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Est-ce que ce monde est sérieux ?

3 podcasts à écouter sur l’écriture inclusive

Avoir une perspective historique et psychologique, comprendre les grandes règles du langage inclusif, et même rigoler un peu, c’est possible avec ces 3 podcasts que je recommande.

Mécréantes : Le masculin l’emporte sur le féminin

Pourquoi j’aime : dans cet épisode du génial podcast Mécréantes on entend Alpheratz, qui se définit comme écrivan et cherchaire en linguistique et étudie le genre neutre en français, une perspective plutôt rare dans le “débat” autour du langage inclusif qui tourne beaucoup autour du féminin et du masculin, en omettant le neutre qui permettrait de représenter aussi les personnes trans et non-binaires.

Parler comme jamais : Ecriture inclusive, pourquoi tant de haine ?

Pourquoi j’aime : c’est par cet épisode que j’ai découvert le super podcast Parler comme jamais produit par Binge Audio qui s’intéresse à de nombreux aspects de la langue française, et ici l’écriture inclusive. Laélia Véron y reçoit la linguiste Julie Abbou et le psycholinguiste Pascal Gygax qui m’a fait repenser la règle d’ordre alphabétique dans la double flexion (énumération de type “auteur et autrice”). Vous saurez pourquoi en écoutant.

Du poil sous les bras : Eliane Viennot experte en langage inclusif

Pourquoi j’aime : parce que je pourrais écouter Eliane Viennot pendant des heures. Non seulement c’est l’experte incontournable en la matière, mais je la trouve en plus tellement drôle. L’écouter exiger le démantèlement de l’Académie Française en pointant leur inutilité et leur incompétence, c’est du petit lait pour mes oreilles.

Bonne écoute !

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César 2021 : on déconstruit la (mauvaise) blague d’Isabelle Huppert

Beaucoup a déjà été dit et écrit sur la Cérémonie des César 2021. Mon objectif n’est pas d’apporter une énième pierre à l’édifice de celles et ceux qui vilipendent ou saluent les interventions des un·es ou des autres. D’autant que je n’ai, en toute transparence, pas regardé la cérémonie en entier, simplement quelques extraits.

Mon prisme, c’est le langage, et les seuls extraits que j’ai regardé m’ont suffi pour constater qu’il y a encore beaucoup de boulot pour que le monde du cinéma finissent par représenter de manière juste les personnes diverses qui le font au quotidien, même s’il faut aussi saluer les progrès réalisés.

Moi, le moment sur lequel je ne peux pas ne pas revenir, c’est la remise du prix du meilleur espoir féminin par Isabelle Huppert. Elle en fait l’occasion d’une blague sur le langage inclusif qui vaut un exercice de déconstruction tellement elle est emblématique de ce qui ne va pas dans les débats actuels sur ce sujet.

Isabelle Huppert incarne à la perfection deux stratégies typiques des opposant·es au langage inclusif : dénigrement par le ridicule et exagération de la complexité.

Isabelle Huppert est appelée à remettre le prix du meilleur espoir féminin et prend prétexte de cette remise pour s’interroger sur l’expression “meilleur espoir féminin” en feignant de réaliser qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette expression : on parle de femmes, alors on devrait dire une espoir ? Pourtant espoir est un mot masculin… Isabelle a l’air bien embêtée, elle qui pourtant maîtrise si bien la langue française, tout comme la langue allemande apparemment, puisqu’elle finit par convoquer l’article neutre allemand “das” pour remettre : Das meilleur espoir féminin.

Le dénigrement du langage inclusif par le ridicule est vieux comme le débat sur la question. La lecture de La Ministre est enceinte de Bernard Cerguiglini (écouter un entretien avec son auteur ici) qui revient sur la querelle de la féminisation des noms de métiers est un florilège d’exemples où des hommes (et des femmes), et notamment un bon paquet d’académicien·nes (qui n’apprécieraient pas ce point médian), avaient publié des tribunes ou fait des déclarations ridiculisant complètement ces noms féminins, en inventant même des mots que personne ne demandait à utiliser.

