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Le langage inclusif pour les nul·les

J’ai testé 3 mois de langage inclusif : les résultats

L’heure du premier bilan a sonné : voilà environ 3 mois que je pratique le langage inclusif au quotidien, dans le cadre professionnel et personnel. Qu’est-ce que ça a changé pour moi ? Est-ce que j’ai pu mesurer un impact ? J’arrête ou je continue ? Réponses.

Le cadre de l’expérimentation

En réalité, cela fait bien plus longtemps que je m’exprime de manière inclusive mais je retiens cette échéance de 3 mois car elle correspond au moment où j’ai ancré dans ma pratique les 3 règles simples du langage inclusif. Auparavant, j’improvisais un peu, utilisant le point final ou médian sans trop faire attention, dans des formulations que je ne recommande plus aujourd’hui (comme consommateur·ice), bref le cadre de ma pratique était assez peu rigoureux.

Je fais en sorte de m’exprimer de manière inclusive le plus souvent possible, avec mes collègues, mes ami·es, ma famille, et notamment les membres de mon foyer qui comporte 3 enfants. Je parle inclusif et j’écris inclusif, notamment au travail où je produis quantités d’emails et de présentations sous formes de slides (ou diapositives). Je commente à l’oral ces mêmes présentations dans des rendez-vous client·es en petit comité ou dans de grandes assemblées. Bref, j’ai beaucoup d’opportunités de m’exprimer, et je dois certainement être au-dessus des 15 000 mots qu’on dit en moyenne chaque jour. A minima, j’ai donc prononcé plus de 1 350 000 mots en 3 mois, une base statistique assez forte pour tirer des premières conclusions.

1. C’est facile et ça améliore mon style

Première chose : ce n’est pas du tout difficile. Evidemment, je sais que j’ai un engagement supérieur à la moyenne dans le fait d’avoir une pratique rigoureuse, mais j’ai vraiment le sentiment que j’ai très rapidement acquis les automatismes qui me font adopter de manière spontanée la double flexion (énumération « auteur et autrice », par exemple) et bannir de mon vocabulaire les formulations comme « bonjour à tous ».

Si pendant les premières semaines, je me suis rendue compte que je cherchais parfois pendant plusieurs secondes comment remplacer une formulation par une autre pour alléger une phrase que je trouvais trop lourde (à force d’énumérer des masculins et des féminins par exemple), ces temps ne dépassaient jamais 30 secondes et ont fini par naturellement se réduire au fur et à mesure que je me suis habituée non pas à rendre inclusif des textes qui ne l’étaient pas (comme une traduction), mais à écrire avec une intention d’inclusivité (comme une rédaction).
Par exemple, quand je parle de tendances de consommation, je dis souvent consommateurs et consommatrices. J’ai fini par remplacer ces énumérations longues par d’autres formulations plus simples mais aussi souvent plus impactantes, plus punchy.
Au lieu de dire « Les consommateurs et consommatrices de Produit Machin sont aussi très intéressé·es par le Produit Truc », j’utilise le verbe à l’infinitif, des formules passives ou le pronom impersonnel « on ».
« Consommer le Produit Machin va souvent de pair avec consommer le Produit Truc »
« On a plus tendance à consommer le Produit Truc si on consomme le Produit Machin »
« Le Produit Truc est plus consommé par celles et ceux qui consomment le Produit Machin »

Cette gymnastique d’expression montre aussi qu’il n’y a jamais une seule manière de rendre un texte inclusif, ce qui est aussi un très bon booster de créativité. Ça force à sortir un peu de ces formulations toutes faites, à les diversifier, et en cela je trouve que ça améliore finalement la qualité des contenus. Au lieu d’alourdir mon expression le langage inclusif l’allège en me forçant à réfléchir à mes choix lexicaux et syntaxiques.

Enfin, je réalise que j’ai finalement assez peu recours au point médian : dans cet article de plus de 1500 mots, je ne l’ai par exemple utilisé que 4 fois (en excluant la mention du nom re·wor·l·ding). C’est peu.

2. Ça exacerbe mon regard critique

Effet que je ne qualifierais pas de pervers mais parfois fatigant : impossible de ne pas remarquer quand une autre personne s’exprime de manière non inclusive. Chaque « bonjour à tous » est comme une piqûre qui me tend une petite fraction de seconde. Evidemment, je ne suis pas la police du langage, donc je m’abstiens de « corriger » ces personnes ou de systématiquement faire un commentaire, même bienveillant, sinon je passerais mon temps à le faire. C’est une bon exercice de pratique du détachement, au fond.

