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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Langage inclusif : progrès ou backlash ? Retour sur l’actualité 2025.

Quel est le point commun entre l’expression « les rats quittent le navire », le néologisme « girlcott » et l’insulte « sales connes » ? Réponse : ces mots et expressions ont fait l’actualité ces dernières semaines, voire ont carrément créer la polémique.

Alors que l’année 2025 touche à sa fin, j’ai pensé que c’était une bonne occasion pour regarder dans le rétro et reprendre mes 365 dernières « Google alerts » qui m’indiquent quotidiennement les nouveaux articles paraissant en ligne sur le « langage inclusif, « l’écriture inclusive » et « la communication inclusive ».

Qu’est-ce qui a fait l’actualité de l’écriture inclusive en 2025 ? Bonnes nouvelles ou mauvaises nouvelles ? Quels mots ou expressions ont suscité des débats constructifs et des polémiques stériles ? Au final, est-ce que le langage inclusif est en progression comme je l’observais en 2022 ou connaît-il lui aussi le backlash (retour de bâton) ?

Précision importante : je ne prétends pas offrir un panorama exhaustif de l’actualité mondiale. J’ai un gros biais sur l’actu française, évidemment, même si j’ai de bons relais dans le monde francophone.
Plus facile aussi pour moi d’explorer les articles en anglais, espagnol et allemand (langues que je parle) qu’en portugais ou mandarin.
Enfin, on parle plus des polémiques que des affaires qui roulent : il est donc très possible que plein de bonnes nouvelles m’aient échappées également.
Pardonnez-moi donc si j’ai fait l’impasse sur un évènement majeur et n’hésitez pas à me le partager en m’écrivant à alicia@reworlding.fr.

En 2025, j’observe 3 tendances :

  • En France, démasculiniser la langue française reste un combat symbolique, politique et juridique tendu, de Marseille à la Mairie de Paris en passant par le fronton du Panthéon
  • Les mesures d’interdiction de l’écriture inclusive se multiplient, notamment dans le monde hispanophone, mais pas que.
  • Dans le monde anglo-saxon, le « politiquement correct wokiste » se fait tâcler, de la BBC au Wisconsin

En France, la culture de la petite phrase et de la grosse polémique

Toute l’année 2025 a été émaillée de débats, polémiques et autres petites phrases et grosses insultes.

La polémique du printemps : pression sur les subventions pour les assos qui utilisent l’écriture inclusive

Tout a commencé fin avril 2025 quand a Région PACA et son président Renaud Muselier (Renaissane) décide de ne pas accorder une subvention de 75 000 euros à une école de cinéma dédiée à l’insertion des jeunes dans le milieu audio-visuel pour un motif simple : l’utilisation de l’écriture inclusive (en l’occurrence de ponctuation inclusive, qui n’en est qu’un des outils) sur son site web (et même pas dans son dossier de subvention).


Cette info met en lumière le traitement similaire d’autres associations, notamment dans le sud de la France, révélé par une enquête du Monde et inquiète tout le secteur culturel.

Finalement, la région fait marche arrière, et sans renoncer à sa position sur l’écriture inclusive, contraire à son projet politique porté dans son plan Valeurs, clarifie sa position : seul le dossier de subvention sera concerné par l’interdiction de l’écriture inclusive, et non pas les autres supports de com des assos.

La bonne nouvelle de l’année : la justice déclare l’écriture inclusive « non idéologique »

C’est une décision juridique qui va marquer un précédent pour les défenseuses et défenseurs du langage inclusif : la cour administrative d’appel de Paris confirme la décision du Tribunal administratif de déclarer légale l’utilisation par la Mairie de Paris de l’écriture inclusive, la considérant comme partie intégrante de la langue française mais surtout refusant de la qualifier de « pratique idéologique ou politique ».


Même si l’idée que le langage inclusif n’est pas politique peut se discuter et que ce jugement n’a rien d’universel, c’est un argument béton pour défendre le langage inclusif face à celles et ceux qui souhaitent l’interdire par des moyens légaux.

Le débat de la rentrée : dégenrer la devise du Panthéon pour honorer les grandes femmes de la patrie

A la fin de l’été, Elisabeth Borne, ministre de l’éducation, fait une déclaration choc : « Parce que la politique est aussi affaire de symboles, je pense que nous devrons ouvrir un débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon ». La devise : « Aux grands Hommes, la patrie reconnaissante » (toute en majuscule sur l’édifice).

Elle déclare « Cette devise doit reconnaître explicitement la place de Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Simone Veil, Joséphine Baker, et de toutes celles qui les suivront ».

