En vacances, j’oublie tout. Enfin, disons que j’essaie d’opérer une déconnexion totale du travail : pas de LinkedIn ni d’Instagram, pas d’email de boulot, pas de création de contenu que personne ne lit de toute façon.
Mais comme mon principal sujet d’expertise, c’est le langage inclusif et que je passe mon temps à décortiquer la présence et l’absence de langage inclusif dans l’espace public, c’est difficile de mettre des œillères sous prétexte que c’est le mois d’août. Mes lunettes inclusives, je les porte 24/7.
Je vous propose donc un petit récap de ce qui m’a tapé dans l’œil (et dans l’oreille) pendant mes vacances.
L’Écosse : sans Nessie mais en inclusif
La première étape de mes vacances a été un séjour de 10 jours en Écosse : je ne vais pas vous faire un compte-rendu détaillé du voyage, je ne peux que vous recommander d’y aller au moins une fois dans votre vie si vous en avez l’opportunité. C’est sublime (et faisable en train).
J’étais déjà allée en Ecosse il y a une douzaine d’années mais en 2012, mon attention aux questions de diversité, d’équité et d’inclusion n’était pas si développée. Cette année, j’ai été scotchée.
Que ce soit dans les parcs nationaux, dans les toilettes d’un hôtel ou en visitant un château, partout j’ai observé 3 choses :
- Une attention manifeste à la diversité et la mixité de genre des représentations : oui, on peut montrer un homme noir faisant de la randonnée, oui l’histoire est faite par les héros et les héroïnes, oui, les femmes aussi ont été pionnières de l’alpinisme.
- des standards d’accessibilité pour une expérience culturelle inclusive : exemple le plus frappant, la visite du Yacht Royal Britannia avec un audioguide aussi disponible dans une version pensée spécifiquement pour les personnes aveugles et malvoyantes, un script disponible en Braille, une version en langue des signes anglaise, des scripts en 30 langues différentes pour les personnes sourdes ou malentendantes, et une version dans un anglais simplifié pour les personnes avec des difficultés d’apprentissage. Rien que ça.
- La déconstruction des stéréotypes, jusque dans les toilettes, avec des pictogrammes non-genrés
Je vous laisse juger par vous-mêmes 👇🏻
Autant vous dire que par comparaison la France semble bien en retard. Même si cet été, on a certainement fait quelques progrès.
Jeux 2024 : « Levez-vous, si vous le pouvez »
Depuis l’Écosse, j’ai suivi la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Il a beaucoup été dit et écrit sur cette cérémonie, et je ne peux qu’ajouter ma voix à celles qui ont loué la diversité des représentations qui ont été offertes aux millions de spectateurs et de spectatrices. C’était beau, c’était émouvant, c’était drôle, c’était audacieux, c’était féministe, c’était inclusif.
Cela étant dit, il y a peut-être un élément moins visible que les performances de la cérémonie d’ouverture que je retiens particulièrement parce qu’il rentre parfaitement dans le cadre de ce que je considère être un langage inclusif : il est de rigueur que lors de la diffusion des hymnes nationaux pendant les cérémonies d’ouverture ou de clôture, et même à chaque remise de médaille, on demande au public de se lever. Or Paris a inauguré la mise à jour de ce script pour y intégrer une phrase très simple mais profondément inclusive : « Levez-vous, si vous le pouvez », « quatre mots imaginés par Ludivine Munos, en charge de l’accessibilité pour Paris 2024, qui sonnent comme « une révolution » pour les personnes en fauteuil roulant ou ayant un handicap invisible » (Le Parisien, 7 août 2024).
« L’idée, c’était que les personnes en situation de handicap ne se sentent pas différentes et mal à l’aise au moment des hymnes, ça enlève une gêne, ça va déculpabiliser », analyse dans le quotidien la triple championne paralympique de natation, médaillée aux Jeux d’Atlanta, de Sydney et d’Athènes.