En revanche, me promener dans la rue ou surfer sur Internet et être exposée à de la publicité est une source maintenant infinie de repérage de langage non inclusif. J’ai commencé à capturer ces publicités et à interpeler sur les réseaux sociaux les marques et entreprises qui pourraient faire plus d’efforts. Je ne dis pas que cela va transformer radicalement la communication publicitaire, mais c’est une forme d’activisme concrète qui est à la portée de tout le monde. Je suggère des formulations inclusives (#réécritureinclusive) notamment dans cette story à la une sur le compte Instagram de re·wor·l·ding, ce qui me fait aussi un bon exercice pratique, comme un entraînement.

3. Ça crée des effets de mimétisme

Au-delà des effets que cette pratique a sur moi, l’impact le plus évident que j’ai observé est le mimétisme de mon entourage professionnel et personnel.

Comme je systématise le fait de bien marquer le féminin en plus du masculin, certaines personnes ont commencé à m’imiter. A l’écrit, j’ai vu fleurir des points médians (ou des tentatives de ponctuation inclusive) dans les emails ou les messages de mes collègues. A l’oral, j’ai remarqué qu’une personne avec qui j’échangeais au sein d’un groupe a, au fur et à mesure de la conversation, délaissé le masculin (pensé comme générique) au profit de l’énumération. En fonction des contextes et des personnes, je me permets parfois de faire remarquer qu’on parle aussi des consommatrices, des auditrices ou des lectrices, et ça a souvent l’effet de rallier la personne avec qui je parle à l’inclusif, au moins le temps de notre échange.

Mais le phénomène de mimétisme le plus flagrant s’est produit sur mon fils cadet qui a presque 5 ans (en moyenne section de maternelle). Evidemment, nous parlons beaucoup d’égalité femmes-hommes à la maison, d’autant plus que j’ai 3 garçons. Ils ont déjà entendu maintes fois parler de patriarcat, de sexisme et les histoires que nous lisons (que je ne choisis pas toujours) sont souvent le support d’exercices de déconstruction (les princesses mariées par leur père, it’s not ok). La semaine dernière, mon conjoint lisait justement l’histoire du soir qui commençait par « Chers lecteurs », et mon fils de l’interrompre et de dire « et chères lectrices » ! 3 jours plus tard, discussion TopChef où je parle des candidats, et lui de me reprendre et ajouter « et des candidates ». Evidemment je fonds d’amour dans ces moments, mais surtout je réalise à quel point parler aux enfants de manière inclusive (déjà sur un plan égalité femmes-hommes) contribue à créer ces automatismes de représentations dans leurs jeunes cerveaux. Et c’est tellement encourageant !

4. Ça passe inaperçu

Les Académiciens ont hurlé au « péril mortel » quand est arrivée dans le débat public l’écriture inclusive, comme le rappelle cet extrait de leur déclaration :

Devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

Le site de l’Académie Française

Alors évidemment, ce n’est pas à moi toute seule que je risque de tuer la langue française, mais je constate simplement que la pratique d’un langage inclusif n’a conduit à strictement aucune marque d’incompréhension, de rejet ou de résistance. Et si de tels jugements ont été pensés par mon entourage, personne n’a jugé bon de m’en faire le commentaire, de me demander des explications ou de suggérer de faire différemment.

Certes, je travaille dans un environnement très bienveillant et j’éduque beaucoup au langage inclusif autour de moi. Je ne prétends pas que mon expérience est représentative.
Mais il y a aussi une autre explication : les gens ne s’en rendent tout simplement pas compte. Parce que dans les formes que je pratique, il n’y a pas de mots nouveaux (pour le moment), que mon usage du point médian est raisonné, et qu’en réalité il n’y a rien de choquant à parler des hommes et des femmes quand on s’exprime.
Vous me direz qu’alors, si les gens ne le remarquent même pas, ça ne sert peut-être à rien. Mais aujourd’hui, la grande majorité des discours continue à se faire au masculin dit générique et cela laisse des traces sur les représentations que l’on se fait de la place des hommes et des femmes dans la société, comme le montre les arguments scientifiques de la psycholinguistique.

Le bilan de ces 3 premiers mois est donc très concluant : même s’il n’engage que moi et mon expérience, dans un contexte donné, je pense qu’il peut inciter celles et ceux qui seraient réticents à franchir le pas. Car l’impact sur soi-même comme sur les autres est concret. Pas toujours mesurable, et parfois juste anecdotique, mais bien présent.
Les clés du succès ? S’appuyer sur les 3 règles du langage inclusif pour passer de l’improvisation à une pratique stable ; faire preuve de bienveillance envers soi-même et ne pas se mettre une pression folle, on fait de son mieux ; faire preuve de bienveillance avec les autres et ne pas leur mettre une pression folle, on espère que le temps viendra pour ces personnes un jour (et on y travaille).