Je n’en citerai que deux exemples.

Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale.

Marc Fumaroli, Académicien, 1998

Dans les vingt ou vingt-cinq dernières années, j’ai vu naître, devançant la commission, un petit nombre de féminins auxquels on ne pensait pas et dont on ne peut plus se passer. Ainsi, l’admirable substantif “conne” 

George Dumézil, Académicien, 1984

Présenter les réflexions autour du langage inclusif en les ridiculisant contribue évidemment à transmettre l’idée que ce n’est pas un sujet important et que les personnes qui le défendent perdent leur temps. Puisque ce qui est ridicule, c’est ce qui fait rire par un caractère de laideur, d’absurdité, de bêtise ; ce qui est dérisoire risible, insignifiant, infime (Le Robert).
Isabelle Huppert dénigre par cette même méthode celles et ceux qui, comment moi, sont convaincu·es que la langue que nous parlons forge nos représentations (ce qui est par ailleurs prouvé scientifiquement, comme je le rappelle ici).

L’exagération de la complexité est la seconde stratégie mise en oeuvre. Je rappelle que les règles d’un langage inclusif sont en réalité très simples, et que la seule complexité qui peut exister est celle régissant l’écriture inclusive (qui n’est qu’un volet du langage inclusif), et notamment l’utilisation du point médian ou la création de nouveaux mots. Certes il n’y a pas encore de convention commune, mais rien n’oblige celles et ceux qui veulent pratiquer un langage inclusif à recourir au point médian.
Par ailleurs, la langue française est très bien équipée pour parler des noms de fonctions, métiers, grades au féminin. Les mots sont formés d’un radical (agricul-) puis d’un suffixe (-teur au masculin, -trice au féminin). Pour l’immense majorité des mots, les deux versions existent ou se construisent sans aucune difficulté. Et pour répondre à Monsieur Fumaroli, qui devrait connaître cette règle, on dit simplement : un recteur, une rectrice.
Quant au mot espoir, c’est un mot masculin dont le genre est non motivé (c’est-à-dire qu’il est masculin de manière arbitraire) car il ne désigne pas un être animé et il n’y a aucune raison de vouloir le féminiser. Et comme l’adjectif s’accorde au substantif on dit très simplement : le meilleur espoir féminin.

Une occasion manquée de mettre son pouvoir au service de la justice de genre

Je ne suis pas là pour juger Isabelle Huppert en tant que personne ni sa carrière cinématographique ou ses engagements politiques. Je me désole simplement qu’une femme qui est largement respectée et admirée pour sa carrière, qui incarne aussi une figure intellectuelle (et je parle ici de perception de la majorité des gens qui la voient comme une actrice de films exigeants, plus que comme une Daronne, et je ne cherche pas à discuter si elle l’est ou pas) utilise son pouvoir pour dénigrer un effort vers une société plus juste.

Parce qu’être sur cette scène, avec la caisse de résonance que représente les César, avoir l’opportunité de porter des messages et d’influencer des membres de l’industrie mais aussi l’audience qui regarde la cérémonie, c’est un pouvoir.
A minima, on peut choisir de ne pas l’utiliser pour tourner en ridicule un mouvement de lutte contre le sexisme (car c’est ça aussi, entre autres, la pratique d’un langage inclusif). Au mieux, on peut en profiter pour saluer l’accomplissement de ces jeunes femmes nominées et leur envoyer un message positif d’espoir, justement. Isabelle Huppert finit d’ailleurs par leur partager quelques “mots féminins”: confiance, patience, persévérance, insouciance. J’aurais préféré qu’elle s’en tienne à eux.

Et un grand bravo à toutes les nominées :
Mélissa Guers dans La fille au bracelet 
India Hair dans Poisson sexe 
Julia Piaton dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
Camille Rutherford dans Felicità
Fathia Youssouf dans Mignonnes 

et à la gagnante Fathia Youssouf.

