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Pourquoi dire et ne pas dire

Pourquoi je ne dis pas : un·e collègue transsexuel·le

Quand j’ai commencé à penser à cet article, je me suis dit que ça allait être un sujet complexe parce que j’avais le sentiment qu’il y avait tellement à dire sur la manière de parler des transidentités qu’un article n’y suffirait pas.
Mon premier engagement militant a pourtant été au sein d’une association étudiante LGBT (à l’époque, on ne mentionnait pas les QIA+), je connais personnellement des personnes trans, je me considère comme étant plutôt éduquée sur le sujet.

Je pense que cette semi-paralysie face au vocabulaire des transidentités était représentatif de ce que peuvent ressentir de nombreuses personnes cisgenres, c’est-à-dire dont le genre assigné à la naissance correspond au genre vécu, ou en termes encore plus simples qui vivent en harmonie avec le genre qui a été proclamé lors de leur naissance : cela paraît tellement éloigné de notre réalité que c’est forcément difficile à comprendre et qu’on ne sait pas comment en parler.

Alors qu’en fait, ça peut être simple si on sait par où commencer.

Etape 1 : écouter, lire et regarder les concerné·es·x*

En tant que personne cisgenre, l’expérience d’une personne trans m’est totalement étrangère si je ne fais pas l’effort de comprendre. Ne pas faire cet effort conduit à perpétuer le sentiment de différence et d’éloignement. Alors pour comprendre, j’ai écouté, lu, regardé et voici 3 références grâces auxquelles je me suis éduquée.

1. Comprendre la transition

Océan est un comédien et humoriste trans qui a documenté la première année de sa transition pour France TV Slash dans une série de 10 vidéos d’une dizaine de minutes (disponible en intégralité sur YouTube).

Je recommande cette série courte et rythmée, dont chaque épisode aborde un thème (le coming out trans, les démarches de changement d’état civil, l’impact sur la carrière…) et montre avec franchise et transparence, presque sans commentaire, les difficultés mais aussi les joies, les réactions d’incompréhension mais aussi d’amour.

2. Comprendre les oppressions

Lexie, connue sur les réseaux sociaux comme Agressively trans, est une militante trans qui partage sur Instagram une multitude de contenus pour s’éduquer au sujet des transidentités. Elle a publié cette année Une histoire de genres : Guide pour comprendre et défendre les transidentités dont je recommande la lecture à chaque allié·e.

Ce livre est vraiment un trésor pour celles et ceux qui souhaitent, comme son titre l’indique, comprendre et défendre les transidentités. Lexie décrit de manière très accessible et bienveillante mais aussi avec précision les différentes dimensions des transidentités : le poids du contexte culturel occidental dans la marginalisation des personnes trans, le cadre légal qui leur est imposé, les nuances dans les différentes manière de vivre une transition (médicale ou non), et surtout elle prodigue des conseils pour agir en allié·e.

3. Comprendre les nuances

Natalie Wynn aka Contrapoints est une créatrice YouTube trans qui se définit comme “ex-philosopher” et qui produit des vidéos longues qui sont de véritables bijoux (en anglais) : dans une mise en scène léchée à l’esprit baroque, elle décortique des sujets comme les masculinités ou la cancel culture. Elle est pédagogique, drôle et parvient à un équilibre parfait entre nuance, précision et radicalité.
Elle a consacré plusieurs vidéos à décrypter les différentes conceptions du genre (ou de négation du concept de genre) qui agitent les conversations autour des transidentités. Parmi ces vidéos : “Transtrenders” (où elle démonte les arguments de celles et ceux qui parle des transidentités comme d’un effet de mode), Pronouns (sur la question de l’usage du bon pronom he/she/they pour les personnes trans), Gender Critical ou JK Rowling (où elle décrypte les arguments de certaines féministes – appelées TERF pour trans exclusionary radical feminists – qui souhaitent exclure les femmes trans de leurs luttes car elles ne seraient pas des femmes).