« Levez-vous si vous le pouvez »: aux JO, la formule unanimement saluée, témoin d’une cérémonie plus inclusive, RMC Sport, 12 août 2024
De nombreuses personnes handicapées se sont exprimées pour saluer cette mise à jour : 4 mots qui ont n’ont pas coûté un centime mais ont eu un véritable impact sur le sentiment d’inclusion de milliers de personnes. Imbattable comme ROI.
C’est ce que partage aussi Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë et président du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 :
« L’inclusion, ça va jusqu’à utiliser les bons mots pour essayer d’embarquer le plus de monde, d’être le plus tolérant et le plus respectueux possible. Sans le vouloir, on peut parfois être discriminant. »
Une bonne occasion aussi de s’interroger sur la manière de parler des personnes concernées par le handicap : personne en situation de handicap ? personne handicapée ? handi ?
Une question sans réponse unique mais qui est emblématique, à mon sens, de l’esprit critique qu’il faut déployer quant au vocabulaire qui désigne les personnes discriminées. J’en parlais sur la scène du salon Inclusiv’Day il y a quelques mois : vous pouvez toujours écouter mon intervention de 20 minutes sur le site de l’évènement.
Alors oui, on a fait des progrès cet été, mais vont-ils durer ? Réussira-t-on à dépasser l’activisme performatif, c’est-à-dire le fait de donner en spectacle des valeurs de façade sans réel engagement ou pratique concrète ? Pour ce qui est de Thomas Jolly, directeur artistique des JO, je n’ai pas de doute sur l’authenticité de l’engagement. Pour notre nouveau gouvernement, qui a supprimé le mot « handicap » du nom de ses ministères, je suis moins sûre.
Du métro parisien à la campagne icaunaise, l’inclusif s’affiche
Après l’Écosse, direction l’Yonne en Bourgogne : là, sur le bord d’une départementale, je vois des affiches promouvant les métiers de la petite enfance dans L’Aillantais, avec une formulation inclusive utilisant le point médian : « Assistant·e maternel·le. Pourquoi pas vous ? » Je m’arrête pour prendre l’affiche en photo, qui résonne très fort avec l’article écrit quelques mois plus tôt sur les dictatrices et les assistants maternels, où je traite de l’accord de majorité pour les professions très genrées.
A l’Intermarché de Saint-Florentin, les briques de lait de la Marque du consommateur ont eu droit à un relooking inclusif : cette fois, c’est la productrice qui est rémunérée au juste prix. Écho direct à mon article sur les agricultrices invisibilisées, et explication découverte sur LinkedIn quelques jours plus tard.
De retour à Paris, en 4 par 3 dans le métro, une campagne de la marque Nyx, du groupe L’Oréal, qui se positionne comme « Maquillage professionnel et accessible à tous.tes ». Là, je me dis que quand même, on a gagné quelque chose : certes, c’est une marque au positionnement jeune, extravagant dans ses produits, et disons-le même queer dans son discours, mais ça reste une marque du premier groupe de cosmétique au monde, une marque grand public, une campagne d’envergure dans le métro. I mean, cool.
Tout ça me réjouit parce qu’il n’y a rien que j’aime plus que les exemples pour expliquer de quoi je parle, et il est vraiment chouette d’en avoir des bons, pas que des mauvais.
Le 18 octobre, je passerai d’ailleurs 1 heure à décrypter des études de cas dans la cadre de la #SERI, la Semaine de l’entreprise responsable et inclusive, organisée en partenariat par l’Association des Managers de la Diversité et le Mouvement des entreprises de France.
C’est un webinar gratuit et accessible à toutes et à tous, sur inscription obligatoire ici. Venez, vous repartirez avec des illustrations concrètes dont vous inspirer (ou pas) pour promouvoir l’utilisation d’un langage inclusif.
Conclusion : certes, l’Ecosse est en avance, mais la France se défend. Ne relâchons pas nos efforts.