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Eliane Viennot, l’experte qui n’a pas sa langue dans sa poche

Si vous vous intéressez au langage inclusif, vous ne pouvez pas ne pas lire, écouter ou regarder Eliane Viennot.

D’après son propre site, professeuse émérite de littérature de la Renaissance, Eliane Viennot est autrice d’un livre, entre autres, qui a fait date dans l’histoire du langage inclusif : Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, où elle montre comment la langue française a été masculinisée par volonté d’imposer le masculin plus noble et d’écarter par le langage les femmes des fonctions les plus prestigieuses, notamment les métiers des lettres.
Elle ne mâche pas ses mots quand il s’agit de parler, entre autres, de l’Académie Française qu’elle qualifie volontiers de groupes d’incompétents (aucune femme parmi les académiciens jusqu’en 1980 avec Marguerite Yourcenar) qui n’ont aucune utilité. Je l’adore.

En dehors de cet ouvrage de référence, je vous recommande :

un livre : Le langage inclusif : pourquoi, comment ? qui reprend un condensé de Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! avec des conseils pratiques et concrets pour appliquer le langage inclusif au quotidien (dont les principes que je préconise sont issus)


une vidéo : sur YouTube vous trouverez différentes captation de conférences données par Eliane Viennot, ainsi qu’une courte vidéo de Brut où elle revient sur la disparition des noms de métiers au féminin.


Si vous n’avez que 3 min, regardez celle-la, si vous avez un peu plus de temps, je vous recommande cette conférence : La langue française a-t-elle besoin d’être féminisée ?

un podcast : Du poil sous les bras reçoit Eliane Viennot en entretien et c’est ici.

Eliane, je vous aime 😉


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Décrypter Wejdene avec Linguisticae, YouTuber & linguiste

Je recommande très vivement la chaîne YouTube de Linguisticae, qui regorge de vidéos passionnantes (et souvent longues, certes) sur la langue.

La chaîne Linguisticae sert à comprendre d’où viennent les mots, les langues, et comment le langage est fait et évolue. Entre vulgarisation scientifique d’une discipline trop méconnue et cassage d’idées reçues, tout le monde y trouve son compte !

J’adore l’accessibilité de Monté, linguiste qui anime la chaîne, et aussi membre du Vortex d’Arte avec d’autres créateurs et créatrices YouTube.

Il s’est exprimé sur l’écriture inclusive en 2017 déjà dans les 10 trucs soulants autour de l’écriture inclusive ou plus récemment avec la YouTubeuse juriste AngleDroit dans L’écriture inclusive, bientôt interdite ?

Mais la vidéo que je préfère, c’est celle-ci : Aya Nakamura, Wejdene et la langue française.

En toute transparence, j’adore Wedjene. Mais vraiment. Je l’écoute seule chez moi, dans la rue, avec mes enfants.
Wejdene est chanteuse et autrice-interprète du tube Anissa et de son célèbre “Tu hors de ma vue” qui a fait couler beaucoup d’encre.
Et je suis choquée de la manière dont elle est souvent traitée, du mépris qu’elle suscite, notamment dans les médias, notamment du fait de sa pratique de la langue française, qui serait totalement scandaleuse.

Dans cette vidéo, Linguisticae (qui n’est pas du tout fan, lui) décortique parfaitement les mécanismes par lesquels Wejdene, comme Aya Nakamura ou dans un autre registre Léna Situations, sont renvoyées par leurs détracteurs et détractrices dans les limbes d’une culture dite illégitime, notamment en raison des libertés qu’elles prennent avec la langue française.
Leur point commun ? Etre des femmes, jeunes, racisées, issues de classes populaires, qui ont du succès.
Une clé de lecture très intéressante qui doit pousser chacun·e à avoir un regard plus critique non pas seulement sur ces chanteuses, autrices, ou YouTubeuses, mais sur les personnes mêmes qui les critiquent et leurs motivations.