Etape 2 : retenir quelques mots de vocabulaire

Le deuxième chapitre du livre de Lexie s’intitule Avoir les bons mots : l’importance du vocabulaire. Lexie y rappelle que les mots peuvent être une arme de bienveillance comme de violence massive. Elle explique la raison pour laquelle le terme transsexuel est à bannir :

Le terme transsexuel, pourtant relativement familier, est à prohiber pour plusieurs raisons (…) En raison de l’association du terme à une maladie mentale, la communauté trans en France rejette aujourd’hui très largement ce sens. Une autre raison est l’ensemble des stigmates, préjugés et stéréotypes accolés aux personnes transgenres par ce mot, telle une hypersexualité supposée, la fétichisation, l’instabilité psychologique, etc. Enfin le terme manque de pertinence puisque sur le plan strictement médical, il définit une personne ayant effectué une opération génitale. De nombreuses personnes transgenres ne le font pas et ne souhaitent pas le faire.

Lexie, Une histoire de genres

Lexie liste dans ce chapitre d’autres mots à ne pas utiliser comme travesti, travelo ou hermaphrodite. Elle explique aussi certains termes propres aux transidentités et mentionne la question cruciale des pronoms. Comme évoqué dans l’article Faut-il inventer de nouveaux mots pour être vraiment inclusif, les pronoms personnels il et elle ne suffisent pas à définir les personnes non-binaires et des alternatives existent qu’un·e allié·e se doit de respecter.

Ce post Instagram de Lexie, Petit lexique de base, est la meilleure source pour celles et ceux qui ont envie de s’exprimer de la manière la plus précise et inclusive possible.


Si transgenre est donc sans conteste à substituer à transsexuel, une 3e voie encore plus simple est de simplement dire trans.
C’est par exemple le choix d’Emmanuel Beaubatie, sociologue et auteur de Transfuges de sexe :

Le mot “transsexuel”, utilisé par les médecins dans les années 50, désigne les individus qui ont recours à des modifications corporelles. A l’inverse, celui de “transgenre” a été introduit par les personnes trans dans les année 70 pour se distinguer de celles et ceux qui avaient recours à la médicalisation. Donc pour éviter toute confusion et connotation, j’utilise le terme trans, ce qui me permet d’inclure un maximum de parcours différents dans ma recherche. Il faut bien comprendre que toutes les personnes trans ne s’identifient pas comme homme ou femme et qu’elles n’ont pas toutes recours à des modifications corporelles et à un changement d’état civil

Interview de l’auteur dans Society du 20 mai 2021.

Etape 3 : en parler (ou pas) au travail

Dans le cadre du mois des fiertés, j’ai suivi dans mon entreprise une session d’échange intitulée “How to start an LGBTQ+ conversation ?” (comment entamer une discussion LGBTQ+ ?). On y a parlé de la nécessité de se voir prêt·e à être “clumsy with good intent”, c’est-à-dire maladroit·e avec une bonne intention.

Aujourd’hui, je retiens 3 attitudes pour parler des transidentités au travail :
– d’abord, ai-je vraiment besoin d’en parler ? Savoir si la collègue assise en face de moi est une femme trans ou pas, est-ce que cela fait une différence ? Non, ça ne devrait pas.
– si j’ai besoin d’en parler, par exemple pour savoir comment m’adresser à cette personne dont le prénom est neutre, je peux commencer par lui annoncer quel pronom (il/elle ou un néopronom) je souhaite qu’on utilise pour moi avant de lui poser la question simplement, sans circonvolution. Je suis prête à ce que cela crée un moment de gêne, par exemple si cette personne n’est pas trans, mais je peux aussi l’utiliser pour entamer une discussion sur le genre, et mettre en avant le fait que le pronom ne devrait être évident ni pour les personnes trans ni pour les personnes cis, ce qui contribuera à long terme à banaliser cette question.
– je garde ma curiosité pour moi : je n’ai pas à poser de question sur la transition ou tout autre détail intime de la vie d’un·e collègue. Si cette personne devient un·e ami·e, je saurai reconnaître les contextes propices à en parler, mais ça n’est certainement pas la cantine ou une salle de réunion.

Faire l’effort de comprendre, dire simplement trans, et être prêt·e à faire des erreurs et à les corriger, c’est pour moi la plus simple manière d’être allié·e des personnes trans, au travail et dans la vie de tous les jours


* dans cet article, j’utilise la lettre x pour représenter les personnes non-binaires ; j’ai expliqué ici pourquoi je n’utilise généralement pas ce x, mais il me semblait que dans le contexte d’un article qui parle de transidentités, il était indispensable de bien représenter la diversité sur le spectre du genre, c’est-à-dire d’inclure les personnes non-binaires.