Les réactions sont très vives, comme vous l’imaginez, car quand on croise la thématique de l’écriture inclusive avec ce symbole de la Nation française qu’est le Panthéon, les réactionnaires ne tardent jamais à monter au front.

A ce jour évidemment, rien n’est décidé et le débat semble avoir été bien rapidement refermé.

Si vous avez envie d’entendre deux féministes, dont votre servitrice, apporter un éclairage constructif à cette question, RFI y a consacré son émission Le Débat du jour du 8 octobre. J’y suis interviewée aux côtés de Violaine de Filippis-Abate, autrice de l’essai très justement titré : La résistance écarlate, les femmes face au nouveau backlash

Les mots de l’hiver : entre « girlcott » et « sales connes »

Cette fin d’année a été marquée en France par des petites phrases qui ont continué à démontré l’importance des mots et surtout du traitement de celles qui les prononcent.

Julie Neveux traitée de « p’tite instit bornée »par un Académicien farouchement opposé à l’écriture inclusive

Le 7 octobre sur France Inter, Julie Neveux, linguiste, se fait traiter de « p’tite instit bornée » par Eric Neuhoff, fraîchement nommé à l’Académie Française, sans réaction aucune du journaliste en plateau, Benjamin Duhamel. Face à une insulte considérée à juste titre comme sexiste et classiste, l’audience de France Inter saisit la médiatrice de Radio France et le collectif des Linguistes atterréEes, dont Julie Neveux fait partie, riposte.

Sophie Binet, mise en exame pour avoir dit « les rats quittent le navire ».

Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT, est mise en examen pour avoir déclaré que le patronat de France, dans un contexte de délocalisation et de refus de l’imposition fiscale, sont des « rats qui quittent le navire ». Le syndicat patronal, Ethik, porte plainte pour injure publique et déclenche une mise en examen, procédure quasi automatique dans ce cas.

Au-delà de la perte de temps et d’argent public que va coûter cette procédure, ça me fait penser à la question de la féminisation des noms d’animaux, notamment dans les expressions comme « passer pour un pigeon ». Est-ce que ça ne serait pas marrant de dire « les rats et les rates quittent le navire » ? Parce que quand même, les femmes c’est 28% des directions du CAC 40.

Un collectif d’autrices de BD moquées pour un néologisme

Sophia Aram se moque des autrices de BD qui ont inventé un terme, « girlcott » pour encourager à l’annulation du Festival de BD d’Angoulême, trop peu ferme contre les agresseurs sexuels dans ce secteur. Le mot « boycott » étant dérivé d’un nom propre et pas du nom commun « boy » (garçon), elles se seraient trompées en voulant dégenrer le terme. Sauf que comme l’a très bien démontré Athéna Sol, ce mot est là pour marquer les esprits et faire passer un message fort et mémorable, pas donner une leçon d’étymologie.

Les militantes féministes traitées de « sales connes » par Brigitte Macron

Finalement, Brigitte Macron traite des militantes féministes de l’association Nous Toutes de « sales connes » qu’il « faut foutre dehors », créant légitimement l’indignation parmi les féministes qui finissent par se réapproprier l’insulte en cri de ralliement. Je recommande à ce sujet l’analyse de Clément Viktorovitch.

Et à lire pour compléter 👇🏼

Vague d’interdiction de l’écriture inclusive, de l’Amérique du Sud à l’Europe

Par mon décompte (qui n’est encore une fois certainement pas exhaustif), je dénombre au moins 7 pays dans lesquels l’écriture inclusive a été interdite.

Comme je l’explique en détail dans l’article ci-dessous, l’interdiction de l’écriture inclusive est un sujet complexe, à l’intersection de décisions politiques et juridiques qui échappent souvent à la réalité des pratiques linguistiques, et ancré dans un manque profond de connaissance de ce qu’est réellement le langage inclusif.

Néanmoins, voici la liste des pays, villes ou régions ou certaines formes d’écritures inclusives ont été interdites, notamment dans la communication publique ou à l’école :

Lueur d’espoir : le Parlement Européen continuera à utiliser l’écriture inclusive, qui est inscrite dans ses guides de recommandations en matière de communication, comme l’a expliqué sa présidente Roberta Metsola  en réponse à une alerte lancée par un eurodéputé membre du PPE (partie populaire européen) l’année dernière, qui estimait que cette pratique est le signal que « des forces militantes ont infiltré les institutions de l’Union européenne pour mener un combat culturel« .

Dans le monde anglo-saxon, toujours plus d’attaques contre le langage inclusif et précis

On sait que Donal Trump a lancé un combat sans précédent contre le langage inclusif, et de manière général contre tout terme ou expression évoquant l’intention de ne pas véhiculer de stéréotype de genre ou toute forme de discrimination.

