de 50 librairies le dernier roman d’Aude Walker, Cavales, écrit en écriture inclusive qui est, lui, sur ma table de chevet. Et je ne parle même pas du nouveau livre de Lauren Bastide, Futur·es, qui va, à n’en pas douter, et c’est tant mieux, se vendre comme des petits pains féministes.

Dans notre quotidien

Finalement, il trace sa route un peu partout, le langage inclusif : dans des versions très diverses et identifiables, du point médian au point final en passant par la barre oblique, mais aussi plus subtilement, dans une répétition du masculin et du féminin qui ne choque pas notre oreille mais marque celles et ceux (sic), qui comme moi, y prêtent une attention particulière. Alors je vous encourage, vous aussi, à prêter attention : dans le train, sur certains sites de l’administration, dans vos applis de livraison de repas, dans la rue, sur les bus, dans un cahier de correspondance…

Notez ces occurrences du langage inclusif et n’hésitez pas à me partager celles que vous trouvez les plus significatives dans les commentaires ou par email : alicia@reworlding.fr.