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Est-ce que ce monde est sérieux ?

Propagande électorale et langage inclusif

Demain aura lieu le premier tour des élections présidentielles. Cette semaine, j’ai donc reçu la propagande électorale, c’est-à-dire l’ensemble des tracts des candidat•es à l’élection qui présentent leurs professions de foi et les principales propositions de leurs programmes.

J’ai analysé ces tracts par le prisme du langage inclusif pour mesurer comment les candidates et les candidats se sont emparés (ou pas) de cet outil pour représenter à la fois les électeurs et les électrices dans la formulation de leurs propositions.

La méthodologie

J’ai attribué à chaque tract un score sur 6 points :
– 1 point pour le langage employé dans le slogan, qui est vraiment la vitrine du tract
– 3 points pour le texte de l’adresse et de la profession de foi : comment le ou la candidat·e s’adressent à l’électorat (“Françaises, Français” en inclusif ou “Chers compatriotes” au masculin générique par exemple) et les mots employés dans la “lettre” qui introduit en général les propositions
– 3 points pour le texte des propositions elles-mêmes

J’ai pénalisé les occurrences du masculin générique, particulièrement dans les noms de métiers très présents dans les propositions, ou l’utilisation du mot Homme dans un sens englobant ; et j’ai valorisé les formulations inclusives, notamment l’énumération (“celles et ceux”, “toutes et tous”) et la préférence du mot humain.

Je me suis ici uniquement attachée aux mots employés, et pas au contenu des propositions elles-mêmes : je ne cherche pas à mesurer l’importance des sujets de diversité, d’équité et d’inclusion dans les programmes mais seulement à mesurer l’utilisation d’un langage inclusif.

Le classement

Le trio de tête : Poutou en tête (qui utilise énormément les points médians), puis Roussel et Jadot. Les 3 font des efforts visibles d’inclusion par le langage.

Poutou, gagnant du classement devant Roussel et Jadot


Le groupe des ratages : Mélenchon, Lassalle, Hidalgo, Arthaud.
Un “Madame, Monsieur” par ici, un “celles et ceux” par là mais en gros du masculin générique partout.
Surprise pour Hidalgo, mairesse de Paris, ville dont la communication est en général très inclusive avec l’utilisation quasi systématique de points médians.
Et étonnement devant le tract de Lassalle qui conjugue 4 points médians, signe en général d’une conviction forte pour le langage inclusif, et l’utilisation quasi exclusive du masculin générique et de l’expression “Droits de l’Homme” à laquelle on préfère en inclusif “droits humains”.

Mélenchon, Lassalle, Hidalgo et Arthaud dans le groupe des ratages.


Le groupe des je m’en foutistes : Pécresse, Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan.
Ici, uniquement du masculin générique ou presque.

Pécresse, Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan dans le groupe des je m’en foutistes.

Et le dernier du classement : Macron.
Ce qui le distingue du précédent groupe et pénalise son score est son slogan “Nous tous”. Avec Nathalie Arthaud et “le camp des travailleurs”, c’est le seul à avoir un slogan au langage non inclusif.

Macron, en queue du classement

Pourquoi c’est important ?

Je me suis lancée dans cet exercice parce que le langage formate nos représentations du monde. 40 ans d’études de psycholinguistique le montrent : quand on parle d’un métier au masculin, les femmes se sentent moins concernées. Quand des candidat•es formulent toutes leurs propositions au masculin ou ne s’adressent qu’aux électeurs en écrivant “Chers compatriotes”, les femmes ne sont ni représentées ni mêmes adressées.
Rendre visibles les femmes par le langage, c’est aussi les faire exister dans l’espace public, médiatique et politique.

Il n’y a pas de grosses surprises dans ce classement où l’on observe en gros que plus on se déplace vers la droite moins le langage inclusif est utilisé : à l’exception de Nathalie Arthaud, Anne Hidalgo et Emmanuel Macron, le placement sur le spectre politique est quasi respecté. Cependant, dans quasiment tous les programmes, il est fait mention de propositions pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes : cela montre qu’il y a encore beaucoup de travail d’éducation à faire pour que la classe politique dans son ensemble se range du côté des arguments scientifiques qui démontrent que le langage inclusif est un outil efficace en faveur de l’égalité (et évidemment pas le seul à mettre en oeuvre). Et il a un bénéfice qui devrait plaire à tous les candidats et les candidates : il est gratuit.