Dans le monde anglo-saxon, on parle d’ailleurs de langage précis (precise language), pas seulement de langage inclusif, et je vous recommande la lecture de The Inclusive language field guide de Suzanne Wertheim pour mieux comprendre les enjeux du langage inclusif en anglais et les 6 principes qu’elle recommande d’appliquer.

Et l’actualité a montré aussi bien des mouvements de réaction que de résistance.

« Pregnant people » ou « women »

Une journaliste britannique change en direct le texte de son prompteur de « pregnant people » (personne enceinte, terme préféré à « femme enceinte » pour inclure les hommes trans) et lève les yeux au ciel. Elle reçoit le soutient de nombreuses personnalités opposés à l’inclusion des personnes trans, dont l’autrice JK Rowling, mais aussi un rappel à l’ordre de sa chaîne, la BBC.

« Man of the match » ou « player of the match »

Un guide de l’association de rugby anglais, England Rugby, recommande d’éviter le terme « man of the match » (homme du match) pour reconnaître la diversité des identités de genre et suggère « player of the match », mot neutre en anglais (contrairement à « joueur » en français » qui est masculin, mais Paris Match ne semble pas avoir compris la distinction).

« Inseminated person » ou « mother »

Le gouverneur démocrate du Wisconsin Tony Evers a proposé de changer un texte de loi sur la prise en charge de la procréation médicalement assistée pour remplacer « mother » (mère) par « inseminated person » (personne inséminée) ainsi que « husband » (mari) by « spouse » (époux ou épouse), ce qui permettrait d’assurer légalement la prise en charge de toutes les personnes, quelle que soit leur identité de genre ou orientation sexuelle.
Evidemment, les membres du parti républicain n’ont pas apprécié.

Times New Roman ou Calibri ?

J’avoue que ça, je ne l’avais pas vu venir.

Aux États-Unis (…) le secrétaire d’État Marco Rubio a récemment demandé à ses diplomates de rédiger les documents officiels en Times New Roman, taille 14. Une décision qui balaye d’un revers de main celle de son prédécesseur démocrate, Anthony Blinken, qui avait imposé en 2023 l’usage du Calibri.

Net plus ultra, France inter, 12 décembre 2025

Pourquoi, me direz-vous ? Calibri, police sans empattements et plus aérée, avait été choisi il y a 2 ans car considérée comme plus lisible sur écran et accessible, notamment pour les personnes qui ont des handicaps de déchiffrage, de lecture ou de vision.

Nouvelle attaque face aux efforts d’inclusion ou retour à une police plus traditionel (ou traditionaliste) ?
Je laisse le mot de la fin à Xavier Demagny et à sa chronique Net plus ultra sur France Inter :

Tout est donc politique, y compris les polices de caractères. En France, ni Times ni Calibri ne sont utilisées : le gouvernement a fait dessiner il y a cinq ans la Marianne, une police sans empattement, ronde et très lisible, destinée à identifier les documents de l’État. De quoi se demander si le Calibri penche à gauche et le Times New Roman à droite… Mais que dire de la riante et chaleureuse Comic Sans MS ?

Pendant ce temps-là, les irréductibles Breton·nes mettent au point Bilzig, une nouvelle police de caractère dédiée à la langue bretonne et équipé de caractères inclusifs, dans la veine des typographies inclusives proposées par exemple par la collective Bye Bye Binary.
Faut-il avoir peur que le ciel nous tombe sur la tête ?

Conclusion : progression ou backlash du langage inclusif ?

Dans le contexte actuel de retour en force de la pensée réactionnaire, et surtout de son occupation du pouvoir politique, la multiplication des interdictions de l’écriture inclusive dans la communication publique ou les écoles est un signal marquant.

Et même si les deux polémiques que nous avons connues en France ont occupé la presse quelques temps, elles sont passées bien plus vite et semblent avoir eu bien moins d’ampleur que celles des années précédentes.

Le mot qui me vient en tête quand je relis ces actualités est celui de banalisation : banalisation du sujet dans les médias mais aussi banalisation des attaques à l’encontre du langage comme levier pour lutter contre les discriminations.

Je n’ai pas de boule de cristal concernant 2026 : on n’est pas à l’abri d’une polémique comme d’une mer plate.
Mais les élections présidentielles de 2027 vont se préparer de plus en plus intensément, et je ne serais pas surprise que le sujet du langage inclusif s’y incruste, instrumentalisé par la droite pour illustrer les dérives wokistes de la gauche bien-pensante.
J’aimerais mieux qu’il soit mobilisé par la gauche de manière pro-active comme levier pour une communication publique plus juste, plus efficace et plus créative. Croisons les doigts.